avril 20, 2024

Le Passager – Jean-Christophe Grangé

Résumé :

Mathias Freire a une maladie étrange. Il fait des « fugues psychiques ». Sous l’effet du stress, il tourne au coin d’une rue et perd la mémoire. Quand il la retrouve, il est un autre. A son insu, il s’est forgé un nouveau moi, un nouveau passé, un nouveau destin…
Quand il saisit sa situation, il est psychiatre à Bordeaux. Pour savoir qui il est vraiment, il n’a qu’une solution : remonter, l’une après l’autre, ses identités précédentes jusqu’à découvrir son moi d’origine. Clochard à Marseille, peintre fou à Nice, faussaire à Paris… Au fil de ses personnages, il va décrypter l’hallucinante vérité.

Avis :

Avec Maxime Chattam, Jean-Christophe Grangé est une figure de proue du thriller francophone. Ancien journaliste, il s’appuie sur des sujets qu’il a traités pendant sa carrière. Entre l’exercice très délicat que requiert le thriller et son exigence à coller à la réalité, l’auteur fait toujours planer un grand point d’interrogation sur ses livres. Il part d’un ou plusieurs meurtres, étaye sur eux la thématique principale et se base sur une documentation fournie sur le fonctionnement et l’organisation des autorités. Tous les ingrédients sont ainsi réunis pour tourner les pages et tenir en haleine le lecteur.

Après avoir conclu sa trilogie du mal avec La forêt des mânes, Jean-Christophe Grangé revient avec un nouveau thriller, nettement plus épais qu’à son habitude (984 pages en format poche). La raison en est simple, l’auteur l’a conçu comme une série TV et donc, divise son intrigue en épisodes (cinq pour être précis). Autre particularité, les chapitres ne sont pas numérotés. Un moyen supplémentaire de décontenancer le lecteur (on en dénombre 149). Construire un roman sur ce plan est original, risqué également, mais quel peut être le sujet qui s’y prête le mieux ? N’importe quel prétexte ne sied pas forcément à cette forme. Une fois de plus, Grangé surprend…

Le passager est une quête d’identité. Un homme qui se façonne des personnalités biaisées, fausses et oublie aussitôt la précédente. Jusqu’au jour où il décide de remonter ce fil pour découvrir ses origines. Ainsi, il parcourt l’hexagone dans cet objectif désespéré pour faire la lumière sur son passé et se disculper de meurtres horribles. Est-il vraiment innocent ? L’auteur entretient le doute en forgeant tour à  tour des caractères détestables ou attachants. Matthias Freire (son « premier » nom) est non seulement le personnage principal, mais une somme d’individus à lui seul. Un rien schizophrénique en recouvrant ses anciennes vies, il demeure un homme torturé, perclus de faille que Grangé s’amuse à combler… ou pas.

Pour reprendre la comparaison citée dans l’histoire, on parcourt un roman-gigogne. À l’instar de ces poupées russes, chaque nouvelle révélation recèle un plus grand mystère. Le protagoniste endosse un autre nom et poursuit son périple. Cela peut paraître répétitif comme agencement, mais le climat ambiant associé à un suspense savamment entretenu fait qu’on tourne les pages sans appréhension, sans se dire que l’intrigue rabâche les précédentes parties. Certes, la construction est toujours la même. Découverte, investigations, révélations et ainsi de suite. Mais l’on a envie de connaître jusqu’où peut aller cette fuite psychique.

Si le rythme ne faiblit pas, certaines parties sont plus inégales que d’autres. Le cocon confortable de Matthias Freire met le feu aux poudres. L’enfer des clochards de Marseille fait office d’un électrochoc violent sur la misère et le désespoir. Celle qui concerne Narcisse se trouve un cran en dessous. Malgré sa nécessité, la thérapie par l’art marque un temps d’arrêt dans cette course éperdue. Puis l’on retrouve une ambiance plus poisseuse, à tout le moins désenchantée et malsaine avec Nono et le monde du crime organisé et du speed-dating. Et enfin, une dernière partie (dont on ne dira rien ici) qui s’inscrit comme l’aboutissement de l’intrigue.

La simplicité du style est également la force des histoires de Grangé. L’atmosphère lugubre est palpable à chaque coin de rue. Les descriptions sont rapides et sans fioritures et, pour couronner le tout, les métaphores confèrent une aura presque poétique à ces contes dantesques. Le roman est sculpté avec une infinie patience sans jamais placer un mot plus que l’autre. On en ressent un plaisir coupable à contempler les scènes macabres où la crasse se mêle aux pires ressentiments. Le passager ne déroge pas à cette règle, même si l’on sent parfois quelques coups de frein (la partie de Narcisse), mais rien de bien préoccupant ou préjudiciable à la qualité générale.

Au final, Le passager est un thriller captivant. À la fois âpre et immersif, Grangé réussit une fois de plus à emporter son lectorat dans les limbes de la nature humaine. Ses sujets les plus fous (et néanmoins réalistes) sont poussés à l’extrême pour créer de sombres intrigues où meurtres et manipulations sont de connivence. Certes, l’on retrouve tous les ingrédients de ses précédents ouvrages. Notamment cette progression si particulière (un rien plus lente, compte tenu de la densité du livre) où l’on s’attend à des retournements de situation alambiqués, mais jamais faciles. Cela n’empêche en rien que Le passager est un thriller incontournable comme peu d’auteurs savent les écrire.

Note : 17/20

Par Dante

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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