Auteur : Johan Heliot
Editeur : Gallimard
Genre : Steampunk
Résumé :
Si la colonie libertaire de la Lune prospère grâce à la technologie extraterrestre développée par les Ishkiss, sur Terre rien ne va plus… La France est sous la coupe des ligues fascistes et l’Allemagne nazie se prépare à lancer la plus fantastique offensive de toute l’histoire. A Paris, Léo Malet, jeune cambrioleur anarchiste, fait une drôle de découverte en perçant le coffre d’un certain vieux maréchal. Ce sera le début d’un incroyable périple, qui conduira Léo, épaulé par Albert Londres, des bas-fonds de Paris aux hauts plateaux du Tibet, en passant par la forteresse du Haut-Koenigsbourg, le désert mexicain et Germania.
Avis :
Avec son précédent roman, La Lune seule le sait, Johan Heliot nous offrait un récit plein de surprises et d’originalité. Il y dépeignait une fin de XIXe siècle baroque où la rencontre avec une civilisation extraterrestre ne manquait pas de créer quelques dissensions. Relativement court, il en ressortait un ouvrage généreux, avant-gardiste où l’imagination débridée de son auteur parvenait à nous emporter en une époque bien différente de celle évoquée dans nos livres d’histoire. Après une conclusion qui laissait augurer une suite, ce deuxième tome prend place dans les années 1930 avec, en toile de fond, la montée en puissance du nazisme.
Ici, on poursuit notre exploration d’un monde rétrofuturiste qui délaisse le cadre victorien pour s’immerger dans un contexte autrement plus houleux : l’entre-deux-guerres. De fait, on ne parlera pas de steampunk, mais d’un courant secondaire : le dieselpunk. Derrière cette appellation improbable se cache la continuité naturelle de son homologue. Les fils de l’intrigue sont triturés au bon vouloir de l’écrivain avec le même entrain et, selon les domaines concernés, un temps d’avance sur certaines découvertes technologiques et scientifiques. Ce second volet confronte alors les Ishkiss (la race extraterrestre qui a colonisé la Lune) avec les membres du parti nazi.
Or, il est une donnée subtilement incorporée au sein du récit dont la teneur toute discrète influe directement sur le cours de l’histoire (la présente et celle avec un grand H). Les Allemands auraient gagné la Première Guerre mondiale. On ne s’attarde pas sur ce point de bascule, mais plutôt sur ses conséquences à moyen terme. Le lecteur se surprend à découvrir une Allemagne florissante qui s’est bâtie sur des bases plus saines qu’on lui connaît. Cependant, cela n’empêche pas l’émergence du NSDAP. Ses dérives ne sont pas focalisées sur les Juifs et les propos antisémites, mais sur les Ishkiss eux-mêmes. Du haut de notre satellite naturel, ces derniers étant estimés comme une injure arrogante à l’humanité.
Là encore, l’auteur évoque la présence des nazis comme une sorte de donnée irrémédiable ancrée dans l’Histoire. Les allusions à des réalités parallèles et les analogies avec notre monde rapprochent le discours du Maître du Haut-Château où l’on modifiait un événement en considérant ce qui est vraiment advenu comme un doux songe. Ici, le constat est le même. Toujours aussi subtiles et intéressantes à replacer dans ce qu’il implique pour le lecteur et les protagonistes. Au vu de l’écart temporel qui sépare ce deuxième volet du précédent, les protagonistes changent. Enfin, à quelques itérations prêtes dont il serait dommage de dévoiler la teneur en ces lignes…
On dit au revoir à Jules Verne pour saluer Léo Malet. Dans un registre différent, l’homme est également une référence, notamment dans le domaine de la littérature policière. Il n’est autre que le créateur de Nestor Burma et des Nouveaux mystères de Paris. Au fil des pages, Johan Heliot plonge l’écrivain dans une ambiance coincée entre fiction et réalité. On rencontre quelques figures célèbres et incontournables (Jean Cocteau, Jean Gabin, Danielle Darrieux…) tout en multipliant les allusions à l’œuvre de Malet. Son pseudonyme Omer Refreger, comme le cycle Johnny Métal, est subtilement incorporé à la présente intrigue. Pour les personnages politiques, le gratin du parti nazi est à l’honneur avec Hitler, Göring et Goebbels en tête de liste.
Il est vrai que cette suite tend parfois à plus de contemplation dans la description des lieux et des événements. Certaines lignes narratives auraient même gagné à être raccourcies. Par exemple, l’exploration de Germania, la nouvelle capitale de l’Allemagne, est abordée avec un cheminement beaucoup trop statique pour une opération d’infiltration. De même, plusieurs éléments concourent à épaissir le volume du livre avec pour unique but de fournir un minimum de caractères. Quand bien même, la plume de l’auteur reste agréable à plus d’un égard. Il est dommage que cela ne serve pas des passages plus pertinents. En contrepartie, on découvre d’autres facettes de la civilisation Ishkiss et son mode de fonctionnement.
Bien que cette suite soit en deçà de son prédécesseur, La Lune n’est pas pour nous n’en demeure pas moins un très bon roman. Dans une continuité surréaliste, Johan Heliot propose une vision décalée d’une page historique soigneusement détournée. Les fils qui nous relient à ce que nous connaissons du contexte sont encore plus ténus qu’auparavant. Entre purs fantasmes et réalités historiques, ce deuxième opus de la trilogie de la Lune se solde par une immersion toujours aussi agréable. Petit bémol au vu de la densité du texte et d’une trame néanmoins brève, la longueur de certains passages qui s’atermoient plus que nécessaire sur des points de détails. Une progression plus fluide et emportée aurait pu dynamiser le tout.
Note : 15/20
Par Dante