Titre Original : The House
De : Emma de Swaef, Niki Lindroth Von Bahr, Paloma Baeza
Avec les Voix Originales de Helena Bonham Carter, Matthew Goode, Claudie Blakley, Paul Kaye
Année : 2022
Pays : Etats-Unis
Genre : Animation
Résumé :
Dans cette comédie noire animée, une mystérieuse maison unit une famille pauvre, un développeur anxieux et une propriétaire exaspérée à travers des époques différentes.
Avis :
Avant d’évoluer vers un style à part entière, le stop motion est un procédé qui a fait les beaux jours du septième art en tant qu’effets spéciaux. On songe au Monde perdu d’Harry Hoyt, à de nombreux travaux de Ray Harryhausen et même à la trilogie originale de Star Wars. Progressivement, la technique a cédé la place à des méthodes plus fluides et « modernes ». Le stop motion est alors devenu une véritable figure de proue d’un cinéma artisanal qui se perd, à tout le moins qui se fait trop rare au regard du potentiel artistique et à sa qualité graphique. Il n’y a qu’à évoquer des chefs d’œuvre telles L’Étrange Noël de monsieur Jack, Coraline ou la saga de Wallace et Gromit pour s’en convaincre.
Sortie en toute discrétion, La Maison présente les atours d’une production indépendante avec les moyens conséquents d’un grand studio. Le rapprochement peut paraître antinomique, surtout au vu du concept et des récits avancés. Aussi, ce film d’animation s’annonce comme une singularité dans le catalogue de Netflix. Le genre de projet ambitieux qui ne paie pas de mine et révèle des trésors d’inventivité, tant dans sa manière d’amorcer les intrigues que dans sa mise en scène. D’emblée, la réunion de trois histoires distinctes interpelle, ne serait-ce qu’à travers l’atmosphère qu’elles dégagent entre horreur, thriller claustrophobique et conte onirique.
À travers un cadre commun, La Maison propose trois visions dissemblables, presque contradictoires dans ce qu’elles suggèrent. Le premier segment joue sur les ficelles de l’épouvante. Très librement inspiré du pacte faustien, le scénario possède une qualité d’écriture très subtile, presque insidieuse dans sa façon de déstabiliser le spectateur. On coupe ce dernier de ses repères, même si l’on distingue çà et là certains codes propres aux récits de hantise. Mais cette première incursion ne se résume pas à une banale histoire de fantômes, loin s’en faut. L’aura qui émane de la demeure dérange. Cela tient à son architecture, son luxe immaculé ou ces personnages intrusifs qui surviennent de manière inopinée.
Malgré sa superficie, il s’en dégage un sentiment d’oppression palpable à la simple traversée d’un couloir ou à l’occupation du vaste salon. Les échanges sont perclus de sous-entendus, non dénués de cette étrangeté omniprésente. Assurément glauque et pernicieuse, cette première découverte est saisissante, et ce, en dépit d’une intrigue d’à peine 30 minutes. De la mise en scène, vertigineuse et sibylline, aux protagonistes baroques, tout concourt à entretenir le malaise, à multiplier les comportements obsessionnels pour traduire la possessivité des lieux. Il s’en dégage une prouesse graphique et narrative du plus bel effet.
Le second segment enchaîne sur un cadre contemporain. Sorte de home invasion aux douces influences hitchcockiennes, le récit se penche sur le quotidien d’un agent immobilier dont la carrière est passablement en difficulté. Là encore, le parti pris est évident et l’approche se montre sensiblement différente par rapport à son prédécesseur. On songe à l’anthropomorphisation des souris pour magnifier un panel d’intervenants hauts en couleur, eu égard aux antagonistes. Cette deuxième histoire joue davantage sur les ficelles du huis clos. Bien que l’on distingue également cette tonalité fantastico-horrifique, on s’immisce dans le thriller psychologique.
Il y est toujours question d’obsessions, de réactions erratiques qui se manifestent dans des circonstances déroutantes, voire extraordinaires. Cela tient à cette manie de la propreté, cette peur plus ou moins rationnelle de l’infestation de sa propriété ; qu’il s’agisse de parasites ou de squatteurs… D’ailleurs, il est difficile de ne pas songer à Parasite de Bong Joon-ho dans les thématiques développées, ainsi que dans l’appropriation des lieux. Moins percutant que le premier récit, il en ressort une incursion probante où la folie s’invite au sens propre, comme au figuré, au sein d’un foyer qui n’en détient que le nom…
Enfin, la troisième histoire tranche littéralement avec ce qui a pu être initié jusqu’alors. D’ambiances malsaines et délétères, on se confronte à une vision métaphorique de la maison. On délaisse alors le matérialisme de celle-ci pour en faire une allégorie de l’esprit. Un refuge que l’on nourrit de ses pensées, de ses peurs, de ses espoirs. Ce troisième segment joue sur la portée existentielle de la vie, le cheminement de l’individu à travers des rencontres fortuites et les épreuves que recèlent le quotidien. L’idée est bonne, même si le rendu suggère un effort d’implication supplémentaire pour décrypter des situations qui amalgament des considérations prosaïques à une approche spirituelle, voire ascétique.
Au final, La Maison est un film d’animation original qui n’hésite pas à prendre des risques. Cela vaut autant pour son style graphique que pour la bizarrerie de ses histoires. Trois récits qui, à leur manière, traduisent l’obsession sous bien des formes ; de la psychose à l’ambition, de la nécessité de posséder jusqu’à cette tendance monomaniaque de la propreté. La succession des genres demeure fluide et bien amenée, tandis que la caractérisation vient parfaire l’excellent a priori général. L’approche et le ton sont tels qu’il est difficile d’anticiper la suite des évènements. À la fois glauque, inquiétant, merveilleux ou saugrenu, on oscille constamment entre le cauchemardesque et l’onirisme pour fournir un travail de fond admirable. Discrète par sa promotion, il en ressort une œuvre insolite et audacieuse.
Note : 17/20
Par Dante