mai 4, 2024

L’Homme au Pousse-Pousse – Le Lyrisme Face à la Guerre

Titre Original : Muhomatsu no Issho

De : Hiroshi Inagaki

Avec Tsumasaburo Bando, Keiko Sonoi, Yasushi Kawamura, Hiroyuki Nagato

Année : 1943

Pays : Japon

Genre : Action, Aventure

Résumé :

Japon, 1905. Un jour, Matsugoro, un pauvre conducteur de pousse-pousse, porte secours à un garçon blessé, Toshio. Ses parents, Kotaro et Yoshioko, louent ses services pour transporter le garçon chez le médecin et le ramener. Matsu va alors se prendre d’affection pour cette famille.

Avis :

Comme d’autres médias culturels, le cinéma se fait bien souvent le reflet de son époque. Au-delà de la vision artistique première, il est aussi l’expression d’une période historique où l’on peut constater les craintes et les errances d’une société. À travers les thématiques abordées, on y entrevoit alors les préoccupations à différents niveaux sociaux. En pleine Seconde Guerre mondiale, les productions nipponnes se focalisent essentiellement sur des films de propagande. On compte très peu de métrages dédiés au divertissement, encore moins ceux qui visent à sensibiliser le public sur le contexte ou un sujet qui va à l’encontre de la position du gouvernement et de l’armée impériale.

La polémique qui gravite autour de L’Homme au pousse-pousse, première adaptation du roman de Shunsaku Iwashita, tient au rapprochement des classes sociales. Suite au décès d’un militaire, le protagoniste se lie avec sa femme. D’emblée, on distingue un clivage entre la condition des différents intervenants. Cela concerne la situation financière, les valeurs et l’éducation. Leurs parcours sont aux antipodes et ne semblent pas voués à se croiser. Ici, la vision d’Hiroshi Inagaki amorce une romance là où les mœurs morales y voient un opportunisme intéressé, qu’il soit d’ordre physique ou pécuniaire.

« Le travail de sape des organismes de « bienséance » est flagrant. »

Dès lors, le présent métrage subit les affres de la censure. On oblitère le cœur même de l’intrigue (et du livre) pour la démunir de sa substance. Et il n’est pas nécessaire de s’informer sur la genèse du projet pour se rendre compte que les coupes éhontées à l’écran délaissent des cicatrices elliptiques au fil du récit. Sans parler d’incohérences ou d’invraisemblances, le montage amputé d’une vingtaine de minutes se montre élusif dans les relations des personnages, leur évolution au regard de leur vécu, de leurs expériences. Sans repère ostentatoire, seul le passage de l’enfance à l’adolescence de Toshio permet de mieux cerner la ligne temporelle de l’histoire.

En soi, ce n’est pas handicapant, mais le travail de sape des organismes de « bienséance » est flagrant. Cela sans compter sur un second rabotage par les autorités américaines, au terme de la Seconde Guerre mondiale. Au vu de la dichotomie qui oppose les deux pays, ce choix peut paraître étonnant. Seulement, le cinéaste s’affranchit des traditions nipponnes. À travers ses personnages, il y prône une certaine indépendance, sans pour autant les renier. Et c’est sans doute sur ce point que le métrage pouvait déranger les États-Unis, ne serait-ce qu’avec le quotidien d’un homme déterminé et fier face à l’adversité, capable d’encaisser les coups.

« L’intrigue dépeint un portrait humain. »

Mais la vision des autorités nipponnes et américaines reste tronquée, l’une comme l’autre. En effet, leur interprétation s’oriente vers l’impact politique d’un film qui se veut lyrique. Au-delà des oppositions formelles, l’intrigue dépeint un portrait humain. Cela va de pair avec les failles du principal intervenant, son côté malotru, son caractère bourru et têtu, sans oublier son enfance tourmentée par l’abandon parental. Ces décisions et choix en sont d’autant plus justes, plus touchants, car ses réactions suggèrent que l’individu n’est pas soumis à son passé ou son environnement. On délaisse ainsi tout fatalisme pour s’orienter vers une bienveillance tout altruiste.

Au final, L’Homme au pousse-pousse s’avance comme une œuvre anticonformiste, au regard de sa période de sortie. Son ton contraste avec le pessimisme ambiant et l’aveuglement patriotique. S’il présente les atours du mélodrame, le film d’Hiroshi Inagaki fait preuve d’un optimisme salvateur dans un tel contexte. On y retrouve également une forme d’expressionnisme hérité du cinéma muet et, surtout, du théâtre kabuki. Malgré un montage qui affiche les scories de la censure et l’absence de romance qui découle du roman, il en ressort une histoire touchante. Cette dernière fait s’enchaîner les émotions, des plus insouciantes aux plus graves, notamment à travers la notion de paternité et le rapport du père à l’enfant.

Note : 14/20

Par Dante

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