Auteur : Philip K. Dick
Editeur : J’ai Lu
Genre : Uchronie
Résumé :
En 1947 avait eu lieu la capitulation des alliés devant les forces de l’axe. Cependant que Hitler avait imposé la tyrannie nazie à l’est des Etats-Unis, l’ouest avait été attribué aux japonais.
Quelques années plus tard la vie avait repris son cours normal dans la zone occupée par les nippons. Ils avaient apporté avec eux l’usage du Yi-King, le livre des transformations du célèbre oracle chinois dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Pourtant, dans cette nouvelle civilisation une rumeur étrange vint à circuler. Un homme vivant dans un haut château, un écrivain de science-fiction, aurait écrit un ouvrage racontant la victoire des alliés en 1945…
Avis :
Il est de ces auteurs qu’on ne présente plus. Leur œuvre et leur statut les ont propulsés dans des sphères d’influence insoupçonnées. Avec Asimov, Philip K. Dick est sans doute l’écrivain de science-fiction le plus important du XXe siècle. Ceci étant, l’homme est connu pour ses livres où l’originalité se mêle à une manipulation de la réalité unique. Au point que ses visions métaphoriques rendent ses histoires (très) particulières, voire difficiles d’accès. Alors que ses romans n’ont pas le succès escompté, il s’attelle au Maître du Haut-Château. Histoire parfois décriée et souvent considérée comme l’un des piliers de l’uchronie, on lui attribue également la place de premier chef d’œuvre de son géniteur.
Au vu du pitch de départ (le régime nazi a remporté la Seconde Guerre mondiale face aux Alliés), on pourrait croire que Philip K. Dick se soit inspiré de Swastika Night. Un récit des années 1930 qui dénonçait l’ingérence d’un camp et les dérives de l’autre dans une fiction très polémiste (et néanmoins lucide) pour l’époque. C’est pourtant Autant en emporte le temps de Ward Moore conjugué à un projet avorté sur Martin Borman qui constitue le terreau du présent ouvrage. Si l’idée initiale dispose d’un potentiel incroyable, l’auteur ne s’y attarde qu’en de trop rares occasions et préfère le laisser en toile de fond plutôt que d’explorer ses méandres.
En cela, il est vrai que ce choix ou ce point de vue peut décontenancer, voire décevoir, pour ceux et celles qui désirent plonger dans une Amérique totalitaire soumise au dictat nazi. Si l’on a pleinement conscience de l’occupation et de la division des pays selon une géopolitique remaniée, le contexte s’efface progressivement au profit du quotidien des principaux intervenants. Qui plus est, la côte ouest des États-Unis devient les États pacifiques d’Amérique dominés par… les Japonais. En de telles circonstances, les implications du Reich se font surtout par l’entremise de quelques conciliabules et flashs d’informations à la radio.
À travers son style d’écriture (phrases courtes et incisives), la culture asiatique prédominante et l’importance du Yi-King au sein de l’intrigue, on sent la volonté de l’auteur à adopter le point de vue du vainqueur en territoire conquis. Ce n’est pas pour autant que l’on sombre dans la complaisance ou le dénigrement total. La grande force de Philip K. Dick est de se jouer de la narration pour alterner les phases où l’uchronie s’apparente à une utopie, puis à une dystopie, selon le personnage concerné. Une approche très déstabilisante qui nous éloigne des images de la France sous l’occupation où les lignes de conduite étaient clairement définies entre envahisseur, collaborateurs, résistants et masse silencieuse.
Autre point sur lequel l’auteur offre plus de profondeur à son intrigue : plier le concept de la réalité en une idée abstraite et informe. Pour ce faire, il ajoute une histoire secondaire (ou pas) où la présence d’un roman, Le poids de la sauterelle, fait grand bruit puisqu’il narre la victoire des Alliés sur l’Axe. Dès lors, les repères sont sens dessus dessous, le livre dans le livre devient une fiction qu’on tient pour la réalité ou inversement en fonction qu’on adopte le point de vue des protagonistes ou si l’on conserve son statut de lecteur. Cela peut paraître complètement abscons et métaphorique, mais ces interrogations supplantent toute autre considération, surtout dans son dénouement qui présente une marge d’interprétation assez large et peut laisser un goût d’inachevé en travers de la gorge.
Malgré certains passages qui tendent à s’atermoyer sur des points de détails ou des séquences dont on a du mal à déterminer la véritable utilité sur la finalité, Le maître du Haut-Château s’avère une œuvre singulière, déconcertante et audacieuse. Philip K. Dick use du contexte pour mieux se pencher sur ce qui définit la réalité quand on plie les pages de l’histoire à notre bon vouloir. Il en ressort des impressions contradictoires qui peuvent expliquer à elles seules la particularité même de l’ouvrage. À savoir, un roman exigeant dont les bases historiques ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Sous la surface, l’intelligence du lecteur est mise à rude épreuve pour ne pas se laisser distancer par les conceptions métaphoriques d’un écrivain autant incontournable qu’inclassable. Comme le livre l’évoque : « Ce qui compte n’est pas de comprendre le livre dans son entièreté, mais de l’accepter tel qu’il est. »
N.B. En plus d’une nouvelle traduction, l’édition J’ai lu (Nouveaux millénaires et poche) présente en fin d’ouvrage deux chapitres de la suite, Après le Haut-Château. Histoire inachevée qui aurait pu amener d’autres clefs de réponses.
Note : 17/20
Par Dante