avril 20, 2024
BD

La Malédiction de Gustave Babel

Auteur : Gess

Editeur : Delcourt

Genre : Fantastique

Résumé :

Juillet 1913 : La Pieuvre envoie Gustave Babel abattre un homme, mais quand il arrive, ce dernier est déjà mort. Décembre 1913 : nouveau contrat, mais cette fois, l’homme se suicide sous ses yeux. 1914 : infiltré dans les rangs de l’armée allemande, Babel voit sa cible disparaître sous des tirs d’artillerie. Profondément déstabilisé, il va devoir affronter visions et cauchemars qui le mèneront tout droit à un passé enfoui et à son pire ennemi : L’Hypnotiseur.

Avis :

Lorsqu’on évoque les années 1910, on songe immanquablement au premier conflit mondial qui a succédé à la Belle-Époque. À travers l’imaginaire collectif, les images véhiculées d’un Paris fantasmé prévalent, délaissant parfois un contexte délétère, miné par la pauvreté. Déjà connu pour Les Brigades chimériques ou les cycles de Carmen McCallum, Gess se lance dans une telle incursion historique avec La Malédiction de Gustave Babel. Il est question de dépeindre le milieu du crime organisé et un Paris « souterrain » sous le point de vue d’un assassin à la coupe échevelée et au caractère circonspect. Cela sans oublier un étrange mélange des genres, à la lisière du fantastique.

Bien que l’intrigue prenne place en 1925, le narrateur et protagoniste se replonge dans ses souvenirs. D’emblée, ce roman graphique impose un style visuel épuré où les nuances sépia apportent une tonalité surannée, sans pour autant sombrer dans la nostalgie. L’homme, dont le devenir ne fait guère de doute, se rappelle sa vie passée, non sans regrets et amertumes. On distingue immédiatement les contradictions qui forgent le personnage. S’il ne fait guère preuve d’élans d’affection, son côté taciturne dénote une grande sensibilité aux belles-lettres, à la poésie. Le récit multiplie les références et les citations à l’œuvre de Jorge Luis Borges, sans oublier Les Fleurs du mal de Baudelaire.

La complexité du protagoniste s’étend à la manière dont il appréhende son métier, sa froideur calculée et, à certains égards, son honnêteté vis-à-vis de ses employeurs. Gustave Babel détonne par son comportement mesuré ; dans ses réparties, comme dans ses gestes. Au-delà de ses compétences à occire son prochain, son talent pour parler les langues, dialectes et patois du monde interpellent. Dans cet univers baroque, les membres de la mafia parisienne possèdent tous une capacité, un talent. La manipulation par la parole, l’hypnose… Comme son patronyme le laisse entendre, Gustave Babel est un « polyglotte de l’extrême ».

Il est simplement dommage qu’au fil des planches, cette aptitude se résume à des voyages internationaux pour honorer quelques contrats. Il y a bien des conversations en langues étrangères, traduites, et présentant des notes en bas de page pour distinguer les langues. Cependant, il aurait été appréciable d’approfondir cet élément majeur de l’histoire. Comme évoqué précédemment, cette dernière oscille entre une réalité brutale et des égarements oniriques. Les deux aspects sont indissociables, tandis que les rêves (ou cauchemars) du principal intéressé tentent d’éclairer l’amnésie qui occulte son passé. Ces séquences se démarquent par des teintes plus sombres et des dialogues minimalistes, voire absents.

Gess insuffle une atmosphère très particulière à son roman graphique. S’écartant d’une démarche classique, il travaille son récit de telle sorte à ce que les images n’imposent pas un point de vue inaltérable. Le lecteur doit interpréter cette vision subjective, en préciser les contours à sa convenance. Sans doute est-ce pour cela que les traits physiques sont grossièrement dépeints, la sensation de mouvements évanescente. À différentes reprises, on a alors l’impression que la réalité se fond dans le rêve et inversement. Une manière de donner corps aux vers de Baudelaire, au caractère tourmenté des œuvres citées.

Au final, La Malédiction de Gustave Babel est un roman graphique d’une grande originalité. Premier volume des Contes de la Pieuvre, cette incursion dans un Paris poisseux se démarque par son ambiance insaisissable dans un contexte violent et pernicieux. Cela sans compter sur quelques changements de registre avec des incursions dans la campagne italienne ou les rues bondées du Caire. Des dessins épurés, une galerie de personnages écorchés vifs, une histoire qui flirte avec les frontières d’une poésie tout onirique… Le récit de Gess s’avance comme une singularité audacieuse qui tient de l’OVNI littéraire, tant il s’affranchit d’un traitement classique quant à sa narration ou son parti pris graphique.

Note : 16/20

Par Dante

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