De : Hideo Sekigawa
Avec Takashi Kanda, Masao Mishima, Eiji Okada, Isuzu Yamada
Année : 1953
Pays : Japon
Genre : Drame, Guerre
Résumé :
Hiroshima, début des années 1950. Professeur au lycée, Kitagawa constate que nombre de ses élèves souffrent des séquelles de la bombe atomique. Il entame alors une discussion avec eux. Face à l’ignorance et à l’indifférence des Japonais, et afin que les victimes ne soient pas contraintes de vivre dans l’ombre de la société, ils estiment nécessaire que leurs compatriotes se rappellent ce jour si fatidique du 6 août 1945…
Avis :
En Occident, le cinéma des années 1950 s’est largement épanché sur le risque nucléaire. Cela passe par des films d’espionnage, faisant écho à la guerre froide, jusqu’à de nombreuses œuvres de science-fiction telles que Le monde, la chair et le diable. Il est intéressant de faire le rapprochement avec le cinéma nippon qui n’alerte pas sur pareille menace, mais exorcise le traumatisme d’Hiroshima et de Nagasaki. Pour cette première ville, on songe à des métrages emblématiques, comme Les Enfants d’Hiroshima de Kaneto Shindō ou encore Hiroshima mon amour d’Alain Resnais. Soit dit en passant, ce dernier fait écho au présent film à travers des images directement issues et à la présence d’Eiji Okada.
En l’occurrence, le personnage de cet acteur, le professeur Kitagawa, ne s’avance pas comme le protagoniste ou même le narrateur des évènements. Il se révèle le témoin des conséquences de la catastrophe à travers les stigmates de l’irradiation sur ses propres élèves. À cet égard, son incrédulité renvoie à la sidération des victimes. Dans le domaine du nucléaire, les symptômes et les recherches médicales portant sur les effets sur le corps humain n’en sont qu’à leurs balbutiements. Il y a donc un recul pragmatique, presque cynique, qui émane de cette figure d’autorité. Par la même, cette prise de conscience est d’autant plus douloureuse qu’elle ravive les cicatrices du passé.
L’occasion est alors donnée de revivre le 6 août 1945 et les jours qui s’ensuivent à travers le point de vue des survivants. Ce flashback pour le moins conséquent inaugure un esprit communautaire, certes aux accents nationalistes, mais qui traduit une certaine forme d’insouciance. Cela peut paraître paradoxal étant donné que l’effort de guerre demeure constant et la crainte de l’ennemi vivace, sinon permanente. Preuve en est avec cette surveillance du ciel et une menace planante. Toujours est-il que la mise en contexte anesthésie la vigilance des personnages et celle du spectateur. Ce qui renforce d’autant plus le choc lorsque la bombe annihile Hiroshima.
Dès lors, l’éclair blanc précède à une souffrance peu commune. Avec une froideur tout objective, la caméra s’attarde sur le sort des victimes ; de ce soldat qui tente de sauver sa femme des flammes à ces enfants piégés dans les ruines de leur école. Rarement, la violence des images a pu se montrer aussi percutante, implacable, à la suite d’un ravage total. En ce sens, les mouvements inconstants et les gestes vagues des survivants se font l’écho de leur détresse, de leur douleur. Là encore, on constate une divergence entre l’assimilation des masses à une désolation globale et une affliction individuelle. On revient alors à ce soldat qui erre, à la recherche de ses enfants, avant de succomber.
On a souvent targué le film d’Hideo Sekigawa de fresque anti-américaine, justifiant par la même l’oubli du métrage dans les contrées occidentales. Pour autant, cette impression est inexacte, pour ne pas dire fallacieuse. Certes, le cinéaste présente les faits sans langue de bois. Il fustige également l’exploitation commerciale de la catastrophe à travers un tourisme morbide, eu égard aux dérives capitalistes américaines. Cependant, le réalisateur n’épargne guère la politique du Japon. Il se veut d’ailleurs plus sentencieux, car il démontre la volonté de mentir au peuple et cet aveuglement patriotique des militaires. À ce titre, la scène où un officier affublé de guenilles hurle à tout-va en brandissant un drapeau en lambeaux demeure le symbole le plus explicite de cet état de fait.
Au final, Hiroshima s’avance comme une œuvre implacable, d’une dureté qui confère au nihilisme dans le devenir des survivants. Hideo Sekigawa évoque autant les ravages immédiats que les conséquences à moyen terme du largage de la bombe A. L’image de ces pauvres hères qui déambulent à la manière de morts-vivants (ce qu’ils sont vraisemblablement) est d’autant plus percutante qu’elle s’ancre dans un contexte historique. Le cinéaste expose également les errances patriotiques du gouvernement nippon et son aveuglement qui débouchent vers un cataclysme similaire à Nagasaki, trois jours plus tard. Il en ressort un drame poignant, particulièrement âpre dans cette propension à dépeindre l’enfer des victimes dans une réalité dénuée d’espoir, de perspectives d’avenir.
Note : 18/20
Par Dante