Déracinée – Naomi Novik

Auteure : Naomi Novik

Editeur : J’ai Lu

Genre : Fantasy

Résumé :

Pour les protéger des forces maléfiques du Bois, les habitants d’un village peuvent compter sur le Dragon, un puissant mage. Mais en échange, ils doivent lui fournir une jeune fille qui le servira pendant dix ans. L’heure du prochain choix approche et Agnieszka est persuadée que le Dragon optera pour Kasia, belle, gracieuse et courageuse, tout ce qu’elle n’est pas. Mais Agnieszka se trompe…

Avis :

Après sa série de neuf tomes Téméraire, maintenant terminée, qui mettait en scène un dragon au temps de Napoléon, Naomi Novik nous enchante de nouveau avec son dernier roman plein de tendresse, d’imagination et de magie. Déracinée possède une ambiance difficilement descriptible. L’univers créé est plein de mystères et en même temps prévisible ; froid mais aussi plein de douceur ; féerique tout en étant sinistre. La présence du Bois, cette entité maléfique qui draine l’énergie des peuples voisins et qui menace de tout envahir, donne à l’ensemble une atmosphère sombre et violente, bien contrastée par notre héroïne pleine de joie de vivre, un peu naïve et maladroite.

On l’apprécie rapidement, au fil des pages, tant elle est simple et finalement très proche de nous contrairement à celui que l’on appelle le Dragon et qui nous est clairement inaccessible en début de lecture. On le rencontre sous des traits et descriptifs peu avantageux, emprisonnant des femmes dans son immense tour, les prenant pour ses domestiques, ne leur parlant pas ou peu et en les ignorant la plupart du temps. Ce puissant mage antipathique va mener la vie dure à Agnieszka qui donnera son maximum pour lui convenir.

L’auteure parvient parfaitement à cacher le jeu et les secrets de son personnage le plus charismatique. La présence du Dragon, qu’elle soit au milieu d’une pièce ou d’une page, est frappante d’assurance et remplit tout l’espace avec brio. On se sent subjugué par ce mage malgré le mauvais ressenti qu’il nous donne dès le début. Naomi Novik nous mène facilement en bateau, révélant des morceaux du passé ou des bribes d’informations au compte-goutte, faisant comprendre au lecteur que les apparences sont souvent trompeuses.

Le caractère combattif et effronté d’Agnieszka est une vraie bouffée d’air rafraichissante. Elle n’accepte pas sa condition et a du mal à se plier aux règles. Rebelle sur les bords, sa candeur fait parfois sourire et nous charme. Son âme au grand cœur va la sauver de situations difficiles mais également la plonger dans des abîmes bien ténébreux. Le Dragon est exaspéré par sa façon d’être et exténué par ses fautes et gaucheries à répétition. La cohabitation de ces deux êtres aux visions de la vie bien distinctes amène des situations cocasses et aussi touchantes. Le Dragon et Agnieszka vont évoluer grâce à la présence de l’autre, s’ouvrant à de nouvelles perspectives et à des visions inédites. Cette progression est crédible et bien construite.

La magie est au cœur du roman. L’auteure a créé un nouveau système plutôt captivant et qui ne nous est pas vraiment expliqué, laissant planer une aura de mystères du début à la fin. Le langage inventé utilisé est beau et sonne bien, et les mécanismes de lancer de sortilèges sont complexes. Le lecteur va assister à un conflit de génération prenant entre la vision classique du Dragon et celle toute nouvelle d’Agnieszka qui ressent la magie d’une manière unique et complètement différente. Elle la vit, non comme un protocole à suivre étape par étape, mais comme un enchevêtrement de rythmes et de sons par-delà lequel il faut composer la mélodie adéquate. Cette représentation de la magie est ensorcelante et troublante, nous donnant envie d’en savoir plus et de mieux visualiser les intuitions et les gestes de la jeune femme.

Le combat contre le Bois est impressionnant tant dans la difficulté des combats que dans les intrications alambiquées de plusieurs sous-intrigues au sein du royaume. Agnieszka et le Dragon vont devoir se surpasser pour sauver leurs semblables. Cependant, ils ne seront pas seuls. D’autres personnalités magiques vont se joindre à eux ainsi que certaines éminences politiques. Certaines de ces dernières sont des clichés empreints d’égoïsme, de stupidité et avides de pouvoir, comme on en voit souvent partout. Ils restent néanmoins crédibles et intéressants à suivre, apportant à l’intrigue des évènements aussi grotesques qu’inattendus. Les autres mages, également quelque peu stéréotypés pour quelques-uns d’entre eux, sont tout aussi impénétrables que le Dragon et possèdent une vision du monde qui nous est étrangère. Il émane d’eux une puissance indescriptible qui impressionne indéniablement le lecteur. La confrontation d’Agnieszka avec chacun de ces personnages est électrique et pleine de surprise ! Sa clairvoyance va éclairer le chemin de plusieurs d’entre eux, les faisant sortir du carcan obscur qu’ils s’étaient eux-mêmes forgé.

Kasia est un individu d’importance dans ce roman. Sa force est un atout majeur pour Agnieszka qui a du mal à se passer de sa meilleure amie. La relation que les deux jeunes femmes entretiennent est belle et pleine de promesse. Kasia apparaît comme un héros sans faille et ce qui est fait de son personnage est à la fois étrange et bien pensé.

Les révélations finales sur le Bois, cette entité terrifiante et captivante, ne sont pas exceptionnellement étonnantes mais suffisent à nous donner envie de poursuivre la lecture et leur lien avec le Dragon sont subtils.

Le rythme du roman est inégal. Certains passages manquent d’action ou d’informations croustillantes, quand d’autres en foisonnent. Certaines scènes sont trop détaillées quand d’autres le mériteraient davantage. Par exemple, les dernières pages sont toutes en poésie mais manquent d’explications concrètes et claires. Les images floues qui en ressortent laissent ainsi libre cours à l’imagination du lecteur pour interpréter les évènements, ce qui peut parfois être frustrant. Toutes nos questions ne sont ainsi pas entièrement satisfaites, ce qui est dommage.

Note : 17/20

Par Lildrille