avril 24, 2024

L’Homme de Berlin – Luke McCallin

Auteur : Luke McCallin

Editeur : Gallimard

Genre : Policier

Résumé :

Gregor Reinhardt est officier dans l’Abwehr, en poste à Sarajevo en 1943. Avant la guerre, il était policier à la secton criminelle de Berlin, la fameuse « Kripo ». C’est un homme consciencieux, un militaire qui a toujours tenu le nazisme à distance.
C’est aussi un homme profondément triste depuis qu’il a perdu sa femme et son fils. L’une est morte dans ses bras à l’hôpital et l’autre lui a totalement échappé, tombé sous l’emprise du nouveau régime et parti combattre sur le front de l’Est.
A quelques jours du déclenchement de l’opération « Schwarz » dans les Balkans, une jeune et ravissante journaliste bosniaque, proche des Oustachis, est retrouvée assassinée chez elle en compagnie d’un officier allemand. Reinhardt doit démêler au plus vite les fils de ce meurtre trouble, c’est un ordre « prioritaire » de ses supérieurs.

Avis :

Quelle que soit la période concernée, le polar historique implique une parfaite connaissance du contexte afin de crédibiliser l’intrigue. Celle-ci demeure fictive, mais s’ancre dans une réalité plus ou moins éloignée. Cet exercice littéraire permet de se démarquer des habituels thrillers contemporains qui, malgré des titres de qualité, ressassent généralement un cadre urbain et des enjeux où les antagonistes rivalisent de violences et de machiavélisme. L’incursion offre un contraste bienvenu pour aborder le genre sous un angle différent, sinon plus original. Pour son premier roman, Luke McCallin s’immisce au cœur de la Seconde Guerre mondiale, lorgnant du côté de Philip Kerr, Richard Birkefeld ou encore Harald Gilbers.

Contrairement à d’autres ouvrages du même acabit, L’Homme de Berlin ne s’insinue pas dans l’Allemagne nazie. L’intrigue se tourne vers l’Europe de l’Est et les Balkans, plus précisément la ville de Sarajevo. À défaut d’être foncièrement inédite, l’incursion dans de telles circonstances demeure suffisamment rare pour retenir l’attention. Toute la singularité de la ville et de la région se définit par cette convergence des communautés, des cultures et des religions, comme les Serbes et les Croates, les musulmans et les catholiques. L’ensemble forme un écheveau particulièrement complexe à dépeindre et à assimiler.

Cela tient, entre autres, à des relations aussi confuses que conflictuelles. On songe à ces entraides, ces inimitiés ou ces alliances d’un soir. Ce clivage est particulièrement bien représenté dans le présent ouvrage, car il peut être une résultante du crime perpétré, à tout le moins une piste non négligeable. Cette opposition des forces se manifeste également dans les joutes intestines qui accaparent la hiérarchie militaire et civile des ressortissants allemands. Ce n’est pas tant le sentiment d’une occupation illégitime qui prévaut, mais des divergences propres au régime nazi. D’un côté, on distingue les opportunistes et les carriéristes. De l’autre, des individus contraints de s’adapter par la force des choses.

On retrouvait une approche similaire avec les enquêtes de Richard Oppenheimer d’Harald Gilbers. À savoir, intégrer un personnage fort aux compétences indéniables dans un contexte qui échappe à son contrôle. Pour Gregor Reinhardt, le travail de caractérisation est semblable puisqu’il ne partage pas les valeurs du régime nazi. Ce qui permet de nuancer le propos en s’éloignant des facilités d’un traitement par trop manichéen. On distingue alors un policier impliqué et parfois téméraire, écartelé entre sens de la justice et du devoir dont les oppositions tiennent autant au respect des grades militaires qu’à la volonté d’appliquer la loi à tous ; quel que soit l’uniforme porté. Cela sans compter les dérives extrémistes de ses contemporains.

En ce qui concerne la reconstitution historique, l’intrigue profite d’une grande rigueur dans les descriptions, les évènements réels et l’immersion dans un environnement inquiétant. Le lecteur peut bénéficier de repères pratiques avec, en fin d’ouvrage, des notes, une présentation des personnages (relativement nombreux), ainsi qu’une comparaison bienvenue des grades militaires. Ceux-ci font alors la distinction entre la Wehrmacht, la SS et l’armée française. L’atmosphère délétère est palpable et cela ne tient pas à une violence physique, sauf pour évoquer en filigrane les exactions des oustachis. La peur du front et les joutes verbales suffisent à intimider les intervenants pour rendre le climat d’autant plus paranoïaque quant à une absence de liberté et de multiples délations.

Au final, L’Homme de Berlin constitue un polar historique recommandable à plus d’un titre. La qualité de la narration permet aussi bien développer le contexte que le déroulement de l’enquête avec méticulosité. S’il est vrai que la construction se base essentiellement sur une alternance investigations/interrogatoires, l’enchaînement des faits demeure fluide et naturel par rapport aux précédentes séquences. S’insinuant dans un cadre à la fois singulier et oppressant, le premier roman de Luke McCallin surprend par sa maîtrise littéraire et historique du sujet. Il en ressort une intrigue convaincante qui s’affranchit de tout dualisme afin de rendre son issue d’autant plus incertaine.

Note : 16/20

Par Dante

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