avril 24, 2024
BD

Carbone & Silicium

Auteur : Mathieu Bablet

Editeur : Ankama

Genre : Science-Fiction

Résumé :

2046

Derniers nés des laboratoires Tomorrow Foundation, Carbone et Silicium sont les prototypes d’une nouvelle génération de robots destinés à prendre soin de la population humaine vieillissante.

Élevés dans un cocon protecteur, avides de découvrir le monde extérieur, c’est lors d’une tentative d’évasion qu’ils finiront par être séparés. Ils mènent alors chacun leurs propres expériences et luttent, pendant plusieurs siècles, afin de trouver leur place sur une planète à bout de souffle où les catastrophes climatiques et les bouleversements politiques et humains se succèdent…

Avis :

Il y a maintenant quatre ans de cela, Mathieu Bablet créait la surprise avec son album Shangri-La aux éditions Ankama. Succès critique et public, la BD fut un petit chamboulement et c’est ainsi que le dessinateur a eu les coudées franches pour aborder une nouvelle histoire, un nouveau one shot, bien grand et bien gros. En effet, rares sont les dessinateurs et scénaristes qui peuvent avoir une telle fenêtre de liberté dans le monde de l’édition. Exit les quarante-huit planches, Ankama laisse libre cours à son auteur, lui faisant une confiance aveugle. Et c’est après quatre ans de labeur que parvient Carbone & Silicium. Il est toujours complexe de passer après un chef-d’œuvre adoubé par tout le monde. Mathieu Bablet réussit-il la répétition de son exploit ? Oui.

Pas besoin de le cacher plus longtemps, Carbone & Silicium est une petite claque dans la tronche. Le genre de bande-dessinée qui a du fond, qui laisse dans un état second après la lecture et qui demande même plusieurs lectures pour en saisir tous les sens. Ici, nous sommes dans un futur plus ou moins proche et l’homme crée des intelligences artificielles parfaites. Les années passant, les deux androïdes vont traverser les époques et les pays pour découvrir une humanité décadente, égoïste, au milieu d’une Terre belle et imposante. Ainsi, au fil des pages, au fil de la lecture et des années qui défilent, on va voir qu’humains et androïdes vont s’affronter alors que chacun mène un combat identique. La grande force de ce récit, c’est son intelligence, qui allie à la perfection la beauté de la planète avec une humanité qui perd pied, la faute à une incapacité à travailler main dans la main.

Mathieu Bablet va prendre pour point d’appui ses deux androïdes diamétralement opposés. Tandis que Carbone est plus sédentaire et attachée aux humains, Silicium est un vadrouilleur qui souhaite découvrir la planète. D’un côté, on aura quelqu’un qui va aider les humains de façon désintéressée, et de l’autre, quelqu’un d’égoïste, qui vit pour lui, loin de ces humains malfaisants. Les deux personnages sont l’équilibre même d’un récit qui pose une réflexion importante sur nous-même. Qui sommes-nous ? Quelle est notre place sur Terre ? Qu’est-ce qui nous pousse à ne jamais évoluer dans le bon sens ? Au-delà du récit initiatique et de la découverte du monde par ces deux êtres innocents et pourtant omniscients, on va découvrir une réflexion profonde sur l’être humain et sur sa façon de faire. Ou plutôt sa façon de défaire.

Tantôt nihiliste au possible sur la conscience humaine, tantôt doux et  prévoyant sur notre espèce, l’auteur s’amuse avec nos émotions, avec nos sentiments, ceux-là qui doivent compter dans l’évolution même de notre esprit et donc de notre société. Si Carbone pose un regard bienveillant sur ses créateurs, elle cherche constamment à trouver un moyen d’aider son prochain, prenant exemple sur sa « mère », Noriko, qui a tout donné pour un avenir meilleur, quitte à sacrifier sa vie avec ses enfants. Silicium est plus défaitiste, presque plus réaliste, dans sa vision globale de l’être humain. Pour lui, l’Homme ne vaut pas le coup d’être sauvé, il est un être parfaitement égoïste, qui aide son prochain pour briller, pour se faire remarquer. Rien n’est fait de manière désintéressée. Le récit s’appuie donc constamment sur cette ambivalence, sur ces confrontations qui donnent lui à des débats qui font mouche à chaque fois et qui nous interrogent sur notre nature même.

Et le dessin va dans le sens de cette réflexion poussée. Mathieu Bablet arrive sans aucun problème à allier des tonalités assez mornes avec des passages ahurissants de beauté. Les moments un peu figés de Carbone laissent place à des décors minimalistes, tristes, souvent délabrés, alors que les voyages de Silicium sont superbes, avec de grandes planches aérées qui nous en mettent plein la vue. Encore une fois, l’intelligence de cet ouvrage réside aussi bien à l’intérieur de l’histoire, que dans le dessin, qui peut sembler fragile par moments, avec des visages imparfaits, des corps qui peuvent sembler éthérés, mais qui finissent dans une sorte de magma imaginatif incroyable. Et que dire de la fin ? Lourde de sens sur l’amour éternel, préférant l’imperfection au tout savoir, l’inconnu à la prévisibilité. Finalement, ces androïdes sont peut-être plus humains que les humains.

Au final, Carbone & Silicium fait partie de ces grandes œuvres qui laissent coi une fois qu’on les a terminées. Au même titre qu’un Grand Pouvoir du Chninkel, ou même qu’un Je Suis une Légende de Richard Matheson, Mathieu Bablet pose une pierre angulaire dans le monde de la science-fiction, sachant parfaitement jongler avec nos émotions, nous laissant K.O. par moments, devant tant de maîtrise. Chapeau bas monsieur !

Note : 19/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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