juillet 20, 2025

La Vengeance d’un Acteur – Manipulation Théâtrale

Titre Original : Yukinojô Henge

De : Kon Ichikawa

Avec Kazuo Hasegawa, Ayako Wakao, Fujiko Yamamoto, Eiji Funakoshi

Année : 1963

Pays : Japon

Genre : Drame

Résumé :

Yukinojo, célèbre acteur de kabuki, vient jouer à Edo avec sa troupe. Un soir, sur scène, il reconnaît dans le public les trois hommes qui ont provoqué la ruine et le suicide de ses parents : le magistrat Dobe et les commerçants Kawaguchiya et Hiromiya. À l’époque, il avait alors juré de les venger coûte que coûte. Yukinojo compte bien tenir sa promesse et va pour cela se servir de la fille de Dobe, Dame Namiji, tombée amoureuse de l’acteur…

Avis :

En Asie, comme en Occident, le milieu du 7e art recèle bon nombre de cinéastes aux carrières hétéroclites. Certains sont de véritables touche-à-tout, tandis que d’autres peuvent être plus ou moins contraints d’enchaîner les films de commande pour se tailler une réputation. À bien des égards, Kon Ichikawa correspond à ces deux catégories de réalisateurs. Doté d’un tempérament indépendant, il a souvent été forcé d’accepter des projets contractuels pour travailler sur des productions plus personnelles. Avec La Vengeance d’un acteur, on distingue aussi ces deux pans de l’industrie cinématographique. Un peu comme s’il s’agissait des deux faces d’une même pièce…

Au Japon, l’histoire du présent métrage bénéficie d’une grande popularité. À l’origine, il est question d’un feuilleton d’Otokichi Mikami, publié dans les quotidiens et les journaux avant de paraître en librairie. Dans les années 1930, ce best-seller donne lieu à une première adaptation sur grand écran. Sous la forme d’une trilogie, on retrouve déjà Kazuo Hasegawa dans le rôle de Yukinojō Nakamura. Cette incursion se solde par une approche nerveuse qui fait la part belle à l’action et augure du succès à venir du chanbara. Par la suite, l’engouement pour le film de sabre ne se démentira pas, au point de phagocyter le genre et de ressasser des intrigues similaires avec un minimum de variétés.

« La Vengeance d’un acteur s’avère aussi intéressant que délicat à appréhender. »

Pour Kon Ichikawa, le projet de remake de La Vengeance d’un acteur s’avère aussi intéressant que délicat à appréhender. S’il constitue une étape charnière dans sa carrière, eu égard à ses rapports avec les studios Daiei, la production suscite des attentes évidentes. Grâce à une écriture pleine de subtilité, le réalisateur va pourtant les détourner et apporter une dynamique différente au récit originel. En lieu et place d’un rythme effréné, prompt aux affrontements, il privilégie les ficelles mélodramatiques et psychologiques. Audacieux dans ses intentions, ce choix se révèle judicieux pour rendre la narration moins prévisible qu’escomptée.

En règle générale, il est vrai qu’une histoire de vengeance reste assez linéaire dans son déroulement. Une telle thématique demeure manichéenne dans ses propos. Certes, les enjeux sont bien établis et ancrés dans un contexte qui distille quelques critiques sous-jacentes sur la politique impériale de l’époque d’Edo. Soit dit en passant, la brève retranscription des émeutes dues aux manques de vivres, aux velléités mercantiles de certains hauts dignitaires, présage de la chute du régime et de la restauration Meiji. Cela étant dit, tout l’intérêt de l’intrigue consiste à atermoyer sur les intentions du protagoniste, ses états d’âme et ses remords.

« L’occurrence au théâtre kabuki est centrale. »

Il se retrouve prisonnier de son devoir, de ses responsabilités. Cette impression surgit de manière explicite à travers la mise en scène. On songe, entre autres, à ces plans excentrés où le cadre supplante tout autre sujet. Dès lors, nombre d’intervenants paraissent opprimés par l’absence de perspectives. Celles-ci sont pourtant présentes, ne serait-ce qu’à travers la romance avec la fille d’un de ses ennemis. Il est intéressant de considérer que la sincérité des sentiments de Yukinojō contraste avec ses motivations initiales. Kazuo Hasegawa fait montre d’une interprétation nuancée, à la fois sensible et implacable, forte et faible.

Cette dichotomie se retranscrit à merveille dans le personnage de l’onnagata, figure emblématique du théâtre japonais où le masculin côtoie le féminin. L’occurrence au théâtre kabuki est centrale. On songe à la séquence d’introduction, ainsi qu’à une réalisation inventive qui floue les frontières entre la représentation sur les planches et un cadrage similaire pour décrire des moments de la vie quotidienne. C’est le cas, par exemple, de ce format large et horizontal pour dépeindre une scène théâtrale ou une déambulation nocturne des protagonistes. Un peu comme si Yukinojō ne parvenait pas à se défaire de ses rôles, de son statut. Le côté épuré de certains plans, voire l’exposition de scènes sur fond noir, renforce cette singularité.

Au final, La Vengeance d’un acteur est plus une affaire de manipulations que de règlements de compte. Le concept de la vengeance revêt des apparats insidieux où les manœuvres du personnage principal visent à atteindre son objectif premier. Kon Ichikawa s’affranchit des considérations basiques, voire moralisatrices, sur la notion de vengeance. Son approche anticonformiste apporte une grande qualité d’écriture. Cela concerne aussi bien les protagonistes que l’intrigue elle-même. On peut également saluer sa réalisation qui possède des atours esthétiques remarquables. À mi-chemin entre le théâtre et le cinéma, une vision traditionnelle et contemporaine, son film multiplie les discordances de ton, les oppositions ; qu’elles présentent un caractère formel ou conceptuel. Il en ressort une expérience maîtrisée et déroutante.

Note : 17/20

Par Dante

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