avril 24, 2024

Goodnight Paradise

Auteurs : Joshua Dysart et Alberto Ponticelli

Editeur : Panini

Genre : Polar

Résumé :

Quand Eddie, un Californien un peu paumé, découvre le corps sans vie d’une adolescente qui a fugué, il jure de livrer ses meurtriers à la justice. Son enquête le conduit dans les recoins les plus sombres de Venice Beach au premier abord paradisiaque. Il découvre rapidement qu’il est peut-être le seul à réellement vouloir résoudre cette affaire.

Avis :

Avec ses plages et ses promenades à perte de vue, Venice Beach est l’un des symboles du rêve américain dans toute la fatuité qu’il exprime. Des bodybuilders de plein air aux jeunes femmes légèrement vêtues, ce quartier de Los Angeles a bien souvent été représenté de manière idéalisée, presque fantasmée. Cela, pour vanter un mode de vie californien fondé sur le culte du corps et le consumérisme à outrance. Derrière ce portrait de carte postale se dissimule pourtant une réalité bien différente où la misère croît si bien qu’elle est devenue un véritable fléau social. C’est ce contexte alarmant et délétère que proposent de retranscrire les auteurs de Goodnight Paradise.

Si le présent ouvrage se situe à mi-chemin entre le polar et le thriller, il est avant tout un drame. Un pamphlet véhément contre une société où la pauvreté est considérée comme une tare, voire un tabou. Des premières planches jusqu’au dénouement, on constate cette opposition perpétuelle entre les sans-abris, les drogués et les laissés-pour-compte avec une classe sociale aisée, décomplexée et insouciante. D’une cohabitation où la tolérance n’est qu’apparat, il est facile de distinguer du ressentiment d’un côté et du mépris de l’autre. En cela, l’atmosphère se veut nihiliste au possible. Ainsi, on se heurte à un dénuement qui confère à l’indigence. De ces considérations, on constate une indifférence qui se fait l’écho d’une opulence toute matérialiste.

Dans ce contexte, l’intrigue est lourde de sens avec le crime d’une junkie et la découverte de son cadavre dans une benne à ordures. L’approche est chargée en symboles, à cette manière dont on considère les individus au bas de l’échelle sociale. De dédain, il est également question dans les investigations policières dont ne distinguera que le spectre. D’où cette enquête fortuite menée par un clochard ; alcoolique de surcroît. À tel stade d’errance, il est l’antihéros par excellence. Avili par sa dépendance à l’alcool, lâche de par l’abandon de ses responsabilités familiales, paumé par l’absence de perspectives d’avenir, il est l’archétype d’une existence broyée par le système.

D’ailleurs, ses intentions demeurent assez nébuleuses quant à la découverte du coupable. Ses investigations se font le plus souvent par des rencontres fortuites, des échanges arrachés à la promesse d’une bière ou de quelques billets. De la Venice Beach clinquante, le vernis s’écaille bien vite face aux mendiants et aux tentes qui traduisent les conditions de logement déplorables. L’allusion à la crise des subprimes est encore vivace dans les artères de Los Angeles, comme ailleurs. Mais ce quartier se caractérise aussi par ses ruelles crasseuses, ses fêtes sordides où pointe le spectre de la prostitution, voire des abus sexuels.

En parallèle de l’affaire, on creuse également dans le passé du protagoniste et des intervenants. Il ne s’agit pas d’excuser certains comportements ou leur addiction, mais de mieux comprendre ce qui les a menés à leur situation actuelle. On songe au milieu familial, au regard de la société. Deux environnements où la différence n’est, bien souvent, pas tolérée, surtout quand il est question d’extrémisme. De manière secondaire et néanmoins prégnante, on se penche aussi sur la folie et ces hallucinations qui s’ajoutent en surimpression lors de certains moments. La sensation d’inertie renvoie au côté inaltérable (mais pas inaliénable) du passé.

Au final, Goodnight Paradise est un comics âpre, d’une dureté manifeste et légitime à l’encontre de la société. Violent, sordide et implacable… Joshua Dysart et Alberto Ponticelli dépeignent le portrait d’une Amérique à deux vitesses où les clivages sociaux sont vivaces et ostensibles. De ses atours paradisiaques sur les côtes du Pacifique, Venice Beach s’avance comme le théâtre d’une tragédie moderne où l’espoir est aussi futile que les excès consuméristes des plus aisés. Cela sans oublier l’évocation du phénomène de gentrification. Goodnight Paradise tient autant à cette enquête menée cahin-caha par un personnage aux antipodes des poncifs habituels qu’à cette ambiance pernicieuse et malsaine, magnifiant une approche subversive et sans concession.

Note : 18/20

Par Dante

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