avril 16, 2024

La Forme de l’Eau – The Shape of Water – Un Torrent d’Amour

Titre Original : The Shape of Water

De: Guillermo Del Toro

Avec Sally Hawkins, Richard Jenkins, Michael Shannon, Octavia Spencer

Année: 2018

Pays: Etats-Unis

Genre : Fantastique

Résumé :

Modeste employée d’un laboratoire gouvernemental ultrasecret, Elisa mène une existence solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda découvrent une expérience encore plus secrète que les autres…

Avis :

Le cinéma fantastique est un genre très exigeant, contrairement à ce que pense la majorité des gens. Pour beaucoup, il suffit de placer un petit monstre dans un environnement réaliste pour faire du fantastique, mais si l’on veut toucher le public et le faire réfléchir sur des sujets très humanistes, il faut faire beaucoup plus. Et rares sont les réalisateurs aujourd’hui défenseurs de ce genre, surtout en France où la comédie et le drame prévalent. Cependant, s’il ne faut en garder qu’un, le placer sur un piédestal, ce serait sans hésitation Guillermo Del Toro. Il faut dire qu’il a tout compris au genre et comme il le dit si bien lors des interviews, il utilise le fantastique pour montrer l’humanité des monstres et la monstruosité des humains. Ainsi donc, sa filmographie force le respect, interrogeant sans cesse sur ce que nous sommes profondément, nous confrontant à un fantastique qui nous ramène à notre propre état d’humain, à ce qui est essentiel. Entre Le Labyrinthe de Pan, Hellboy, L’Echine du Diable, Cronos ou encore Crimson Peak (son film le plus mal-aimé), Guillermo Del Toro garde toujours en tête de donner une dimension tragique à ses films, rendant le monstre plus humain que l’humain.

Auréolé du Lion d’or à Venise, de deux Golden Globes dont le meilleur réalisateur, La Forme de l’Eau – The Shape of Water pourrait se voir comme le film de la consécration pour le réalisateur mexicain. Dixième long-métrage, c’est grâce à lui que le cinéma fantastique retrouve ses lettres de noblesse, offrant quelque chose de beau et cruel, de bienfaiteur et de tragique. Avec ce film, Guillermo Del Toro transcende le genre pour amener de la matière, de la réflexion, de la beauté, et nous rappeler à quel point il est essentiel de s’aimer malgré nos différences et que la normalité n’est qu’un dictat imposé par une société qui a peur de ce qui lui est étranger. Bref, La Forme de l’Eau – The Shape of Water mérite bien toutes ses récompenses, et on va rentrer un peu plus en détails dans les raisons de ce succès.

L’histoire est relativement simple. Nous allons suivre la routine d’Elisa, une jeune femme de ménage dans une société scientifique. Elisa a la particularité d’être muette et donc d’être différente des autres personnes. Sa meilleure amie est noire, son meilleur ami est homosexuel et dans cette routine, elle va tomber en pamoison devant une créature marine humanoïde étrange. Alors qu’elle tisse des liens très forts avec la créature, elle décide de la sortir du laboratoire pour la sauver d’un sort funeste. Bien évidemment, avec un tel pitch, il est difficile de ne pas penser à L’Etrange Créature du Lac Noir de Jack Arnold. Et pour cause, puisque Guillermo Del Toro ne s’en cache absolument pas et cite ce film comme première référence pour La Forme de l’Eau. Et les références sont multiples dans ce film. A travers cette histoire, le réalisateur va mettre tout son amour pour le cinéma, mais aussi pour l’art en général. Si le cinéma fait partie intégrante de son métrage, avec plusieurs mises en abîme, il ne délaisse pas pour autant le reste. La peinture, le dessin, la danse, le chant, le théâtre seront aussi des pièces maîtresses de ce film qui rend un vibrant hommage à la culture, renouant avec le passé pour en faire quelque chose de novateur et de réellement vibrant. Toutes ces références sont savamment digérées pour fournir un spectacle grandiose, un ballet incessant, qui donne au film une aura incroyable.

