octobre 5, 2024

Ivar Bjornson & Einar Selvik – Skuggsjà

Avis:

Se lancer dans un side-project résulte souvent d’un précédent succès et, surtout, d’une envie de se départir d’une image. L’une des plus grandes occurrences dans la scène métal reste la transition entre Slipknot et Stone Sour pour Corey Taylor. Un contraste pour le moins marqué qui démontre un répertoire varié. Si la carrière d’Einar Selvik a démarré avec Gorgoroth et, par la suite, d’autres formations de black metal, Wardruna lui a offert une notoriété internationale. En parallèle de ces formidables albums de folk pagan, l’artiste n’a pourtant pas renoncé aux tonalités les plus sombres de la musique norvégienne. Son duo avec Ivar Bjørnson, chanteur et multi-instrumentiste d’Enslaved, se présente comme une incursion beaucoup plus frontale que les chants traditionnels et épiques auxquels il nous a habitués.

En filigrane du bicentenaire de la constitution norvégienne, cette réunion est encore à son état embryonnaire en 2014. Ce qui s’avance comme un projet ponctuel débouche par une véritable collaboration dont Skuggsjá est la concrétisation de deux années de gestation. L’idée est de célébrer la culture scandinave dans toute la richesse qui la compose. Le contraste entre black metal et folk pagan est suffisamment large pour développer un formidable potentiel, à la convergence de styles foncièrement dissemblables. Au vu de la discographie des deux artistes, il ne s’agit pas d’associer des influences aux antipodes uniquement pour faire preuve d’originalité, mais de jouer de complémentarité pour marquer les esprits.

D’ailleurs, le titre de l’album est porteur de sens. Issu du vieux norrois, le terme « Skuggsjá » signifie « miroir ». Il reflète alors une profonde dualité qui caractérise le duo, leur personnalité respective, mais aussi celle de l’auditeur. On se confronte à une alternance d’intonations abruptes, de riffs saturés avec une tonalité épique, voire mystique, à certains égards. Pour ce dernier point, l’ouverture amorce un démarrage en douceur qui travaille surtout la variation entre sonorités modernes et harmonies traditionnelles. À la manière d’un scalde, les paroles narrées et non chantées font office de trait d’union entre ces deux mondes.

Par la suite, l’influence de Wardruna demeure aisément décelable. Preuve en est avec le caractère épique et guerrier qui résulte du titre « Skuggsjá » où s’entremêlent percussions, cors et tambours. Bien qu’elle s’en affranchisse sans mal, la résonnance avec l’album Ragnarök reste frappante. Tout au long de l’écoute, on voyage à travers différents courants ; qu’ils soient d’ordre culturel ou temporel. Certains morceaux sont plus appuyés que d’autres pour s’insinuer dans le folk pagan ou le black metal. Cependant, la majeure partie des chansons s’efforcent de produire un syncrétisme, à la fois cohérent et naturel dans leur évolution.

Là encore, la découverte musicale révèle une technique parfaitement maîtrisée, des textes inspirés, ainsi qu’une richesse instrumentale remarquable. De mélodies lourdes en chœur masculin, les registres font montre d’une grande variété. On a même droit à une modeste incursion « heavy » qui propose plus de six minutes d’instrumentations qui lorgnent vers des considérations moyen-orientales, toute proportion mesurée. Si elle demeure furtive, on notera également l’irruption sentencieuse de corbeaux avec « Rop Fra Røynda – Mælt Fra Minne », dont la symbolique n’échappera pas à une oreille avertie.

Avec ses intonations folk pagan, on pourrait croire que l’aspect black metal soit en retrait. Sur la base d’une vue d’ensemble, il est vrai que l’équilibre penche en la faveur du premier courant musical. Comme évoqué plus haut, cela n’enlève rien à la complémentarité des deux styles qui parviennent à cohabiter de fort belle manière. On sent une véritable volonté de rendre l’album accessible sans pour autant faire de concessions sur l’héritage ou la violence de certains titres. L’effort se solde donc par un rapprochement sensible où le caractère traditionnel des rythmiques les plus posées et la connotation abrupte de l’instrumentation moderne puisent leur inspiration aux mêmes sources culturelles.

Au final, Skuggsjá s’avance comme une incursion étonnante et inattendue. Si l’on veut emprunter un raccourci facile, on peut considérer qu’Ivar Bjørnson & Einar Selvik s’essaye à jouer les morceaux de Wardruna dans un style contemporain. Ce serait pourtant occulter l’identité et la pertinence du projet qui tente de dépeindre deux pans de l’histoire musicale norvégienne. Autre que la collaboration du duo, la réunion est alors plurielle. Black metal et folk pagan, tradition et modernité, douceur et violence… À ce titre, la dualité occupe une place essentielle dans ce qui caractérise cette incursion qui fait s’enchaîner de nombreuses émotions, mais toujours avec la même constance qualitative.

  • Intro : Ull Kjem
  • Skuggsjà
  • Makta Og Vanaera, For All Tid
  • Tore Hund
  • Rop Fra Roynda – Maelt Fra Minne
  • Skuggeslatten
  • Kvervandi
  • Vitkispa
  • Bon Om Ending, Bon Om Byrjing
  • Outro : Ull Gjekk

Note : 16/20

Par Dante

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