avril 26, 2024
BD

Un Destin de Trouveur

Auteur : Gess

Editeur : Delcourt

Genre : Fantastique

Résumé :

Emile Farges est trouveur. A l’aide d’un caillou jeté sur une carte, il peut localiser la personne qu’il cherche. C’est ainsi qu’il a rencontré Léonie, l’amour de sa vie, fille de Mama-Brûleur, redoutable activiste féministe et anarchiste. Lorsque l’organisation connue sous le nom de La Pieuvre l’embauche, contre sa volonté, pour retrouver la femme et la fille d’un des leurs, Trouveur est placé dans une situation impossible dont son talent ne suffira peut-être pas à le sortir…

Avis :

Avec La Malédiction de Gustave Babel, Gess proposait un récit singulier et détonant à plus d’un égard. Initiant de fort belle manière Les Contes de La Pieuvre, l’artiste dépeignait une atmosphère peu commune, voire insolite ; à mi-chemin entre le polar historique, le thriller et le fantastique. Si l’intrigue s’avérait originale, elle faisait également écho à des protagonistes bizarres et excentriques, pour ne pas dire picaresques. Un Destin de trouveur prend donc place dans le même univers, mais avec quelques années d’avance sur le premier tome. Pour la majeure partie du récit, on se retrouve ainsi plongé au cœur de la capitale, à la fin du XIXe siècle…

D’emblée, on apprécie la cohérence géographique et le fourmillement de détails qui donnent corps au Paris d’il y a plus de 120 ans. Cela tient, entre autres, à la présentation des quartiers et d’éléments propres à la période qui, pour certains d’entre eux, ont disparu. Une telle qualité s’était déjà constatée avec son prédécesseur. L’auteur fait preuve d’érudition et de rigueur pour « magnifier » des lieux malfamés, des ruelles sordides et crasseuses. En cela, la reconstitution de ce Paris éloigné du faste de la Belle-Epoque s’arroge des atours réalistes, en total contraste avec la connotation surnaturelle qui émane du récit. De façon indirecte, cette vision graphique se fait l’écho d’un contexte social acerbe et délétère.

On songe notamment aux actions des sœurs de l’ubiquité qui, à leur manière, défendent des valeurs toutes féministes. Le clivage entre les castes aisées et défavorisées est également de la partie, ne serait-ce qu’à travers le statut des partisans de la Pieuvre. Pour rappel, cette organisation mafieuse s’avance comme le point de mire de chaque ouvrage. Elle possède un réseau aux ramifications tentaculaires qui permet de mieux considérer et dépeindre son omnipotence. La grande force de la narration est d’inspirer sa présence, même lorsque ses membres sont absents des planches. La suggestion tient alors à une surveillance presque constante ; des yeux et des oreilles à chaque recoin de ruelles.

Comme évoqué précédemment, on retrouve cet aspect fantastique qui détonne dans le Paris du XIXe siècle. Certes, le paranormal est en vogue, mais sous le prisme de l’occultisme et du spiritisme. Gess y insuffle une connotation presque « super-héroïque » avec les talents que l’on peut assimiler sans mal à des pouvoirs. Ceux-ci demeurent néanmoins beaucoup plus vraisemblables que leur pendant littéraire dans les comics. On y distingue autant une utilité avérée qu’un lien étroit avec le tempérament de l’intéressé. À cela s’ajoute aussi un discours éthique sur les actes et les responsabilités qui incombent aux protagonistes.

En cela, l’une des principales différences avec La Malédiction de Gustave Babel est de s’orienter vers le côté de la loi, du moins dans un premier temps. Les talents sont davantage développés (et exploités), tandis que des cas de conscience pertinents s’imposent aux personnages. On peut même parler de dilemmes moraux en certaines circonstances. La qualité d’écriture donne lieu à un traitement subtil, bien éloigné de tout manichéisme. Dès lors, le lecteur s’interroge sur un clivage autre que sociétal : la morale face à la justice. Autrement dit : nécessité fait-elle loi lorsque cette dernière s’avère inopérante, voire impuissante ? Le propos est d’autant plus intéressant qu’il amène à des considérations sur la notion de vengeance à la fin du récit.

Au final, Un Destin de trouveur confirme toute la singularité des Contes de la Pieuvre et du talent artistique de Gess. On y retrouve ce trait de dessin très particulier, presque schématique sur certaines vignettes. Cette bichromie qui alterne teintes sépias et bleuâtres (pour les flashbacks). La narration n’est pas en reste avec une intrigue tendue et parfaitement orchestrée du point de vue de son évolution. Les personnages possèdent des caractères affirmés. De plus, ils font face à des cas de conscience qui nécessitent une réelle remise en question ; quitte à refouler ou exprimer sa véritable nature. Une fois de plus, il en ressort un roman graphique à la croisée des genres qui, au-delà de son originalité, interpelle sur les valeurs éthiques et morales ; que l’on dispose d’un talent ou pas. Subtil, sombre et implacable.

Note : 17/20

Par Dante

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