Auteur : Ken Follett
Editeur : Robert Laffont
Genre : Historique
Résumé :
En l’an 997, à la fin du haut Moyen Âge, l’Angleterre doit faire face à des attaques de Gallois à l’ouest et de Vikings à l’est. Les hommes au pouvoir exercent la justice au gré de leurs caprices, s’opposant non seulement au peuple, mais aussi au roi. Sans l’existence d’un État de droit, c’est le règne du chaos
Dans cette période agitée, trois personnages voient leurs destins s’entrecroiser. La vie du jeune Edgar, constructeur de bateaux, bascule quand la seule maison dans laquelle il n’ait jamais vécu est détruite au cours d’un raid viking, le forçant lui et sa famille à s’installer dans un nouveau hameau et repartir de zéro. Ragna, jeune noble normande insoumise, se marie par amour à l’Anglais Wilwulf et le suit de l’autre côté de la Manche. Cependant, les coutumes de la terre natale de son époux sont scandaleusement différentes des siennes. Tandis qu’elle prend conscience que dans son entourage se joue une bataille perpétuelle et violente pour le pouvoir, elle craint que le moindre faux pas n’ait des conséquences désastreuses. Aldred, moine idéaliste, rêve de transformer sa modeste abbaye en un centre d’érudition qui serait reconnu à travers toute l’Europe. Chacun d’eux à son tour s’opposera au péril de sa vie à l’évêque Wynstan, prêt à tout pour accroître sa richesse et son pouvoir.
Avis :
Si la carrière de Ken Follett a été auréolée de nombreux succès littéraires, la saga Kingsbridge constitue assurément l’une de ses plus remarquables réussites. Elle occupe une importance particulière dans le sens où elle a contribué à forger sa notoriété. Véritable référence du roman historique, l’auteur est parvenu à dépeindre des époques à travers des personnages emblématiques et une période marquée par les bâtisseurs de cathédrales. L’idée d’une trilogie semblait se suffire à elle-même. Pourtant, Le Crépuscule et l’aube effectue un retour aux sources, une préquelle destinée à éclairer la naissance de Kingsbridge au cœur d’un âge des plus sombre.
Un peu plus d’un siècle sépare Les Piliers de la Terre du présent ouvrage. Les personnages sont donc différents, mais le lieu de l’action se partage entre de furtifs passages en France et une majeure partie de l’intrigue en Angleterre. On retrouve ici une plume habile et particulièrement à l’aise avec la reconstitution historique. Les descriptions sont suffisamment évocatrices pour créer le sentiment d’immersion, tandis que le vocabulaire employé demeure parfaitement intelligible pour tout type de lectorat. Pour autant, la fluidité et l’accessibilité de l’ouvrage ne flouent guère la rigueur qui incombe au travail d’écrivain afin de s’approprier une époque donnée.
En l’occurrence, cette dernière se trouve à la croisée du premier et du second millénaire. L’âge des ténèbres prend ici tout son sens. Cela ne tient pas uniquement à l’obscurantisme religieux dont les ingérences et l’hypocrisie latente sont parfaitement représentées au fil des pages. On songe, entre autres, aux rapports sexuels avec des prostitués, au faux-monnayage ou aux assassinats commandités. De même, l’auteur met en exergue des pratiques que bon nombre d’historiens préfèrent occulter, comme l’esclavagisme. Ce dernier prend alors différentes formes, comme la servitude domestique, la prostitution et le travail clandestin.
La tonalité délétère du contexte, nihiliste à de nombreux égards, expose les errances et les tourments qui marquent les Xe et XIe siècle. Cela vaut aussi pour cette quête incessante du pouvoir, ces conflits intestins et ces manipulations pour écraser ses adversaires. Avec des échanges et des joutes orales d’une grande subtilité, les dialogues font l’objet d’un soin tout particulier. Il est vrai que les affrontements physiques demeurent majoritairement en retrait. Les véritables confrontations se font à la table d’un banquet ou sous l’œil malveillant des ecclésiastiques. Est-ce un hasard si le principal antagoniste est un évêque ?
Dès lors, la comparaison avec Game of Thrones s’avère évidente, mais pas vraiment opportune. En effet, l’intrigue s’ancre dans un contexte historique. De même, là où l’une des franchises phares de la dark fantasy prend un malin plaisir à faire triompher les desseins les plus abjects, Le Crépuscule et l’aube laisse entrevoir une lueur d’espoir, si ténue soit-elle. Certes, il y a bien un sentiment d’injustice qui demeure prépondérant au fil du texte. Néanmoins, les conséquences et l’aboutissement des faits rééquilibrent les forces en présence, sans pour autant sombrer dans la complaisance ou la facilité.
La résultante de l’intrigue tient davantage aux comportements et aux motivations des personnages qu’à un obscur concours de circonstances. Là encore, le développement méticuleux tend vers des considérations plausibles, aboutissements d’un cheminement long qui s’échelonne sur près de 10 ans, soit de 997 à 1 007. En dépit de sa densité, l’architecture du récit se veut dynamique et homogène avec une alternance de points de vue cohérente. L’enchaînement des faits suit une continuité toute naturelle où l’évolution de chaque situation entremêle des enjeux à la portée tentaculaire. L’ensemble demeure parfaitement compréhensible, mais la complexité sous-jacente pour tout agencer est épatante.
Au final, Le Crépuscule et l’aube constitue une très bonne préquelle doublée d’un excellent roman historique. Œuvre-fleuve qui s’étend sur presque un millier de pages, l’intrigue reflète les affres d’un âge ténébreux et brutal. Jeux de pouvoir, esclavagisme, conflits… Les pratiques évoquées sont peu reluisantes et néanmoins révélatrices d’antagonismes inhérents à la nature humaine ; pas forcément d’une époque précise. D’une caractérisation soignée à un sens de la narration bluffant pour tenir en haleine de la première à la dernière page, Le Crépuscule et l’aube s’avance comme un exercice littéraire délicat et toutefois rondement mené. Une valeur sûre qui vise autant à distraire qu’à instruire tout en ouvrant les portes aux évènements des Piliers de la Terre…
N.B. Contrairement à l’enrobage marketing, l’importance des Vikings au sein de l’intrigue n’est qu’anecdotique. Ils officient pour poser le contexte des invasions et la destinée bousculée d’Edgar pour se rendre à Dreng’s Ferry. Leur présence est à peine esquissée.
Note : 18/20
Par Dante