De : Abel Ferrara
Avec Lili Taylor, Christopher Walken, Annabella Sciorra, Edie Falco
Année : 1996
Pays : Etats-Unis, Angleterre
Genre : Horreur
Résumé :
Brillante étudiante en philosophie à l’Université de New York, Kathleen prépare activement sa thèse de doctorat. Un soir, elle croise sur son chemin une étrange et séduisante femme qui la conduit de force dans une impasse avant de la mordre au cou. Bientôt, Kathleen va développer un appétit féroce pour le sang humain qu’elle assouvira en attaquant ses proches ou des inconnus…
Avis :
Si sa carrière commence réellement dans les années 70, avec notamment des films relativement sulfureux (Driller Killer, L’Ange de la Vengeance), c’est surtout dans les années 90 qu’Abel Ferrara sera touché par la grâce. Après l’excellent King of New York, déjà avec Christopher Walken, il va enchaîner avec Bad Lieutenant, Snake Eyes et le remake de Body Snatchers. Le réalisateur a alors le vent en poupe et va s’octroyer un petit plaisir en 1995, faire un film de vampires contemporains, en noir et blanc, sur fond de philosophie, qui signera aussi sa dernière collaboration son scénariste, Nicholas St John. Etrange, parfois envoûtant comme trop verbeux, The Addiction est un film à l’image de son réalisateur, assez punk dans l’âme, critiquant certaines choses, mais restant dans un écrin assez difficile d’accès. Plus de vingt-cinq ans plus tard, que réside-t-il de ce film à part sur nos amis suceurs de sang ?
La philo, c’est de la merde
Le film propose de suivre le parcours chaotique de Kathleen, une jeune étudiante en philosophie qui a peu confiance en elle. Un soir, alors qu’elle rentre chez elle, elle se fait agresser par une femme qui la mord au cou. Dès lors, Kathleen change petit à petit, tombe malade et devient accro au sang. Elle attaque alors sans distinction ceux qui croisent sa route. D’un point de vue scénaristique, on pourrait croire que The Addiction ne sort pas vraiment des sentiers battus, mais c’est faux. Derrière sa trame linéaire et assez commune au mythe vampirique, Abel Ferrara va y apporter une grosse pincée de cynisme et une volonté de briser les codes, comparant les vampires à des drogués. Dès lors, le comportement de l’héroïne change, elle devient étrange, mutique, tout en ayant plus confiance en elle et soudoyant certains hommes avec son charme.
Le film, assez avare en dialogue, perclus de non-dits et de silences, va se faire un malin plaisir à citer à tours de bras des citations philosophiques sur la vie. On pourrait presque croire à un pamphlet sur les phrases toutes faites qui résument à elles seules une vision étriquée de la vie, ou de la mort. Sauf qu’en filigrane, on va vite se rendre compte que cette étudiante en philo va faire voler en éclats toutes ces citations, ces belles paroles, pour démontrer que la vie est complexe et que toutes ces belles envolées ne résument aucunement ce que l’être humain peut ressentir. En un sens, Abel Ferrara se moque de façon maline de la philosophe et de ces penseurs qui estiment avoir le savoir absolu alors qu’ils n’ont vécu que peu d’expériences. Ainsi donc, The Addiction est un film qui veut évoquer le contraire de ce qu’il abuse.
Et la religion dans tout ça ?
Le film d’Abel Ferrara est un film qui brasse une multitude de thématiques. Cependant, elles restent assez difficiles à cerner, car le film est difficile d’accès. Outre son côté anti philosophique, The Addiction est aussi un film qui va parler de la solitude et place l’héroïne comme quelqu’un d’assez détestable. Elle se sent seul, elle fait ses phrasés inutiles, et pourtant, tout autour d’elle, tous les gens sont prêts à l’aider quand elle se sent mal. Elle rejette tout le monde quand elle n’attaque pas des personnes pour s’abreuver de leur sang. Philo et solitude vont alors se combiner avec la religion chrétienne, pointée du doigt ici comme une sorte de rédemption, chose que n’accepte pas son réalisateur, mais qui se plie au délire de son scénariste à conter cœur. Cela apporte un final qui dénote avec le reste de l’œuvre et c’est dommage.
Ce qui est aussi dommage, c’est l’aspect très hermétique du film. Outre le noir et blanc qui ne s’explique pas vraiment ni dans l’histoire, ni dans le contexte, on reste face à un personnage détestable qui ne va faire que détruire qui qu’il y a autour d’elle. Le schéma narratif est assez classique, linéaire et il suit même celui de L’Ange de la Vengeance de 1981. Une jeune femme qui se fait agresser, puis qui va se reconstruire de façon autonome en se venger et qui se termine dans un bain de sang au milieu d’une foule surprise et terrorisée. Abel Ferrara reprend un peu ses anciens mécanismes, dans l’espoir de créer une fin détonante, mais qui n’en est pas une. Couplons cela avec un fort mutisme et des paroles philosophiques souvent ennuyeuse et The Addiction devient un film parfois difficilement supportable, et quelque fois pénible à suivre.
Abel Ment
Enfin, s’il y a bien un point sur lequel on ne peut passer, c’est la négativité de l’ensemble. Abel Ferrara n’est pas un être jouasse et cela se ressent dans ce film. Tous les personnages sont pénibles et détestables. De la première vampire qui agresse sans que l’on ne sache trop pourquoi, à ce pauvre Christopher Walken qui va intervenir une paire de minutes en tant que vampire expérimenté. On peut aussi citer le professeur adultère qui se fait charmer avant de se faire bouffer, ou encore les quelques personnes qui viendront semer le chaos dans le vernissage en fin de métrage. Tout ce petit monde se tourne autour sans vraiment avoir de consistance, hormis Kathleen, qui prend place au centre du métrage, alors qu’elle-même n’a pas vraiment de background. Abel Ferrara la place au même niveau que les autres, et cela ne fonctionne pas vraiment.
Au final, The Addiction est un film qui reste très étrange, très obscur, relativement difficile à appréhender tant il remue plein de choses différentes. Certes, le film est loin d’être mauvais et se vit comme une expérience à part entière, mais il reste hermétique. De part ses choix artistiques, d’une part, mais aussi de par son axe choisi autour de la philosophie et de son cynisme dégoulinant. On pourrait presque rapprocher ce film avec le Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch, mais ce dernier était une vraie réussite, filmant de manière sublime l’ennui de deux êtres éternels. Ici, Abel Ferrara reste dans une ambiance poisseuse pour dépeindre les errances d’une femme perdue, sans repères, déblatérant des phrases toutes faites pour mieux nous en dégoûter. Bref, un film très complexe et qui laisse un sentiment mitigé.
Note : 12/20
Par AqME