avril 26, 2024

La Maison – Un Autre Regard sur les Maisons Closes

De : Anissa Bonnefont

Avec Ana Girardot, Aure Atika, Rossy De Palma, Gina Jimenez

Année : 2022

Pays : France

Genre : Drame

Résumé :

Pour écrire son nouveau livre, Emma décide de se faire engager comme prostituée dans une maison close à Berlin.

Avis :

Nouveau visage dans le cinéma français, Anissa Bonnefont est une réalisatrice de trente-huit ans qui livre avec « La maison » son premier film de fiction. Débutant en tant que comédienne, très vite Anissa Bonnefont s’intéresse à la réalisation. Dès 2010, elle commence à réaliser des courts-métrages, puis en parallèle de ses propres réalisations, elle écrit, joue, produit et réalise aussi pour d’autres, puisqu’elle a travaillé sur des films comme « Paradise Lost » et « The Informer« , qui sont tous deux réalisés par Andrea Di Stefano (sur ces films, Anissa Bonnefont est réalisatrice de seconde équipe). Enfin, au bout de cette décennie, Anissa Bonnefont finira par réaliser deux documentaires, « Wonder Boy: Olivier Rousteing, né sous X » et « Nadia« .

Pour son premier film de fiction à elle toute seule, Anissa Bonnefont n’a pas choisi le sujet le plus facile. Adaptation du roman du même titre d’Emma Becker, pour ce premier film, la jeune réalisatrice plonge dans l’intimité des maisons closes de Berlin, et c’est tout simplement beau, et au-delà de ça, « La maison » est un film renversant. Un film libre et plein d’audace, qui parle du désir, des femmes et d’un métier compliqué et complexe à la fois. Emmené par une bande d’actrices et d’acteurs tous excellents, Ana Girardot en tête, « La maison » fascine, bouscule, questionne, et surtout, jamais ne juge. Bref, cette « … maison » est un premier film de fiction qui ne laisse pas indifférent, et qui nous présente une réalisatrice qui a beaucoup de choses à dire et à montrer.

Emma est une jeune écrivaine qui a déjà publié deux romans qui ont bien marché. Après une déception amoureuse, pour changer d’air, Emma s’est installée avec sa sœur à Berlin. Un soir, avec son meilleur ami, Emma veut aller dans une maison close, et alors que finalement, elle n’entrera pas dans ce lieu, ce soir-là, c’est aussi là qu’elle « trouve » le sujet de son nouveau livre. Emma s’intéressera à la prostitution, et pour avoir un regard, et savoir de quoi elle parle, pour raconter au mieux, au plus juste, au plus vrai, Emma va se faire engager dans l’une de ces maisons et ainsi se prostituer, et le monde qu’elle va découvrir est à mille lieux de tout ce qu’elle aurait pu imaginer.

« Sans jamais idéaliser la prostitution, rappelant au détour de conversation hors de la maison que pour beaucoup des femmes qui se prostituent, ces dernières vivent un enfer, le film d’Anissa Bonnefont s’attachera à peindre des portraits de femmes. »

La prostitution, voilà un sujet qui n’a cessé d’intéresser les auteurs et autrices, car ce milieu est bien souvent fantasmé. Beaucoup de réalisateurs et de réalisatrices s’y sont intéressés. Parmi les films qui viennent en tête, on pourrait citer « Jeune et jolie » de François Ozon, « Elles » de Malgorzata Szumowska, le culte « Belle de jour » de Luis Buñuel, « Sauvage » de Camille Vidal-Naquet, « American Gigolo » de Paul Schrader, ou encore dernièrement « Une femme du monde » de Cécile Ducrocq. Si beaucoup de ces films sont intéressants, le film d’Anissa Bonnefont va avoir quelque chose de différent, car à la base de cette histoire, il y a une expérience réelle, puisque le roman d’Emma Becker est tiré de sa propre expérience, et ce regard différent est ici visible à chaque instant.

