Auteure : Jeanne-A Debats
Editeur : ActuSF
Genre : Urban Fantasy
Résumé :
Je m’appelle
Agnès Cleyre et je suis une sorcière. Une vraie cette fois. Ignorée durant
toute mon existence par mes consœurs, voilà que la Grande Mère a enfin décidé
de m’intégrer dans un convent. Mais pas le temps de m’interroger sur cet
étrange revirement de situation. Au même moment, tous les vampires du Cénacle
Majeur viennent de périr dans un mystérieux attentat, laissant à l’étude
notariale de mon oncle la délicate question de la succession à régler et la
garde d’un étrange coffre qui attire bien des convoitises. Serait-ce à cause de
lui d’ailleurs qu’une pieuvre géante de l’espace s’est mise en tête de nous
rayer de la surface de la Terre ?
Ma parole, tout l’AlterMonde semble devenir fou au même moment. Il ne
manquerait plus que la fin du monde…
Avis :
Le troisième tome de la série du Testament change de ton, et clôt la trilogie d’une manière efficace, époustouflante et originale. Jeanne-A Debats nous montre, une fois de plus, qu’elle sait comment créer un univers riche, qui nous tient en haleine et qui continue de nous éblouir, tout en amenant un humour particulier, mais qui fonctionne la plupart du temps quand il est bien dosé. Contrairement au second tome dont les dialogues ampoulés, et les personnages présomptueux pullulaient pour ne rien apporter de captivant, le troisième tome se concentre davantage sur une intrigue complexe et de qualité.
On retrouve la troupe des héros que l’on connaît bien, avec une Agnès qui continue de grandir, acceptant petit à petit ses capacités de sorcière et son héritage ; un Navarre toujours aussi cynique, qui nous laisse entrapercevoir ses émotions et son côté sensible ; un Géraud hautain, calculateur et froid ; et une Zalia qui reste extravagante, avec ses tenues multiples et ses transformations physiques colorées.
Le lecteur apprécie cette équipe de choc imprévisible et atypique, bien que l’auteure semble vouloir garder une certaine distance entre les lecteurs et ses personnages, notamment à travers un vocabulaire soutenu, mis en avant souvent sans explication, ou des réflexions peu sympathiques envers un public qui ne connaîtrait pas les termes qu’elle utilise. L’Etude travaille en effet dans un domaine demandant des connaissances pointues en droit, langues et sociologie, ce qui ne constitue pas des concepts éprouvés par tous. L’humour manque cruellement de subtilité lors de ces passages aux messages douteux, qui ne seront pas appréciés par tout le lectorat.
Le troisième tome nous embarque dans une aventure endiablée, grâce à laquelle nous découvrons d’autres espèces étonnantes de l’univers de l’AlterMonde. En plus des kitsune, ou des faunes, rencontrés dans Alouettes, Humain.e.s, trop humain.e.s nous présente des créatures aux tentacules multiples, au langage alambiqué, et au genre incertain, ainsi que d’autres êtres désarticulés dignes de fictions d’horreur. Cette diversité donne de la force à l’histoire, et donne des frissons lors de scènes d’action bien menées et passionnantes. L’AlterMonde a tant à nous offrir, et ne déçoit pas, bien au contraire.
Grâce à ces apparitions étonnantes, et qui s’avèrent imbriquées parfaitement dans l’intrigue principale, l’auteure en profite pour nous faire part de quelques réflexions à propos du genre. Associées à l’ère du temps, Jeanne-A Debats les met en valeur en utilisant la nouvelle écriture inclusive, ou non genrée, que l’on retrouve d’ailleurs dans le titre du livre. Les passages usant de cette technique ne sont pas lourds, car peu nombreux et utilisés de manière intelligente. Ils permettent au roman de véhiculer des messages porteurs, qui n’hésitent pas non plus à appuyer sur la condition féminine, plutôt malmenée, même dans le futur proche imaginé par l’auteure. Féministe sur les bords, non-sexiste dans ses propos, ce roman affiche clairement ses positions avec obstination et courage. Que l’on soit d’accord ou non, tout y reste assumé.
