mars 28, 2024

Lucky Star

De : Frank Borzage

Avec Janet Gaynor, Charles Farrell, Guinn Williams, Paul Fix

Année: 1929

Pays: Etats-Unis

Genre: Drame

Résumé:

Mary Tucker, une jeune paysanne, tombe amoureuse d’un jeune garçon rendu infirme à la suite de la guerre 1914-1918.

Avis :

Avec L’Heure suprême et L’Ange de la rue, Frank Borzage signait deux métrages exceptionnels où il tirait le meilleur parti du cinéma expressionniste. En 1929, celui-ci en est alors à ses dernières heures. Tous les regards se portent vers le parlant ; parfois jusqu’à oublier toute cohérence artistique dans la création d’un film. Lucky Star en est un exemple frappant avec une volonté des producteurs de reprendre la réalisation de zéro après 6 semaines de tournage et plus des deux tiers de l’histoire déjà posés sur pellicule. Au même titre que celle de City Girl, il en ressortait une version sonore complètement hors de propos et exclusive aux États-Unis. Le procédé du doublage étant alors encore au stade conceptuel.

Ceci étant dit, Lucky Star semble être le point d’orgue de la fresque « Borzagienne » consacrée à l’amour et à la notion de couple. Certes, les thématiques avancées continueront d’alimenter le cinéma du réalisateur, mais ces trois métrages sont les plus représentatifs de son talent et de cette relation portée par Janet Gaynor et Charles Farrell. Plus que l’alchimie indissociable entre les deux acteurs, on distingue une fascination réciproque soutenue par une complicité conférant plus de naturel dans leur relation. Malgré l’excellence de son travail, force est de reconnaître que Frank Borzage souhaite trouver une orientation nouvelle pour entretenir le lien qui unie ses deux protagonistes.

Jusqu’alors, le couple phare s’investissait dans des fables contemporaines où leur idylle relevait davantage de la poésie si chère à l’expressionnisme allemand. Et c’est sans doute cet aspect qui a valu autant de points de comparaison entre le cinéma de Borzage et celui de Murnau. Toujours est-il que Lucky Star apporte une dimension nouvelle, plus réaliste et non moins saisissante. On s’éloigne sensiblement de l’amour passionnel et soudain pour découvrir une relation beaucoup plus nuancée dans les sentiments. En l’occurrence, apprendre à connaître l’être aimé passe par l’affranchissement des apparences, tant physiques que psychologiques. Ce n’est pas forcément le couple en lui-même qui importe, mais l’idylle naissante qui le précède.

Pour ce faire, l’intrigue casse l’image mythique des deux acteurs. Janet Gaynor se retrouve dans la peau d’une jeune paysanne peu portée sur l’honnêteté, tandis que Charles Farrell incarne un infirme, vétéran de la Première Guerre mondiale. À ce titre, on apprécie la réflexion avant-gardiste sur le handicap, sa place en société et le regard d’autrui. On passe par la condescendance, la gêne, la commisération ou encore le dédain. Cet aspect de l’intrigue, comme les manières frustes de Mary, devient alors un révélateur. Un moyen de se soutenir et de s’accepter autrement que sous le prisme étriqué des mœurs estimées convenables par la masse. Le travail sur la caractérisation et l’évolution des personnages se veut fouillée et crédible.

La grande particularité de Frank Borzage est de s’attarder sur les conséquences des événements perturbateurs ou des séquences-clefs et non sur leurs causes respectives. Il est ainsi d’autant plus aisé d’amener le prétexte narratif (ou l’élément déclencheur) pour le justifier aux yeux du public. Afin d’illustrer ce propos, la partie consacrée à la Première Guerre mondiale se cantonne au strict minimum. Ici, ce n’est pas la violence des batailles ou l’accident de Timothy qui importe. Cela vaut également pour les élans spectaculaires que cela sous-tend. Là encore, le retour à la banalité du quotidien se veut plus percutant, car il s’agit d’une réalité nettement plus éprouvante, eu égard à la pauvreté qui règne dans les campagnes de la Nouvelle-Angleterre.

Pour son dernier film muet et son ultime collaboration avec Janet Gaynor sous une production de la Fox, Frank Borzage conclut de fort belle manière le cycle initié avec ses deux précédents métrages. Au-delà de la composition de l’équipe de tournage, les similarités sont nombreuses. À commencer par ce travail sur la lumière proprement stupéfiant qui joue constamment avec la pénombre du cadre ; sûrement pour se trouver à l’aune des sentiments dépeints et ainsi retranscrire cette perpétuelle indécision entre les deux protagonistes. L’approche se veut alors plus pragmatique et réaliste.

À noter que le final n’est pas sans rappeler le dénouement de L’Heure suprême dans sa symbolique et ce qu’il suggère. Il en ressort un film somptueux et quasiment oublié jusqu’à la redécouverte fortuite d’une copie au début des années 1990. Mais ce miracle n’est-il pas ce qui caractérise le mieux la magie du cinéma et de l’œuvre de Frank Borzage ? Une chance inattendue de découvrir une œuvre fondatrice et qui offre une interprétation supplémentaire au titre de Lucky Star.

Note : 19/20

Par Dante

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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