« La maison » est donc une plongée au plus près d’un travail, et des émotions de son personnage principal. Sans jamais idéaliser la prostitution, rappelant au détour de conversation hors de la maison que pour beaucoup des femmes qui se prostituent, ces dernières vivent un enfer, le film d’Anissa Bonnefont s’attachera à peindre des portraits de femmes qui entre guillemets ont choisi ce métier. Des femmes qui ont choisi un parcours de vie, loin des conventions, et il est très intéressant de découvrir ce milieu à travers les yeux du personnage d’Emma. Remplissant des carnets de notes, se posant beaucoup de questions, assumant totalement ses choix, défendant ses idées malgré les regards de la société et les craintes légitimes de ses proches. Ce qui est parfait dans ce scénario, c’est la peinture toute en nuances que livre-là Anissa Bonnefont.

Le sujet est on ne peut plus difficile, et la réalisatrice trouve le juste-milieu pour parler de l’expérience de son personnage, avec les bons, voire même les beaux côtés de ce métiers (bien souvent, ces femmes se poseraient presque comme des psychologues auprès de leurs clients) mais face à cela, la metteuse en scène, toujours dans le vécu de son personnage, n’hésitera pas à montrer les mauvais côtés et la difficulté de ce métier. « La maison » ne cesse de balancer entre ces nuances et ce qu’il en ressort est passionnant. Passionnant de par l’audace et la liberté de ton, montrant des facettes qu’on ne voit jamais.

« Un autre bel élément de cette écriture, c’est le fait que la réalisatrice ne tombe pas dans le glauque ou le misérabilisme pour raconter cette histoire. »

L’autre difficulté avec ce genre de film, c’est bien entendu le sexe. Impossible de faire un film sur ce sujet sans s’aventurer dans les chambres, et là encore, Anissa Bonnefont réussit ce qu’elle entreprend, car si son film est cru, chacune des scènes de sexe qu’elle va montrer racontera quelque chose de fort et d’utile, pour peindre son milieu, pour peindre ses personnages, et raconter tout ce que l’on peut trouver au sein de ces maisons. Un autre bel élément de cette écriture, c’est le fait que la réalisatrice ne tombe pas dans le glauque ou le misérabilisme pour raconter cette histoire. Certes, le film est parfois sombre, et même violent, mais il est aussi terriblement sensuel, toujours touchant et émouvant, et petit truc en plus, qu’on n’avait pas vu venir, « La maison » arrive à se faire drôle aussi, et ça, de manière improbable, notamment avec le personnage tenu par Aura Atika, ou encore avec le personnage tenu par Philippe Rebbot.

Plus haut, j’évoque la liberté et l’audace ce film, et ces deux éléments, on les trouve évidemment dans la mise en scène d’Anissa Bonnefont, qui ose beaucoup de choses avec ce film. Osant aller dans l’intime, osant faire un film délicat en évitant le glauque, osant faire un film qui sonne comme une quête qu’on a envie de suivre, alors même que cette dernière est difficile aussi à accepter. Mêlant drame, humour, sensualité, Anissa Bonnefont sait finalement très bien nous emporter au plus près de ses personnages.

« Au-dessus de tous, il y a Ana Girardot qui trouve là son rôle le plus dur, le plus beau, le plus audacieux. »

Puis en parlant de ces personnages, ils ont tous une vraie personnalité et quelque chose à raconter. Que ce soit dans la maison, ou en dehors, tous les personnages sont intéressants et surtout, ils sont bien incarnés. Que ce soit Aura Atika, Rossy De Palma, Yannick Renier, Lucas Englander, Carole Weyers, Hildegard Schroedter, John Robinson ou Philippe Rebbot, tous dévoilent quelque chose de beau et d’intéressant. Puis bien sûr, au-dessus de tous, il y a Ana Girardot qui trouve là son rôle le plus dur, le plus beau, le plus audacieux, et l’actrice livre une interprétation renversante, assumant de bout en bout son personnage.

Cette « … maison » est assurément l’un des films les plus intéressants et audacieux qui sort cette semaine-là. Anissa Bonnefont livre une plongée impeccable et fascinante dans l’univers des maisons closes de Berlin, et il en ressort un film sans jugement aucun, et profondément humain.

De manière plus personnelle, ce premier film de fiction a redoutablement piqué ma curiosité en me présentant une réalisatrice dont je suis on ne peut plus curieux de voir où elle va nous emmener à l’avenir.

Note : 16/20

Par Cinéted

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