De : Julien Maury et Alexandre Bustillo
Avec Anne Marivin, Francis Renaud, Théo Fernandez, Zacharie Chasseriaud
Année : 2014
Pays : France
Genre : Horreur
Résumé :
Fuyant leur dernier jour d’école, Dan, Tom et Victor, trois adolescents inséparables, se perdent dans la campagne avant de s’engouffrer dans les méandres d’un studio de cinéma abandonné depuis des années. Un lieu décrépi devenu depuis le repère d’Isaac et Klarence Faucheur, un homme et son étrange fils, bien décidés à ne pas laisser le trio dévoiler leurs sombres secrets aux yeux des vivants.
La nuit tombe. De retour chez eux, les adolescents ne tarderont pas à s’apercevoir que quelque chose les a suivis et que la nuit risque d’être l’une des plus longues de leur vie…
Avis :
Faire des films en France devient un véritable chemin de croix. Entre des financements qui se font de plus en plus rares et une recherche de facilité de la part des scénaristes et réalisateurs, on peut dire que la comédie et le drame sclérosent complètement un cinéma qui ne demande qu’à être dévergondé. Malheureusement, faire des films de genre en France, que ce soit dans le fantastique ou dans l’horreur, est encore plus dur, à cause de la frilosité des distributeurs et des exploitants de salles qui ne pensent que par le pognon et pas par la diversité des films proposés. De ce fait, Aux Yeux des Vivants fut marqué par une certaine malédiction, car après avoir fait appel au crowdfunding, ce sont les exploitants qui ont fait faux bond à cause d’une interdiction aux moins de 16 ans. Déjà pas évident de faire des entrées en salles sur un film d’horreur 100% frenchy, mais si en plus seulement 9 salles le diffusent, autant ne pas faire de films du tout. Après un A l’Intérieur purement frontal et gore, qui a permis au duo Maury et Bustillo de se faire connaître et reconnaître, après un Livide poétique et glauque qui a confirmé tout le talent des deux réalisateurs, c’est à Aux Yeux des Vivants de montrer la voie vers un cinéma différent et sacrément plus fun !
Tu crois qu’il va dire du bien du film ?
Y’a intérêt, sinon, on lui brûle sa grange !
Le scénario part sur les errances de la jeunesse Trois camarades de classe décident de faire l’école buissonnière le dernier jour avant les vacances. Après plusieurs bêtises comme mettre le feu à une grange ou couler une barque, le groupe tombe dans un vieux décor de cinéma abandonné. Ils vont alors trouver une jeune femme enfermée dans un coffre et un homme visiblement drogué qui demande à un sinistre personnage de poursuivre les enfants et de les tuer. Ce troisième film du duo Julien Maury et Alexandre Bustillo, se situe pile poil aux confluences des deux premiers. Gore au départ et sur la fin, le film possède aussi une aura assez poétique sur la jeunesse perdue et brimée. Peut-on dire que c’est le film de la maturité ? Pas tout à fait, car malgré une histoire fort sympathique, le film n’est pas dénué de défauts.
En premier lieu, on pourra parler des errances scénaristiques. En effet, la créature doit pourchasser les enfants, or, elle les perd de vue. Elle trouve alors un papier qu’avait un enfant sur lui, ce qui lui permet de retrouver son adresse. Manque de pot, sa première victime sera un des trois, mais pas celui de l’adresse. Comment a-t-elle fait pour retrouver cette adresse ? La majorité du film se déroule vers 5 heures du matin, mais par moments, on a la sensation d’être en plein jour, et même si on est au moins de juin, il ne devrait pas y avoir tant de clarté. Ou encore, le monstre du film se prend deux coups de crosse dans la tronche et il ne sent rien et lorsqu’un enfant lui met un coup de poêle, il tombe dans les vapes. On pourrait croire que c’est d’enculer des mouches que de relever ces défauts, mais cela nuit un petit peu à la cohérence de l’ensemble.
Difficile aussi de ne pas voir les ellipses temporelles qui sont parfois un peu grossières. Prenons un exemple concret. Le grand méchant est en train de plus ou moins torturer un père de famille. Lorsqu’il se fait piéger, on voit sa femme et son beau-fils partir en courant. Ce n’est qu’une fois mort que l’on retourne vers la famille qui se décide à téléphoner à la police et d’un coup, le méchant attaque. Mais qu’est-ce qu’ils ont fait tout ce temps ?! Du coup, cette scène est assez surréaliste et manque de crédibilité. Mais, tous ces défauts, pris dans l’ensemble du film, sont très mineurs et on ressort de la séance avec un grand sentiment de satisfaction.
