Auteur : Luke McCallin
Editeur : Gallimard
Genre : Polar, Historique
Résumé :
Début 1944, le capitaine Gregor Reinhardt, officier des services de renseignements militaires, vient d’être réaffecté aux Feldjaegerkorps, une nouvelle branche de la police militaire aux pouvoirs très étendus .
Alors que l’armée allemande tâche de se retirer de Yougoslavie sans trop de pertes, Reinhardt est contacté par les témoins d’un massacre de civils commis, semble-t-il, par les rebelles croates Oustachis.
Mais Reinhardt découvre très vite qu’il y a là bien plus qu’un simple incident de guerre. Quand il identifie les cinq premiers corps mutilés, son enquête commence à attirer l’attention du
pouvoir. Ses amis sont arrêtés et les enjeux montent. Tandis qu’il tente de découvrir la vérité, son propre passé et ses liens avec les Oustachis menacent de ruiner ses efforts. Certains ont la mémoire longue et se souviennent trop bien de Reinhardt…
Avis :
S’il est particulièrement difficile de s’insinuer dans le polar historique, surtout pour un premier roman, Luke McCallin a fourni un effort remarquable en la matière avec L’Homme de Berlin. Au terme de onze années d’écriture, l’auteur est parvenu à dépeindre un contexte précis et réaliste sur l’Europe de l’Est en pleine Seconde Guerre mondiale. Au-delà de la qualité narrative, il en ressortait des investigations menées avec rigueur et circonspection pour entretenir l’intérêt sur le long terme. À peine un an après sa parution, La Maison pâle s’avance comme sa suite directe et inaugure la seconde enquête du capitaine Gregor Reinhardt.
Hormis l’introduction qui évoque l’année 1944, l’intrigue de La Maison pâle prend place en 1945, alors que la fin du conflit s’amorce. D’emblée, on retrouve cette application pour décrire le cadre temporel non par des faits ou des symboles connus de tous, mais par le quotidien des populations. Le protagoniste effectue son retour à Sarajevo. Pour autant, on ne sombre guère dans la répétition. On distingue aisément l’évolution de la situation qui devient plus chaotique. Preuve en est avec les exactions des oustachis dans une ville ravagée, pour ne pas dire massacrée, sous couvert de prétextes ethnoraciaux qui ne dépareillent pas en comparaison de la doctrine nazie.
Auparavant, Luke McCallin évoquait les oustachis et leurs méfaits, mais cet aspect ne constituait pas le point central de L’Homme de Berlin. Ici, le sujet est beaucoup plus développé dans le sens où il ne s’agit pas uniquement d’une toile de fond, mais d’antagonistes à part entière. De problèmes d’autorités et de cohabitations, sans compter les ingérences des différentes factions, Reinhardt se retrouve confronté à des dilemmes moraux. Ceux-ci se révèlent d’autant plus vivaces au fil des chapitres qu’ils suggèrent une ambivalence évidente entre le devoir militaire et l’application de la justice. L’évolution du personnage demeure nuancée et particulièrement sensible.
Comme pour le premier tome, les actes de Reinhardt sont motivés par ses fonctions d’inspecteur de police en tant que feldjägerkorp. La présente enquête insuffle aussi une réflexion sur le crime de guerre et le crime de droit commun. En pleine tourmente, le sentiment d’impunité vient justifier les exactions perpétrées. De même, les responsables mettent en avant la notion de nécessité sous couvert d’impuissance et de valeurs morales détournées. Le propos demeure pertinent pour présenter une justice complaisante qui ne peut même pas se prétendre « à deux vitesses ». La connotation est d’autant plus appuyée qu’elle concerne les traumatismes de guerre et leur impact sur le quotidien des populations civiles.
En ce qui concerne le fonds de l’enquête, on remarquera également une évolution qui s’éloigne de l’enchaînement des interrogatoires avec les investigations. La structure se révèle plus équilibrée afin de diversifier les points de vue et la nature des séquences, ne serait-ce qu’à travers l’évocation d’un passé commun. Ainsi, l’ensemble demeure parfaitement cohérent pour faire avancer le récit. Le style accessible et immersif de Luke McCallin n’est d’ailleurs pas étranger à ce très bon a priori pour alterner enquête de terrain, analyse des scènes de crimes, dialogues et quelques intermèdes dans l’intimité des protagonistes.
Au final, La Maison pâle confirme l’excellente qualité des enquêtes du capitaine Gregor Reinhardt. Ce second volet évoque le contexte chaotique de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe de l’Est. En parallèle d’une érudition historique indéniable, le livre s’attarde sur des thématiques complexes à mettre en œuvre sans se départir de son objectivité. On songe aux crimes de guerre, aux traumatismes psychologiques des batailles ou encore à la perdition morale de l’individu sous le prétexte fallacieux d’une autorité « supérieure ». Pour ne rien gâcher, l’enquête principale et la manière de la structurer respectent les fondamentaux de tout bon polar. Un auteur en passe de devenir une valeur sûre en matière de roman policier historique.
Note : 16/20
Par Dante