Ce troisième tome nous offre également de merveilleux mots sur l’humanité, ce qu’elle représente, ce qu’elle était et ce qu’elle pourrait devenir. L’intrigue principale tourne autour de ce thème, sans tomber dans les pièges des idéologies simplistes, complotistes ou un peu trop envolées. L’auteure nous propose une conclusion optimiste, belle, qui fait du bien, alors que la noirceur de l’univers dépeint ne laissait rien soupçonner. Le lecteur ressort de cette aventure avec plein d’entrain, heureux d’avoir donné de son temps à cette histoire pleine de promesses, et dont la chute coupe littéralement le souffle. L’histoire de ce livre constitue certainement la plus passionnante de la trilogie et ne cesse d’étonner, tout du long.
En plus d’une intrigue alliant enquêtes, mysticisme, conflits de famille, et messages sociologiques, le récit développe le personnage d’Agnès, et nous révèle enfin ses origines, ce qui constituait une sous-intrigue prenante, et le dernier mot ne déçoit pas. Les activités de sorcières d’Agnès prennent de l’ampleur, notamment quand elle intègre un convent, accompagnée par deux nouvelles venues qui vont la suivre et la soutenir lors de cette ultime aventure. Ces deux jeunes femmes inédites constituent des caractères bien trempés, qui amènent des dialogues dynamiques, plein de verves, et des rires bienvenus. Ce trio efficace éblouit par ses capacités extraordinaires et par la force qui se dégage de leurs liens puissants. De plus, le lecteur aimera en apprendre davantage sur le système des sorcières créé par Jeanne-A Debats, entre fascination et stupéfaction.
Ajoutés à la narration, l’auteure a agrémenté ce dernier tome de passages concernant le passé de Navarre, qui nous conte ses premiers pas de vampire via ses carnets. Ces courts chapitres n’apportent rien à l’intrigue principale, si ce n’est dans ses derniers mots, quand le lecteur visualise enfin les liens subtils existants. Cependant, ils nous permettent de mieux connaître Navarre, un vampire aux milles aventures, et aux multiples souvenirs, qui a été un humain sensible avant de devenir un vampire froid.
A travers son histoire et celle de Géraud, la question concernant le fait de vivre pour l’éternité est mise au premier plan. Comment continuer à vivre, à s’attacher quand tous ceux que l’on aime finissent par mourir ? Vivre des milliers d’années constitue-t-il une véritable chance ou la plus terrible des malédictions ? Humain.e.s, trop humain.e.s nous partage plusieurs points de vue intéressants.
Le prologue, bien qu’il donne envie de savoir toutes les étapes qui ont permis aux personnages d’en arriver à la scène décrite, comme tout bon prologue, permet à l’auteure d’ajouter un point d’humour inattendu, lors d’un passage tendu qui ne prêtait pourtant pas à rire. Une belle créativité !
En plus de dialogues énergiques, de jeux de mots sarcastiques, et de contrepèteries crues qu’il n’est pas toujours évident de comprendre, l’auteure affuble Agnès de deux « accessoires » à la fois mignons et anormaux : un chat, le familier que la sorcière doit garder près d’elle alors qu’elle en est allergique, et une épée qui ronronne tout comme la petite boule noire que la jeune femme transporte partout. Accompagnée de ses deux nouvelles acolytes décrites plus haut, et de ces deux derniers compagnons, Agnès devient plus forte, plus mature et apprend à s’accepter, évitant d’imiter l’humeur exécrable de son oncle à tout prix, ou les sarcasmes moribonds de Navarre.
La série Testament se termine de manière incroyable, grâce à une histoire magique, à des révélations étonnantes et des rebondissements inattendus. L’atmosphère lugubre, agrémentée par les loup-garous et les vampires déjà présents dans les tomes précédents, continue de nous fasciner, tout en véhiculant de beaux messages positifs.
Note : 18/20
Par Lildrille