Mets une bonne note, vite !
En effet, le film contient beaucoup d’éléments positifs que négatifs. En premier lieu, le film est ultra référentiel et on sent vraiment tout l’amour pour le cinéma de genre américain et des années 80. On pourra bien évidemment penser à Stand By Me de Rob Reiner, avec cette bande de gosses, mais pas seulement. On y retrouve énormément d’éléments lié à l’univers de Stephen King. Bien entendu, la bande de gosses poursuivie par un type dangereux avec un masque de clown fait directement penser à Ça. Mais on voit aussi quelques clins d’œil, peut-être involontaires, à d’autres œuvres de l’écrivain comme le nom du chat perdu, Salem, et ce monstre totalement glabre qui rappelle le vilain vampire dans le film du même titre. On peut aussi voir une grosse référence au film Les Goonies, avec le bateau de cinéma. Enfin, comment ne pas voir la référence au film A l’Intérieur au tout début du métrage avec une Béatrice Dalle complètement possédée ?
Mais au-delà des références qui montrent un amour et une grande culture du domaine du fantastique horreur, on va voir une réalisation léchée et vraiment propre. Certaines scènes se font écho et il y a vraiment de la recherche. On pense bien évidemment, à la scène dans la brume sur la fin, on peut aussi citer l’ambiance très ensoleillée lors des meurtres, ou encore la volonté de flouter la créature jusqu’au moment de la découverte totale. Tous ces éléments montrent un vrai savoir-faire et surtout, un énorme talent. On voit bien qu’il y a plus de recherches dans ce genre de films que dans une comédie lambda. La musique du film est vraiment excellente et très recherchée, donnant un cachet supplémentaire au métrage.
D’autre part, le film est sévèrement burné. Durant un peu moins d’une heure et demie, le film va droit au but et envoie le pâté en termes de rythme. On ne s’ennuie pas un seul instant et le tout est hyper structuré. On a d’ailleurs l’impression de voir un film d’horreur américain avec un bon budget. Mais il ne se contente pas d’aligner des scènes gores ou des passages allant plus vers l’action. Le film est intelligent et s’attaque à plusieurs thèmes que l’on retrouve rarement dans le cinéma français. En effet, le film va aborder le thème de la jeunesse, avec trois enfants issus de familles différentes et aux soucis différents, comme l’enfant battu, le jeune bourgeois qui ne voit jamais ses parents ou encore celui qui fait partie d’une famille recomposée et qui a du mal à trouver sa place. On aura aussi le thème de l’acceptation de l’autre, de la différence, notamment lors du début où la femme refuse son enfant hideux alors que le père l’accepte et le cache… aux yeux des vivants. On peut aussi y voir la crédibilité de la jeunesse, que rarement des adultes croient les enfants sur des histoires effrayantes. Bref, tout cela forme un conglomérat solide et vraiment intéressant.
Enfin, on peut rapidement parler des personnages et de l’efficacité du film dans la peur. Les deux réalisateurs ont tout compris au cinéma d’horreur. Ils arrivent à déclencher des émotions très fortes et le spectateur aura de l’empathie pour les enfants, mais aussi pour le monstre et c’est une très grande force. On va aimer cette famille recomposée parce qu’elle est simple et qu’elle fait tout pour que tout le monde se sente bien. On s’attache à l’enfant, mais aussi à la mère et au beau-père. Ainsi, les scènes de torture seront très dures et on ressentira vraiment quelque chose pour les personnages. Quant au monstre, son côté tellement humain, le rend d’autant plus effrayant, mais aussi très attachant dans sa relation avec son père. Du coup, tous les personnages ont leur importance et une fois que le spectateur ressent quelque chose pour chaque protagoniste, le pari est gagné et les sensations sont là. Les acteurs sont d’ailleurs très bons, et même la présence surprenante de Anne Marivin est une excellente surprise.
Comment ça t’aimes pas Bienvenue chez les Ch’tis ?
Au final, Aux Yeux des Vivants est une excellente surprise, un film qui aurait mérité plus de salles et surtout plus de vues. Un film qui a été fait avec un réel amour du genre et surtout un très grand savoir-faire. Si le métrage n’est pas exempt de défauts, on retiendra essentiellement tout le positif, et cette volonté de résister encore et toujours à l’immobilisme du cinéma français. Un film à la fois violent et poétique, dur et efficace. On peut dire que Julien Maury et Alexandre Bustillo ont tout compris sur ce qui fait le cinéma d’horreur, les sentiments, l’empathie, et pour ce film, le pari est totalement réussi !
Note : 16/20
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Par AqME