mars 29, 2024

Perdre la Tête

Titre Original : Kopfplatzen

De : Savaş Ceviz

Avec Max Riemelt, Isabell Gerschke, Luise Heyer, Joel Basman

Année : 2019

Pays : Allemagne

Genre : Drame

Résumé :

Markus, un architecte apprécié et propre sur lui, est pédophile. Le corps des petits enfants l’excite. Markus souffre de cette affliction. Il se dégoûte et se torture par rapport à cela. Mais il ne peut rien y faire, cette tare fait partie de lui. Alors qu’il est prêt à passer à l’acte, il s’isole de plus en plus pour ne rien faire. Il s’enferme alors, par peur de passer à l’acte.

Avis :

Réalisateur allemand quasi-inconnu chez nous, il est très difficile de trouver des éléments sur Savaş Ceviz tant le metteur en scène n’est pas vraiment sorti de l’Allemagne et tout ce je trouve sur lui est en allemand, et je n’arrive pas vraiment à le traduire. Savaş Ceviz débute sa carrière au cours des années 90 et il s’oriente dans le documentaire. Entre courts et moyens métrages, c’est finalement en 2007 qu’il réalise son premier long-métrage. C’est à cette même époque que l’idée de « Perdre la tête » commence à germer dans sa tête. S’il réalisera d’autres films, il développera en parallèle « Perdre la tête« , se confrontant à la recherche particulièrement difficile de fonds pour un tel film.

Je commence à en avoir vu des films, je pourrais même dire que je commence à avoir une sacrée carrière de spectateurs et cinéphiles, et parmi tout ce que j’ai pu voir, rarement un film m’aura fait cet effet-là, partagé entre un malaise permanent et un intérêt piqué à vif, tant Savaş Ceviz s’aventure dans un sujet et sur un axe quasi-inédit.

Pour son nouveau film « Perdre la tête« , le réalisateur allemand nous plonge dans la tête d’un pédophile. Le sujet est aussi terrible qu’il est difficile, car parler de la pédophilie est déjà glaçant, mais avec l’angle qu’a choisi Savaş Ceviz, c’est encore plus compliqué, et le portrait que livre là le cinéaste est vraiment, mais vraiment, dérangeant, car il fait le choix de parler d’un homme qui essaie de vivre contre ses pulsions.

Markus, la trentaine, est un homme bien installé dans sa vie. Si Markus est le fils, le voisin et le collègue parfait, une fois les portes closes, loin des regards, Markus lutte contre lui-même, car Markus est pédophile. Il n’est jamais passé à l’acte, et il ne veut pas passer à l’acte, mais il est aussi très difficile pour lui de lutter, d’autant plus qu’il ne peut en parler à personne. Les choses se compliquent encore plus lorsqu’une jeune femme et mère de famille emménage à côté de chez lui.

Pour le coup, cette chronique ne va pas être comme les autres, car il y a des films qui demandent plus que d’autres, et parmi tous les films que j’ai vus jusqu’alors, seul « La chute » d’Oliver Hirschbiegel m’avait fait ressentir ce malaise, cette demande de compréhension, et plus largement d’ouverture d’esprit, car le film arrivait à nous faire avoir, entre guillemets, de la compassion pour Hitler, et là, c’est en quelque sorte le même cas.

Ne jugeant jamais son personnage, avec « Perdre la tête« , ce qui intéressait Savaş Ceviz, c’était de peindre le portait d’un homme qui est en lutte permanente contre lui-même. Un homme qui essaie de vivre, tout en se haïssant profondément, car il ne se comprend pas et il n’a pas envie d’être ce qu’il est et ce « ça » le grignote petit à petit. Un homme seul, perdu, qui par honte et rejet aussi, n’arrive jamais à parler, alors qu’il ne demande que ça, et qu’il a besoin d’aide et qu’il en demande.

