avril 26, 2024

Sleeper

Auteurs : Ed Brubaker et Sean Phillips

Editeur : Urban Comics

Genre : Thriller

Résumé :

Holden Carver n’a jamais eu de chance. Et cette mission d’infiltration est un caillou supplémentaire dans la chaussure déjà bien usée de l’agent. Sous couverture depuis plusieurs années au cœur de la plus grande organisation mafieuse, Carver a pour mission de faire tomber le génie criminel Tao. Pour garantir une clandestinité totale, John Lynch, son supérieur, est le seul au courant de cette mission. Or, Lynch est actuellement dans le coma, laissant Carver dans le noir, exposé à l’intellect retors de Tao et contraint d’exécuter ses plus basses œuvres au péril de sa santé mentale…

Avis :

Au début des années 90, le dessinateur Jim Lee décide de se barrer de chez Marvel pour faire une série de façon indépendante avec Wildstorm. De là va découler une nouvelle maison d’édition, Image Comics, qui est aujourd’hui le troisième pilier de l’édition américaine aux côtés de Marvel et DC. Avec cet univers de super-héros extraterrestres, Jim Lee va créer un certain engouement avec des figures qui deviendront cultes pour bon nombre de lecteurs amateurs de comics. On peut aisément citer The Authority ou encore Wildcats. Le rapport avec Sleeper est tout simple, Ed Brubaker et Sean Phillips. Les deux compères vont se joindre à l’écurie de Jim Lee pour fournir des récits policiers qui prennent à contre-pied tout ce que l’on a pu connaître. Mettant en scène des super-humains dans des intrigues « simples », le duo va fournir un énorme travail, dont découlera Sleeper, leur plus belle œuvre.

A la base de Sleeper, il y a tout d’abord Point Blank. On va suivre l’histoire de Grifter, un ancien super-héros, qui va tout faire pour découvrir qui a tiré une balle dans la tête de John Lynch, son patron supposé invincible. Durant les cinq chapitres, nous allons assister à une enquête sombre, s’inspirant des polars noirs américains. Sauf qu’à la place d’une mafia tortueuse, on a droit à des héros torturés et des vilains qui ne se cachent même plus. C’est dans cette histoire que l’on va entendre parler de Holden Carver, héros de Sleeper, qui est une taupe ayant infiltré le gang du méchant Tao pour le faire tomber. Sauf que seul Lynch est au courant, et Grifter pense que Carver est responsable de la mort de son patron. Si l’intrigue peut paraître complexe, elle est limpide dans sa narration, et s’amuse même avec les contraintes temporelles sur un final qui montre les pouvoirs immenses de Tao.

Cette introduction est très clairement nécessaire à la bonne compréhension de Sleeper, car l’histoire débute avec John Lynch dans le coma, après avoir pris une balle dans la tête. De ce fait, ce petit rappel à l’ordre de la part de Urban Comics est un don du ciel, qui permet de mieux comprendre les personnages, l’histoire, mais aussi l’ambiance, qui restera sombre tout du long. Il faut dire que Sean Phillips n’a pas son pareil pour glisser de beaux aplats de noir au sein d’un récit qui se passe essentiellement la nuit. Tout cela rappelle, bien évidemment, le polar, dont l’intrigue s’inspire grandement, avec cette taupe qui doit ménager la chèvre et le chou pour ne pas se faire griller. Un polar qui n’oublie pas pour autant l’aspect héroïque des personnages, avec les pouvoirs et leurs implications. Spécificité qui, là aussi, trouve de belles idées originales.

Avec ce premier tome, on apprend alors la hiérarchie dans le gang de Tao, ainsi que les pouvoirs originaux de tous les personnages. Celui de Holden Carver est par exemple de pouvoir lâcher des décharges électriques, à condition de faire souffrir son corps, comme en prenant une balle par exemple. On y croisera aussi Génocide, un type à la force colossale et avec une peau impénétrable. Madame Malheur demeure invincible, son corps se régénérant quand elle lui fait subir de mauvaises choses. Peter Grimm peut instaurer une terreur sans nom dans la tête de ceux qu’il touche avec sa peau. Quant à Tao, il détient un pouvoir incroyable, étant capable de tout prévoir et connaissant tout sur tout. Bref, on fait face à des personnages intéressants par leur nature, mais aussi par leurs fissures. Ils ne sont pas lisses, loin de là, et certains sont même bien cabossés.

Pour nous faire ressentir de l’empathie, Ed Brubaker a l’idée de mettre en avant plusieurs flashbacks pour expliquer l’apparition des super-pouvoirs. On aura droit à des récits assez glauques, mais qui donneront de l’épaisseur aux personnages et une belle raison d’être de gros salopards. Difficile de ne pas ressentir de la colère avec le flashback de Génocide. Le passé hante d’ailleurs tous les personnages, aussi bien celui de Holden Carver, qui retrouve un amour perdu, que Tao, qui va expliquer sa volonté de chaos par sa naissance même. Durant le dernier acte, il explique vraiment sa façon de voir les choses, et va poser un dilemme au héros, qui ne peut que voir la clarté d’esprit du vilain, justifiant ses actes par une humanité en perdition. On plonge parfois dans la théorie du complot, et c’est vraiment passionnant, en plus d’être intelligemment écrit.

Il faut dire que le duo n’en est pas à son coup d’essai, et il concrétise ici un partenariat fort et qui essaye sans arrêt de déjouer les codes. Ici, on est vraiment dans un polar pur souche, qui n’aurait pas eu besoin de super-pouvoirs, mais dont ceux-ci s’intègrent parfaitement à l’intrigue. Cela permet même d’humaniser tout ce petit monde, avec des soucis sensiblement les mêmes que le commun des mortels. Sleeper est passionnant grâce à ce savant dosage et une noirceur qui n’épargne personne. Le trait de Sean Phillips est élégant et le dessinateur s’accapare parfaitement cette ambiance noir et lugubre, où chaque coin de rue peut être un coupe-gorge et où tout un chacun peut se venger dans le dos de l’autre.

Au final, Sleeper est une très belle réussite qui ne fait absolument pas son âge. Plus de vingt ans plus tard, l’intrigue tient toujours la route et le dessin reste un modèle du genre pour du polar noir. En posant des problèmes humains à des super-héros (vilains) et en humanisant le tout, le duo prend à contre-pied les démarches divines des autres comics et se rapprochent plus de nous, montrant que tout super-héros qu’ils sont, ils ont aussi des faiblesses, des failles et qu’ils sont humains, après tout.

Note : 17/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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