avril 25, 2024

Poppy Field – Gros Chavirement de Cœurs

Titre Original : Câmp de Maci

De : Eugen Jebeleanu

Avec Conrad Mericoffer, Radouan Leflahi, Alexandru Potocean, Cendana Trifan

Année : 2022

Pays : Roumanie

Genre : Drame, Romance

Résumé :

Un policier gay dans le placard, Cristi, perd le contrôle de sa vie après une manifestation homophobe à la projection d’un film LGBTQ+.

Avis :

Metteur en scène d’à peine trente ans, malgré son jeune âge, Eugen Jebeleanu a un parcours riche et impressionnant. Metteur en scène de théâtre, c’est à l’aube de sa vingtaine qu’Eugen Jebeleanu monte ses premières pièces de théâtre. Parlant quatre langues, Roumain, Anglais, Français et Allemand, Jebeleanu n’a pas vraiment de frontières, travaillant aussi bien en Roumanie, qu’en Allemagne ou en France, à travers des pièces qui mettent en scène des personnes lambda. Après avoir créé une quinzaine de pièces en l’espace de dix ans, Eugen Jebeleanu fait ses premiers pas dans le monde du cinéma.

Seul metteur en scène et réalisateur ouvertement gay de Roumanie, pays qui est aussi connu pour ne pas forcément être très tolérant, avec ce premier film, Eugen Jebeleanu fait un acte de courage, en réalisant un film aussi beau qu’il est injuste. Un film qui s’aventure sur un fait véridique, et à travers cet incident, et son personnage, le jeune cinéaste pointe du doigt le conservatisme de son pays, son intolérance, et le malaise des personnes LGBT qui pour certaines sont obligées de se cacher pour pouvoir exercer leur métier.

2013, une séance de cinéma est brutalement interrompue par un groupe de manifestants venu protester contre la diffusion de « The Kids are All Right« , un film indépendant américain où Julianne Moore et Annette Bening sont en couple. Une brigade de gendarmerie est envoyée sur place pour gérer la manifestation et parmi les policiers se trouve Cristi, un jeune homme d’une trentaine d’années, qui est homosexuel et qui fait tout pour le cacher, car si cela se savait, ça ne serait pas toléré. Or, l’espace de cette manifestation, la vie de Cristi risque fort bien de lui échapper, lorsque l’un des spectateurs le reconnaît, et le menace de le faire chanter.

Être gay ou lesbienne n’est jamais vraiment facile et pour beaucoup d’entre nous, nous avons de la chance d’être né dans un pays comme la France. L’intolérance et l’homophobie sont encore d’actualité et ça au sein même de l’Union européenne. Eugen Jebeleanu est bien décidé à le dénoncer avec un premier film qui conjugue intimité et politique, à travers le portrait d’un personnage sublime et bouleversant.

Adapté d’un fait réel, « Poppy Field » est un film qui chamboule les cœurs à plus d’un titre. Tenu par un scénario superbe, « Poppy Field » est un film qui se compose en deux parties, avec une introduction aussi intime que belle, et une seconde partie qui s’aventure sur cette manifestation, agrandissant ainsi l’objectif du réalisateur, qui peut ainsi parler de la politique de son pays, le conservatisme, et l’intolérance à plus d’une échelle.

Dans sa première partie, le réalisateur nous présente alors son personnage principal dans son intimité. Relation avec un amoureux français, le malaise vis-à-vis de sa famille, et plus largement du monde qu’il peut y avoir en dehors de son appartement. Cette première partie est mise en scène avec beaucoup de sensibilité, de tendresse et de vérité.

Puis une fois que le film s’aventure dans la vie professionnelle de son personnage, le réalisateur agrandit son angle de vue, tout en restant très proche de son personnage. Ainsi, au travers de ses collègues, des manifestants et de ce spectateur, Eugen Jebeleanu arrive sans mal à aborder toutes les intolérances que son pays peut réunir. Loin des clichés, loin des drames démonstratifs, loin du pathos, le scénario de « Poppy Field » se pose comme un bijou, car tout le film est retenu, avec cette obligation de tout garder pour soi. Cette obligation est l’une des très grandes forces du film d’Eugen Jebeleanu, car elle appuie et montre parfaitement le piège dans lequel se trouve ce personnage, confronté à ce qu’il est, sa profession et ce qu’on lui demande de défendre.

Pour appuyer ce sentiment, Eugen Jebeleanu fait preuve d’une grande maturité dans sa mise en scène, nous entraînant dans des scènes aussi fortes qu’elles sont belles, avec toujours ce sentiment d’intimité. Il faut dire que bien souvent, on ne peut être plus proche du personnage et de ses ressentis, parce qu’Eugen Jebeleanu fait le choix de plans-séquences impressionnants, parfaitement millimétrés. Des plans-séquences d’une richesse folle, qui nous enferment dans ce cinéma, et rendent au plus véridique les haines, les discours, les affrontements et toujours ce malaise fort, entre ce qu’est le personnage, ce qu’il pense, et ce qu’il doit défendre.

Le film fonctionne très bien aussi grâce à son acteur principal qui arrive la plupart du temps en silence, à nous faire passer tout ce qu’il peut ressentir. Cet acteur, c’est Conrad Mericoffer et dans la peau de ce policier, en plus de tenir un rôle terriblement courageux, il livre une interprétation nuancée qui ne cesse de nous bouleverser. D’ailleurs, il est si impactant et présent que malgré de bons acteurs qui l’entourent (notamment Radouan Leflahi qui incarne son mec, ou Alexandru Potocean qui est l’un de ses collègues), on a tendance à ne retenir que lui, tant il crève tout simplement l’écran.

Ce premier essai pour Eugen Jebeleanu est donc une belle et grande réussite. Ce scénario, allié à cette mise en scène et ce jeu d’acteur, est un tour de force qui bouscule nos cœurs à tout instant. Beau, dur et politique, romantique et triste, injuste et malheureusement essentiel, « Poppy Field » est assurément le grand film de cette vingtième édition du Chéries Chéris, alors quand ce film va sortir, ne le manquez pas.

Note : 17/20

Par Cinéted

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