Ayant fait des recherches poussées, ayant écrit et réécrit son scénario et son personnage pendant près de quinze ans, car chaque instant, chaque scène, chaque émotion doit être précis et nuancé, Savaş Ceviz explore cette attirance extrême que certaines personnes peuvent avoir. Le scénario invite alors à une certaine réflexion, car comment peut-on faire pour ces personnes-là ? Comment réagir et les aider ? Et plus dur encore, comment les comprendre ? Autant de questions qui sans trouver de réponses, véhiculent des débats, des réactions et des émotions en fin de film.

De vous à moi, malgré l’intérêt que ce portrait a pu susciter en moi, une fois les lumières de la salle rallumées, il m’était impossible de me positionner, tant ce scénario n’a fait que bousculer en moi des émotions contraires, avec d’un côté un intérêt certain pour ce qui m’était raconté et de l’autre, un rejet total de ce personnage et un rejet encore plus fort, car dans sa détresse, dans sa perdition, il en est touchant. Après, j’ai eu une certaine chance comparée à d’autres, car à la fin de la projection, Savaş Ceviz et son acteur Max Riemelt étaient là pour parler du film, et faire face aux diverses réactions. Ce débat a aidé à mieux « apprécier » le film, d’autant plus que dans la salle, des personnes victimes de pédophile ont remercié le réalisateur pour cette plongée dans la psychologie de son personnage, car à travers lui, à travers ses actes, ses pensées, ses réflexions, quelques réponses personnelles ont pu être trouvées.

Ce qui met aussi mal à l’aise, en plus de son scénario, c’est la mise en scène intime de Savaş Ceviz. « Perdre la tête » est un film à fleur de peau, qui s’aventure beaucoup dans l’émotionnel. Là encore, le réalisateur, dans ce qu’il filme, ne juge pas son personnage et il essaie, avec ses défauts, ses démons, même aussi ses qualités, de s’approcher au plus près et au plus juste de son personnage. D’une certaine façon, cette mise en scène est brillante, aussi bien dans sa façon de raconter que dans son esthétique. Le réalisateur installe aussi pas mal de tension, ce qui pousse encore un peu plus le sentiment de malaise. Puis derrière ça, le réalisateur, pour mieux encore décrire son personnage, utilise pas mal de métaphores visuelles, notamment sur le sentiment de prédateur inoffensif, qui renforce la démarche de son réalisateur.

Puis enfin, « Perdre la tête » ne serait sûrement pas le film « délicat » et juste qu’il est sans l’incroyable performance de Max Riemelt qui tient là le rôle le plus dur de sa vie. L’acteur est incroyable de bout en bout, arrivant à transmettre dans ses silences, ses regards et ses larmes, tout le dégoût qu’il peut avoir pour lui, toute la détresse, la solitude, la honte, le renfermement sur soi-même qui est d’autant plus dangereux, ou encore toute « l’abjectitude » qu’il peut avoir envers lui-même et ceux qui sont comme lui. Le rôle est incroyablement complexe, dur et courageux en même temps, et d’ailleurs, lors du débat, Max Riemelt disait qu’il détestait entrer dans une salle juste après la projection du film, et affronter les premiers regards du public (même si après, il a toujours du positif). À noter aussi les très belles performances du jeune Oskar Netzel qui joue le jeune garçon, Isabell Gerschke qui incarne sa mère et Ercan Durmaz, le psy qui va suivre le personnage (tellement essentiel et glaçant).

Difficile donc, très difficile même, « Perdre la tête » se pose toutefois comme un film important. Oui, c’est l’un des films les plus perturbants que j’ai pu voir, c’est un film qui m’aura bousculé comme jamais, et un film qui m’aura demandé une réflexion folle, mais derrière ça, la réflexion est particulièrement intéressante. « Perdre la tête » est un film qui dit énormément de choses, que ce soit sur ces personnes-là, sur leur attirance et leur combat quotidien, mais aussi sur la société en elle-même, et ne pas en parler serait une erreur, car ce n’est pas parce qu’on n’en parle pas que ça n’existe pas et rien que pour cela, Savaş Ceviz livre un film terriblement courageux. Bref, si je ne reverrais pas ce film de sitôt, je ne regrette en aucun cas m’y être arrêté.

Note : 15/20

Par Cinéted

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