avril 16, 2024

Ed Wood

De : Tim Burton

Avec Johnny Depp, Martin Landau, Bill Murray, Sarah Jessica Parker

Année : 1994

Pays : Etats-Unis

Genre : Biopic

Résumé :

Evocation de la vie d’Ed Wood, réalisateur considéré de son vivant comme le plus mauvais de tous les temps, aujourd’hui adulé et vénéré par des milliers d’amateurs de bizarre et de fantastique à travers le monde.

Avis :

Au début des années 1990, Tim Burton est au fait de sa carrière avec une œuvre à nul autre pareil. Après son travail sur Batman et ses projets plus personnels, comme Edward aux mains d’argent et Beetlejuice, il se focalise sur le biopic d’un cinéaste passablement oublié : Ed Wood. L’homme a accumulé les rôles de réalisateur, scénariste, acteur et producteur de séries Z qui ne sont guère connues pour leurs qualités intrinsèques. Ironie du sort, ce sont les défauts et autres erreurs techniques qui ont permis à ses métrages de passer à la postérité. Le genre d’individu marginalisé, voire ostracisé, qui trouve une résonance toute particulière dans la galerie de portraits dépeints par Tim Burton

À l’image de son réalisateur et de son personnage principal, Ed Wood n’est pas un biopic conventionnel. D’emblée, il s’affranchit d’une rigueur narrative inhérente à une fidèle retranscription de la vie du cinéaste. Son histoire n’est pas purement fantasmée, mais elle s’arroge de très nombreuses libertés. On connait Tim Burton pour ses univers désenchantés, souvent morbides et macabres. Aussi, Ed Wood s’avance comme l’antithèse de son travail habituel. En effet, l’intrigue se dévoile sous un jour positif, presque insouciant, dans le sens où l’accent est mis sur la passion de son protagoniste pour le 7e art. L’homme est un éternel optimiste qui va d’échecs commerciaux en déconvenue sentimentale, au fil d’une carrière brinquebalante.

« À l’image du Hollywood des années 1950 reconstitué, le réalisateur joue sur l’épure, manipulant de temps à autre nos perspectives. »

Il n’y a qu’à entendre les critiques assassines et ses réactions pour découvrir son caractère atypique. À travers le film, il se dégage une véritable affection pour un réalisateur de troisième zone qui ne se démonte pas face à l’adversité. À l’histoire, on ne s’attache pas à la qualité toute discutable de ses productions, de leurs aspects fauchés, du moins pas dans l’optique de s’en moquer. Le spectateur y découvre un artisan de l’ombre qui compensait le manque de moyens par un indéfectible enthousiasme. Cela vaut pour des conditions de tournage difficiles, parfois illégales, ainsi que les aléas et autres imprévus propres au financement, à la concrétisation de ses projets.

De même, la mise en scène de Tim Burton tranche radicalement avec ses précédents projets. Ce n’est pas tant le choix du noir et blanc qui marque un contraste, mais plutôt cette caméra au plus proche des personnages, renforçant l’aspect intimiste de la bobine. À l’image du Hollywood des années 1950 reconstitué, le réalisateur joue sur l’épure, manipulant de temps à autre nos perspectives. À cette occasion, on songe à ce passage dans un bar miteux et sombre qui enchaîne sur une rue de Los Angeles noyée dans un soleil californien éclatant. Cette approche permet de mieux se concentrer sur les protagonistes, les relations qui les unissent dans un microcosme à part entière. Cette équipe d’individus baroques s’assimile surtout à une famille d’adoption, plus qu’à une troupe itinérante. Cependant, on retrouve cette touche saltimbanque à travers un traitement de gueules cassées façon « freaks ».

« La relation avec Ed Wood est particulièrement touchante, car elle tisse un rapport père/fils, moins de mentor à élève. »

En parallèle de cette bonhomie ambiante, on distingue également une critique acerbe sur l’industrie cinématographique et le star system. Il n’y a qu’à constater le déclin et la déchéance de Bela Lugosi pour s’en convaincre. Par exemple, son addiction aux drogues, ses prestations catastrophiques dans des shows télévisés, sans oublier sa cure de désintoxication. Malgré ses déboires, il se dégage un ultime hommage d’un des premiers « monstres » d’Hollywood. À l’image de la mise en abîme du film dans le film, l’acteur vit entre deux mondes, deux époques, où il est incapable de s’affranchir de son rôle de Dracula et du succès associé. La relation avec Ed Wood est particulièrement touchante, car elle tisse un rapport père/fils, moins de mentor à élève.

Au final, Ed Wood s’avance comme un biopic fantasmé du plus bel effet et, par la même occasion, l’une des œuvres les plus personnelles de Tim Burton. À travers le tournage de métrages emblématiques d’Ed Wood (La Fiancée du monstre, Plan 9 from Outer Space…), le cinéaste évoque l’envers du décor de la machine hollywoodienne. Il ne dépeint pas une success-story, mais une forme d’anti-rêve américain où l’enthousiasme et la persévérance ne suffisent pas toujours à réaliser ses ambitions. Il n’en demeure pas moins un panel de personnages fantasques, souvent extravagants, qui dissimulent leurs tourments et leurs errances professionnelles sous un indéfectible optimisme. Tout comme cette rencontre fortuite entre Ed Wood et Orson Welles dans un bar de Los Angeles, une vision fictive non moins mémorable d’un réalisateur passionné, en dépit de ses échecs successifs.

Note : 17/20

Par Dante

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