Auteur : Sebastian Fitzek
Editeur : Le Livre de Poche
Genre : Thriller
Résumé :
Un paquebot, des disparitions mystérieuses…Depuis de longues années, des passagers du Sultan des mers – souvent une mère et son enfant – disparaissent après s’être vraisemblablement jetés par-dessus bord. C’est ce qui est arrivé à la femme et au fils de Martin Schwartz, Tim, alors qu’ils effectuaient une croisière sur ce paquebot. Depuis la mort de sa femme et de son fils Tim, Martin a perdu goût à la vie et assume, au sein de la police où il officie comme psychologue, des missions dangereuses, notamment au contact de pédophiles sans scrupules. Cinq années ont passé quand une femme mystérieuse, qui se prétend auteure de thrillers, l’invite à retourner sur Le Sultan des mers. Elle aurait des révélations à lui faire sur la disparition de sa famille. Une fois sur place, il reconnaît avec stupeur l’ours en peluche de Timmy dans les bras d’Anouk, une enfant disparue qui vient de refaire surface. Il comprend alors qu’il a été sollicité pour découvrir ce qu’a vécu la fillette que l’on cache dans la cabine 23.Au fil de son enquête, il mettra au jour le mobile de ces mystérieuses disparitions. Et découvrira que les disparus ne sont peut-être pas tous morts…
Avis :
Eu égard à bon nombre de mystères maritimes, les paquebots et les croisières de luxe sont généralement l’occasion d’explorer quelques légendes propres au fantastique ou à l’horreur. On songe notamment aux histoires relatives au triangle des Bermudes. En littérature, Jour quatre ou encore Le Ferry constituent de bien piètres exemples de ce que l’on peut faire en la matière. La faute à une intrigue mal maîtrisée, un cadre sous-exploité et des personnages inintéressants au possible. Si l’on souhaite rester dans le domaine du thriller ou du roman à suspense, on peut néanmoins se pencher sur Feux de détresse et La Disparue de la cabine N° 10.
Bien que fictive, l’histoire de Passager 23 se base sur quelques statistiques avérées où les disparitions sur les paquebots sont une réalité. Et tous les cas ne peuvent être expliqués par des suicides… Pour un auteur tel que Sebastian Fitzek, il s’agit là d’une manne providentielle pour écrire un huis clos maritime. N’en déplaise à la taille du navire, semblable à une petite ville flottante, il est bien question d’isolement sur ce géant des mers. Le fait de représenter le cadre comme une zone soumise à aucune législation territoriale concourt à développer une sensation oppressante tant physique que psychologique.
La menace est bien réelle avec des antagonistes dont les motivations restent floues. De même, l’impression d’être livré à soi-même demeure permanente. Pour ce faire, la perte de repères joue un rôle essentiel. Si l’architecture du navire et la progression sont cohérentes et parfaitement intelligibles, l’alternance entre des couloirs exigus, les quartiers d’équipages, les zones ouvertes aux voyageurs et les ponts font s’enchaîner les sentiments contradictoires. Un constat d’autant plus saisissant que l’on peut se retrouver reclus dans une impasse ou complètement égaré face à l’aspect labyrinthique des différents espaces de circulation.
En complément de cette réussite indéniable sur la forme, l’intrigue reste dynamique et guère avare en ce qui concerne les rebondissements. Les révélations sont distillées de telle manière à maintenir l’attention du lecteur tout au long de la trame. La grande qualité de l’ouvrage tient surtout à l’imprévisibilité des aboutissants. Même si l’on dispose d’éléments notables dans les tenants, les théories que l’on échafaude sont habilement détournées. Il n’est pas ici question de trouver des retournements téléphonés et peu crédibles, mais de manipuler notre perception à travers des détails en apparence anodins.
Un tel procédé n’est pas sans rappeler les polars de Pierre Lemaître où les faux-semblants dissimulent des vérités bien plus difficiles à admettre. Cela vaut autant pour les protagonistes que pour le lectorat. Par ailleurs, l’auteur traite de sujets assez épineux et finalement peu exploités, car ceux-ci sont considérés comme tabous ou marginaux. On songe à la pédophilie féminine qui, en l’occurrence, trouve une résonnance particulière dans l’ambiance générale. Par extension, on peut évoquer la trahison familiale, ainsi que la notion de vengeance. Mais il existe d’autres pistes laissées ouvertes pour démontrer que le paquebot peut être le lieu de tous les crimes et toutes les clandestinités.
Au final, Passager 23 est un thriller maritime comme on en voit peu. Au lieu de fournir une enquête dans les bas-fonds d’une grande métropole, Sebastian Fitzek délaisse l’environnement urbain propre à des histoires glauques pour cantonner celles-ci au beau milieu de l’océan. Outre cette formidable capacité à exploiter pleinement le cadre de son roman, l’auteur du Voleur de regards élabore une intrigue à contre-courant de nos a priori. Il en ressort un cheminement surprenant qui, jusqu’à la dernière page, offre des révélations pour appréhender le récit sous un point de vue différent. Une véritable plongée en eaux troubles qui met à mal l’image fantasmée des croisières de luxe…
Note : 17/20
Par Dante