
Titre Original : The Keep
De : Michael Mann
Avec Scott Glenn, Ian McKellen, Alberta Watson, Jürgen Prochnow
Année : 1983
Pays : Etats-Unis
Genre : Horreur, Fantastique
Résumé :
1941, au cœur des Carpates roumaines. Une unité de soldats nazis prend possession d’une mystérieuse forteresse isolée, malgré les avertissements du gardien local. Bientôt, des morts inexplicables frappent les occupants, révélant la présence d’une entité maléfique scellée dans les murs du sombre édifice. Alors qu’un furieux officier allemand cherche à percer l’énigme de ce lieu maudit, un érudit juif et sa fille, arrachés aux camps, se retrouvent contraints de devoir collaborer avec leurs tortionnaires pour élucider ce mystère…
Avis :
On le dit très souvent, mais le cinéma d’horreur, parfois délaissé par les « cinéphiles », est un vivier d’idées et un moyen de démarrer dans le septième art. C’est un genre qui permet d’avoir les coudées franches, et de faire un peu ce que l’on veut. Et tous les grands cinéastes sont passés par cette case, notamment au début de leur carrière, de James Cameron en passant par Steven Spielberg, ou encore Michael Mann. Pour ce dernier, il commence sa carrière dans les années 70, où il réalise quelques pubs et courts-métrages, puis va travailler sur des séries. Son premier « film » sera un téléfilm, Comme un Homme Libre, se passant dans un milieu carcéral, puis il va proposer Le Solitaire, qui bénéficiera d’une sortie en salle de cinéma. A partir de là, le réalisateur commence à se faire un nom.

Mais alors qu’il reste assez discret, c’est en 1983, et pour sa troisième réalisation, qu’il part dans le film d’horreur, à tendance fantastique, en adaptant le roman de F. Paul Wilson, La Forteresse Noire. D’après les dires du réalisateur, le film devait être très stylisé, avec une métaphore sur le mal absolu. Très exigeant, comme à son habitude, Michael Mann va pourtant connaître un enfer, et le film sera considéré comme maudit. Il ira même jusqu’à renier le montage, les producteurs voulant un film d’une heure et demie, alors que le cinéaste estimait la durée à plus de trois heures. Il faut ajouter à cela des conditions climatiques rigoureuses, un tournage qui s’est étalé sur plus d’un an et un directeur des effets spéciaux qui va mourir durant le tournage. Bref, on a tous les atours d’un film maudit qui aurait pu faire parler de lui.
« La Forteresse Noire sera un échec commercial total »
Mais ce sera presque tout le contraire, puisque La Forteresse Noire sera un échec commercial total, cumulant au box-office américain à peine plus de quatre millions de dollars, alors qu’il en a coûté six millions. Et en France, le résultat est sensiblement le même, avec moins de trois cents mille spectateurs. Pourtant, quand on y regarde plus près, La Forteresse Noire n’est pas un mauvais film. Certes, c’est un long-métrage qui a des défauts, et qui souffre du poids des ans, mais il possède une véritable identité visuelle, et on ne peut renier la volonté de Michael Mann de faire un film à part. Même dans son mélange des genres le film est intéressant, jouant avec les codes du film d’horreur, du film de guerre et du film fantastique, faisant un parallèle avec la religion, la condition des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, et la vanité des hommes.
Donc ici, on va suivre un groupe de soldats allemands qui doit investir une forteresse dans un col roumain. La troupe s’installe dans une sorte de forteresse étrange qui est entourée par des croix en nickel. Malgré les avertissements des locaux, les nazis s’établissent à l’intérieur, et lorsque deux soldats, par vanité, descellent l’une des croix, pensant que c’est de l’argent, ils vont libérer une force maléfique qui va tout fracasser sur son passage. Cela réveille aussi un homme aux yeux violets qui va faire le déplacement jusqu’en Roumanie pour empêcher la créature de sortir de la forteresse, qui est en fait sa prison. Oui, on est sur un objet curieux, avec une envie de laisser le spectateur dans le flou sur les intentions des nazis, car aucune information ne nous sera livrée sur l’importance de ce point pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Michael Mann dit qu’il veut exploiter l’image du mal absolu »
Michael Mann reste dans un mystère qui ne fera que s’épaissir au fil de l’intrigue. Des inscriptions seront retrouvées, et on fera appel à un vieil érudit juif et sa fille pour retranscrire ce qui est écrit sur le mur. Cela va lui permettre de sortir d’un camp de la mort, pour finalement en rejoindre un autre, même s’il peut y entrevoir un moyen de sortir de sa condition physique. Quand il ne sombre pas dans un fantastique proche de l’horreur avec Molasar et ses apparitions explosives, le film va s’évertuer à confronter le point de vue de deux nazis, l’un qui est là pour contrainte, et l’autre qui prend du plaisir à torturer les faibles. Michael Mann apporte alors de la dichotomie à l’un de ses personnages principaux (Jürgen Prochnow) qui devient alors plus humain que les autres nazis, comprenant ses erreurs.
Mais dans le fond, le film ne propose pas que cela. Il oppose aussi la religion chrétienne avec le judaïsme, ou avec une absence de religion. Le prêtre du village refuse d’aider le professeur juif car il ne se soumet pas à la foi chrétienne, et cela montre à quel point la religion peut être destructrice. Et le salut de tout ce petit monde ne vient pas de la religion ou d’un quelconque Dieu, mais plutôt d’un personnage étrange, inquiétant, qui pourrait presque être un extraterrestre, chose qui peut se valider avec l’artefact final. Michael Mann dit qu’il veut exploiter l’image du mal absolu, et il y a un peu de fantastique et d’ésotérisme dans tout ça. Néanmoins, on peut aussi y voir de menus défauts, notamment dans la représentation maléfique, avec Molasar qui n’est pas assez présenté, et qui doit souffrir de certaines coupes.
« Michael Mann instille une atmosphère pesante à son film »
Si on sent que le personnage est inéluctable, et qu’il est doté d’une puissance impressionnante, il manque de background, de travail écrit pour vraiment nous faire ressentir son aura diabolique. Parmi les petits défauts du long-métrage, on peut aussi noter des effets visuels désuets, qui ont pris un coup de vieux. Mais derrière ça, on ne peut renier les qualités techniques du film. Le réalisateur insuffle une ambiance sombre et délétère, avec des effets techniques intelligents, à l’image de cette fumée qui est aspirée, ou encore de ce mauvais temps permanent. Michael Mann instille une atmosphère pesante à son film, qu’il couple avec une imagerie iconique, lui donnant alors une certaine aura. De ce fait, même si certaines choses sont imparfaites, il se dégage vraiment quelque chose du film, une vraie patte d’artiste, un savoir-faire qui se confirmera parla suite, dans la carrière du metteur en scène.

Au final, La Forteresse Noire de Michael Mann est un film maudit, certes, mais il contient quelques éléments qui sont vraiment intéressants. Malgré le calvaire que fut le tournage, on retrouve de sublimes images, des plans iconiques et une atmosphère brumeuse qui sied à merveille à l’histoire qui nous est racontée. Alors oui, les effets spéciaux ont pris un coup dans l’aile, le montage est un peu chaotique et on voit bien qu’il manque de nombreux éléments pour peaufiner le grand méchant et sa confrontation finale, mais globalement, on reste sur un film qui a une identité, chose qui manque cruellement aujourd’hui à quasiment tous les films qui sortent au cinéma…
Note : 14/20
Par AqME