avril 25, 2024

Zone Fantôme

Auteur : Junji Ito

Editeur : Mangetsu

Genre : Seinen

Résumé :

À la suite d’un voyage improvisé, une jeune femme est prise de sanglots incontrôlables, un internat catholique au fonctionnement obscur semble vénérer la Sainte Vierge comme une divinité à part entière, la forêt tristement célèbre pour ses suicides qui s’étend au pied du mont Fuji devient le théâtre d’un déferlement d’âmes errantes et un étudiant en droit se demande s’il ne serait pas le tueur en série qui défraie la chronique depuis plusieurs jours…

Avis :

Junji Ito est un auteur horrifique qui a toujours tendance à minimiser son travail. A chaque fois qu’il participe à une interview, ou qu’il doit écrire une postface pour l’un de ses recueils, il estime à chaque fois qu’il aurait pu faire mieux, et il s’excuse perpétuellement auprès de ses lecteurs. Pourtant, le mangaka offre constamment un travail de qualité, qui a fait aujourd’hui sa renommée et son statut de maître de l’horreur. Durant le confinement, l’auteur a dû travailler de manière différente, en ne sortant plus ses histoires sur papier, mais via une application internet. C’est donc entre 2020 et 2021 que né Zone Fantôme, qui va permettre à Junji Ito de s’abroger d’une règle contraignante, celle du nombre de pages à respecter. Avec cette application, il obtient une liberté, aussi bien dans les histoires que dans les dessins ou la place que ces derniers occupent.

Ainsi donc, Zone Fantôme va participer à une évolution de l’auteur, qui va prendre plus de temps pour peaufiner ses récits, mais aussi et surtout pour mettre en place des dessins qui ont pris une envolée incroyable. C’est bien simple, grâce aux éditions Mangetsu, on a pu voir l’évolution graphique de l’auteur, qui aujourd’hui ne fait que du numérique, mais en profite pour prendre plus de temps et affiner son trait. Ce recueil est le plus beau jamais sorti que c’en est impressionnant. Et cela dans les quatre histoires, alors qu’elles sont dans des registres totalement différents. Que l’on tombe dans le giallo pure souche, ou alors que l’on parte dans la forêt d’Aokigahara pour voir des esprits, ou bien que l’on plonge dans les méandres d’une école catholique, c’est tout simplement magnifique à voir, et donc à lire. Mais cette cohérence, on ne la trouve uniquement dans les dessins.

Car oui, on pourrait croire de prime abord que ces quatre histoires, qui embrassent des genres différents, n’ont pas de liant, et pourtant, ce n’est pas totalement vrai. Le premier récit, Le Coteau aux Pleureuses, montre une jeune femme qui, au détour d’un voyage banal, se met à pleurer sans cesse en voyant une pleureuse. Dès lors, avec son compagnon, ils découvrent le coteau aux pleureuses, et cette jeune femme sera considérer comme une déesse, avec sa capacité à pleurer non-stop. Comme à son habitude, Junji Ito plonge une histoire plausible dans un délire horrifique au détour d’un évènement simple, ici un enterrement avec la présence d’une pleureuse. Ce sera sensiblement la même chose pour les autres histoires. Dans Maudite Madone, c’est dans une école catholique stricte que les choses dérivent avec les révélations d’un directeur lubrique. Il en va de même pour les deux autres segments.

La Rivière Spectrale de Aokigahara plonge un couple, venu pour mettre fin à leurs jours, dans une situation grotesque lorsque l’homme plonge dans une rivière de spectres et se met à changer littéralement de forme. Enfin, Léthargie joue sur une carte plus terre à terre, sans fantôme, mais qui met un jeune homme dans une position inconfortable, étant persuadé qu’il est un tueur en série. Bref, Junji Ito joue sur les mêmes ressorts que pour toutes ses nouvelles, à ce détail près qu’il se permet d’être plus long et de ne pas finir de façon abrupte ses idées. Cela donne une plus-value inestimable à ces quatre histoires, qui sont plus complètes. Mais comme à chaque fois, ce qui marque le plus, c’est bien évidemment l’arrivée insidieuse d’une horreur qui va envahir toutes les pages, jusqu’à finir sur une apothéose un peu étrange, mais toujours grisante.

L’autre gros point commun entre ces quatre segments, on le retrouve autour de thèmes plus diffus. Par exemple, comme très souvent, l’homme n’est pas innocent, et il s’en prend souvent à une femme qui va subir ses exigences. Dans le premier récit, le jeune homme menace de quitter sa compagne si elle n’arrête pas de pleurer. Dans Maudite Madone, le directeur est la source de tous les problèmes, couchant avec ce qu’il considère comme des réincarnations de la vierge, et rejetant ses ex-femmes. Pire, dans la troisième histoire, on assiste à un homme qui entraine sa femme dans sa volonté de mettre fin à ses jours, mais qui va se moquer d’elle et l’humilier lorsqu’il reprend goût à la vie. Bref, comme à chaque fois, Junji Ito offre des personnages masculins qui ne sont pas innocents et qui sont perclus de vices, même lorsqu’ils sont victimes.

Enfin, outre les yeux qui parsèment chaque histoire (c’est l’un des totems de fabrication de l’auteur), on aura droit à des espaces liminaux. Sorte d’images d’endroits anodins mais qui offrent un malaise palpable (cage d’escaliers vide, immeuble en état décrépi, etc…), la version originale de Zone Fantôme se pare d’un petit Liminal Zone. Et ce n’est pas anodin justement. L’auteur va proposer des situations quelconques qui vont tomber dans une horreur insidieuse, qui se diffuse petit à petit, jusqu’à créer un fort malaise. On pense bien évidemment à ce village des pleureuses qui, de prime abord, semble normal, mais qui baigne dans les bruits de pleurs des femmes. On peut aussi parler de Léthargie, où la moindre ruelle devient le terrain de chasse d’un serial killer. L’horreur s’invite alors au détour d’un espace qui ne devrait pas susciter de peur. C’est un joli tour de force.

Au final, Zone Fantôme est clairement l’un des meilleurs recueils de Junji Ito sorti à ce jour. Outre le fait que les dessins sont de plus en plus sublimes, montrant une évolution dingue, c’est surtout cette liberté de pagination qui permet à l’auteur de mieux peaufiner ses histoires et d’offrir des fins dignes de ce nom. Jouant sur plusieurs sous-genres horrifiques, tout en gardant du liant entre chaque récit, l’auteur se montre inspiré, alors qu’il avoue lui-même avoir pioché dans d’anciennes idées. Comme quoi, c’est souvent dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures.

Note : 17/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

Voir tous les articles de AqME →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.