Titre Original : Der Heilige Berg
De : Arnold Fanck
Avec Leni Riefenstahl, Ernst Petersen, Luis Trenker, Frida Richard
Année : 1926
Pays : Allemagne
Genre : Drame
Résumé :
Dans un village des Alpes, Karl surprend un jour sa fiancée Diotima, une magnifique danseuse dans les bras de son ami Vigo. Jaloux, il entraîne Vigo dans une périlleuse ascension.
Avis :
Qu’il s’agisse d’œuvres de fiction ou de documentaires, le cinéma de montagne est un genre à part entière qui a connu son âge d’or au cours des années 1920 et 1930. Symbole de pureté, d’idéal « inatteignable », le cadre est l’objet d’enjeux spécifiques, toute considération idéologique écartée. L’un des plus évidents est l’exploit sportif. En période de l’entre-deux-guerres, l’un des réalisateurs ayant initié ce phénomène n’est autre qu’Arnold Fanck. Avant de s’atteler à La Montagne sacrée, on lui doit À l’assaut de la montagne : dans la tempête et la glace, ainsi que La Montagne du destin. Des projets qui présagent du film d’aventures et de la survie en milieu hostile.
Inhérente au genre, la singularité de La Montagne sacrée est d’avoir été tournée en décors naturels, du moins en grande partie. Les seules scènes enregistrées en studio impliquaient des conditions beaucoup trop chaotiques pour assurer la sécurité des acteurs et de l’équipe de production. Toujours est-il que ce choix confère une aura particulière au film. À de nombreuses reprises, on se rapproche d’un traitement documentaire, ne serait-ce qu’à travers des moments de la vie paysanne ou des déambulations du personnage principal à travers prairies et vallées. On a également droit à quelques démonstrations de saut à ski et des séquences d’escalade immersives pour susciter l’effort physique et la force mentale, au-delà du danger latent.
« Le caractère fantastique, presque fantasmagorique, demeure implicite dans le travail d’Arnold Fanck. »
Mais cet aspect où la montagne fédère toutes les attentions (et les obsessions ?) constitue la partie émergée de l’iceberg. À l’image de cette introduction où la danse frénétique de Diotima se déroule en surimpression d’une mer déchaînée, il se dégage une connotation onirique, presque éthérée dans ce qu’elle suggère. La chorégraphie tient lieu de discours sur l’émancipation du cinéma. On peut ainsi considérer que cette libération découle des prises de vue réalisées dans les environnements naturels précédemment évoqués. Plus qu’un traitement expérimental, c’est la symbolique de l’exercice qui prévaut. Élément récurrent que l’on retrouvera sous d’autres formes par la suite.
On peut s’attarder sur le passage où certains intervenants se tiennent devant le massif dont les perspectives sont aussi dénaturées que le rendu. La montagne semble alors flottée, comme dans un rêve éveillé où cette quête d’un idéal perdu est inaccessible à l’homme. À ce titre, les séquences colorisées dans des nuances de bleu ajoutent une atmosphère crépusculaire, permettant de souligner l’écoulement du temps entre la journée et la nuit. De l’émerveillement diurne, on enchaîne avec la crainte d’une hostilité toute ténébreuse. Certes, on reste ancré dans le drame, la romance et l’aventure, mais le caractère fantastique, presque fantasmagorique, demeure implicite dans le travail d’Arnold Fanck.
« À mi-chemin entre la romance tragique et l’aventure. »
En dehors de l’approche artistique, il convient aussi d’évoquer un autre aspect de La Montagne sacrée qui tient surtout au contexte historique et aux membres de l’équipe de tournage. Cela vaut surtout pour la présence de Leni Riefenstahl, dont on connaît les accointances à venir avec le régime nazi. Toutefois, ce serait prêter de fausses intentions au métrage. Preuve en est avec la symbolique de la montagne qui, en l’occurrence, est assimilé au dépassement de soi, à la fascination qu’exerce cet environnement. Par la suite, le cadre sera détourné par le NSDAP et le nazisme afin d’être amalgamé à une métaphore de la puissance. D’où une approche et une signification dissemblables avec cette œuvre de fiction.
Au final, La Montagne sacrée est un film emblématique du cinéma de montagne. À mi-chemin entre la romance tragique et l’aventure, le métrage d’Arnold Fanck se distingue tout d’abord par ses décors naturels somptueux. À l’image, on retrouve des exploits sportifs et physiques en partie réels. Cependant, toute l’originalité du projet tient à ces séquences fantasmées où l’on appréhende la montagne sous un jour différent, plus hostile. Impression onirique qui se répercute également dans les chorégraphies endiablées de Diotima qui font office de rêveries éveillées, d’errances spirituelles. On écartera toutefois toute forme d’idéologie ; qu’elle soit politique ou religieuse. Ce qui permet d’apprécier le film comme une œuvre culturelle et non comme un outil de propagande, comme le commettront Leni Riefenstahl et, plus tard, Arnold Fanck avec ses documentaires en pleine Seconde Guerre mondiale.
Note : 15/20
Par Dante