De : Christian Poveda
Année : 2008
Pays : Mexique, France, Espagne
Genre : Documentaire
Résumé :
On les appelle les Maras. Construits sur le modèle des gangs de Los Angeles, ces groupes de jeunes sèment la terreur dans toute l’Amérique Centrale. Plongée dans les banlieues de San Salvador dans le quotidien des membres d’une armée invisible. Nouveau fléau mondial qui détruit par la violence aveugle les principes démocratiques et condamne à mort une jeunesse privée de tout espoir d’avenir.
Avis :
Le Salvador se traîne une réputation tristement célèbre, celle d’être l’un des pays les plus dangereux au monde. En cause ? Une criminalité galopante où la guerre des gangs fait des ravages. On connaît le phénomène surtout à travers des reportages-chocs sur les États-Unis où les médias et les journalistes sombrent dans le voyeurisme et, parfois, dans la glorification d’un mode de vie aussi éphémère que l’existence de leurs membres respectifs. Or, personne (ou presque) ne s’est risqué à suivre au plus près la Mara 18 (éternelle rivale de la Mara Salvatrucha) dans son pays natal. D’ailleurs, cette initiative a coûté la vie à bon nombre d’intervenants au cours du tournage de La Vida Loca, à commencer par son metteur en scène, Christian Poveda.
En ce sens, les premières images laisseront planer de bien mauvais augures sur son film en introduisant un enterrement et une veillée funèbre. L’on ne s’embarrasse guère de prémices ou d’entame doucereuse destinée à préparer le spectateur. Ce dernier se confronte in situ à la réalité dans ce qu’elle a de plus implacable : la mort. En cela, Christian Poveda inverse les codes de la narration. Preuve en est avec ce commencement qui s’annonce comme une fin et ce dénouement qui s’apparente à un renouveau bien pessimiste. Mais ce n’est pas dans la violence des rues que peut choquer ou interpeller La Vida Loca. Le documentaire est dépourvu de tout enrobage superflu destiné à enjoliver et rendre plus accessible l’expérience cinématographique.
Exception faite d’une bande-son qui s’invite rarement dans des moments fortuits, la progression s’effectue sans aucun accompagnement. Pas de voix off, aucune interview des protagonistes, même la caméra semble se détacher des faits. Tout est construit de telle sorte à présenter les scènes aussi brutes que possible. De fait, il en découle un témoignage particulièrement poignant tant il se veut réaliste et sans concession. En contrepartie, ce choix ne propose qu’une ligne directrice ténue, celle du quotidien des membres de la Mara 18. Étant donné que les intervenants sont trop nombreux, il n’est pas question de dépeindre des portraits de manière classique. On a donc droit à plusieurs points de vue disparates qui offrent un panel exhaustif et néanmoins décousu de leur vie.
On est parfois perdu pour les resituer dans le contexte et cette approche peut donner lieu à quelques errances. Par exemple, la scène du strip-tease ou la préparation maison des boules de drogues. Pour autant, le réalisateur se penche davantage sur le quotidien que sur les activités criminelles. Les règlements de compte ne sont guère filmés pour mieux laisser la place à un constat navrant et résigné. Preuve en est avec ce corps qu’on emballe grossièrement dans un sac-poubelle avant de le jeter dans la remorque d’un pick-up. Victimes collatérales, tueurs, ou membres d’un gang rival ; impossible de faire la différence tant les rôles s’inversent au gré des situations et des territoires.
La justice salvadorienne, elle, se montre condescendante et dépassée. Tour à tour conciliante, implacable ou moralisatrice, elle ne fait que contenir un phénomène de société à défaut de le résoudre. Car l’une des raisons avancées est la pauvreté. Une précarité évidente dont les instances publiques ne semblent pas prendre la pleine mesure. Et c’est dans cet écart que Christian Poveda tente une analogie avec le contexte dans des pays plus aisés (les États-Unis ou la France, par exemple) puisque ce problème n’est pas endémique à l’Amérique latine. Il montre une jeunesse en perte de repères où l’argent facile vaut mieux qu’un travail éreintant où l’on surexploite l’individu, où les préceptes de la justice ne sont plus que fariboles au regard des peines encourues.
L’on pourrait encore argumenter longtemps sur l’aspect sociétal et l’impact de La Vida Loca. Là où certains peuvent y voir un quotidien aigri dans un pays pauvre, d’autres y trouveront une vision avant-gardiste d’une humanité qui part à vau-l’eau en sacrifiant les plus jeunes générations. En ce cas, il n’est guère étonnant que le dialogue soit rompu. Un constat amer et profondément nihiliste qui s’égrène de morts et de souffrances, le tout sans le moindre artifice. Christian Poveda se pose en observateur objectif avec des images prises sur le vif ; synthèse de séquences parfois anodines, parfois graves. Finalement, La Vida Loca s’avance comme un pamphlet sur le non-sens. La vacuité d’une vie sans lendemain où l’on se contente de quelques moments de joie à travers un quotidien fait de peine et de détresse. Un documentaire subversif et sans appel qui amène bon nombre de questions sur l’avenir des générations futures et pas seulement au Salvador.
Note : 17/20
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Par Dante