Mais ce qui frappe le plus avec La Forme de l’Eau, c’est sa maîtrise constante de la mise en scène. On remarque rapidement que la caméra est quasiment toujours en mouvement. Les lignes de fuite dans ce laboratoire étrange sont nombreuses, les perspectives sont souvent lointaines et ces mouvements permettent de créer un ensemble cohérent avec la dynamique du métrage. Il n’y a aucune faute de goût dans ce métrage et chaque plan est sublimé soit par une caméra divinement bien placée, soit par une photographie à tomber par terre. S’éloignant volontairement de ses autres films, Guillermo Del Toro opte pour des teintes bleues et vertes, rappelant le milieu marin, mais aussi pour des couleurs plus chaudes, comme le rouge orangé, donnant un peu de chaleur à l’ensemble, contrebalançant une froideur. Alors il est vrai que ce film est peut-être moins enchanteur que les autres métrages du cinéaste. Il n’y a qu’un seul monde, la narration est linéaire, il n’y a qu’une seule créature, mais en épurant au maximum son univers, Del Toro va pouvoir créer plus d’empathie entre le spectateur et ses personnages, et aussi placer quelques messages plus politiques dans un métrage fantastique. En effet, La Forme de l’Eau n’est pas qu’une simple histoire d’amour, c’est aussi un film d’une profondeur importante, jouant avec la politique, les sciences et l’histoire.

Car réduire La Forme de l’Eau à son simple écrin serait une erreur. Le film va brasser une multitude de thématiques importantes et parfois toujours d’actualité. Bien entendu, nous nagerons en pleine guerre froide et les espions russes seront présents, ce qui donnera certaines séquences assez tendues, mais on retrouvera aussi un racisme anti-noir très prégnant et une certaine façon de mettre les homosexuels sur le ban de la société. On pourrait reprocher à Del Toro de chausser de gros sabots pour dénoncer une société qui n’hésite pas à évincer les minorités pour se complaire dans une certaine normalité, mais cela va mettre en évidence de jolis messages. Tout d’abord, montrer qu’un homme bien sous tous rapports, hétéro, avec des enfants, peut être un gros malade mental, alors que ceux que l’on considère comme des rebuts sont tout ce qu’il y a de plus humain. Avec ce film, le réalisateur mexicain décide de montrer que la normalité n’est pas un gage de santé mentale et que malgré nos différences, nous devrions plutôt nous accepter. Il s’agit d’un travail qu’il fait depuis de nombreuses années à travers ses films, mais avec La Forme de l’Eau, il rentre en plein dans ses thématiques de prédilection et pointe du doigt la monstruosité de l’humain, alors que ceux qui ne sont pas normaux, sont ceux qui ont le cœur sur la main. Entre la muette, l’homosexuel, l’espion russe, la noire et la créature, Guillermo Del Toro lance un beau message de tolérance et d’amour.

Un message qui sera d’autant plus touchant car il est porté par des acteurs complètement investis dans leurs rôles. En premier lieu, Sally Hawkins est relativement incroyable dans ce rôle d’une femme muette, pas forcément malheureusement, mais qui souffre de sa différence. On ressent sa monotonie au début du film, dans cette routine ennuyeuse, puis on va la voir s’ouvrir de plus en plus auprès de cette créature, où elle sourit d’une façon sereine. L’actrice est formidable et fait des merveilles, tout comme Richard Jenkins qui est très touchant ou encore Octavia Spencer qui est très drôle. Au rayon des méchants, Michael Shannon est effrayant à souhait. Son personnage est antipathique dès le départ et on va voir son manque d’amour à travers divers scènes qui peuvent sembler anodines (l’amour sans jouir à sa femme, la bise de ses enfants dont il se fiche, etc…) mais qui montre à quel point cet homme est vide. Guillermo Del Toro met en opposition deux mondes, celui de la normalité, qui manque d’émotions, et celui des autres personnes, en dehors des codes, et qui pourtant débordent d’amour. C’est beau, c’est poétique, c’est parfois cru et cruel, mais encore une fois Guillermo Del Toro sublime son film avec son message, son imaginaire débridé et son amour pour le genre et le public.

Au final, La Forme de l’Eau – The Shape of Water est bel et bien la réussite tant décrié à travers les différents festivals. Si certains crieront au scandale à cause des portes ouvertes qu’enfoncent le réalisateur, il n’en demeure pas moins que son film est d’utilité publique, délaissant le cynisme ambiant pour offrir une œuvre forte, touchante, belle et gracieuse. Guillermo Del Toro s’impose comme l’un des derniers grands défenseurs d’un cinéma fantastique intelligent, féérique, indépendant, et il livre avec ce film son projet le plus personnel, le plus abouti et certainement l’un de ses plus réussis.

Note : 19/20

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Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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