Auteur : Paul-François Lorey
Editeur : Pygmalion
Genre : Polar Historique
Résumé :
Maître Leutbald, un riche bourgeois de Troyes, disparaît sur le chemin noyé de brouillard qui le mène à la commanderie. Ses serviteurs le retrouvent quelques heures plus tard, le crâne défoncé. Cet assassinat marque le début d’une série qui frappe l’entourage des Templiers de Payns. Un seul point commun relie tous les crimes : une croix tracée sur la poitrine des victimes avec leur propre sang. C’est la marque du fantôme du bois des Fontaines, un tueur qui a déjà sévi, il y a trois ans. Entre le monde clos, parfois hostile, de la commanderie du Temple et la communauté paysanne qui croit fermement au monde des esprits, le chevalier Gondemar, novice chez les Templiers, va tenter d’identifier le meurtrier tout en déjouant les menaces qui pèsent sur lui. Son enquête nous fait découvrir une société paysanne confrontée à la toute-puissance de la nature, au cœur des marécages qui bordent la Seine. La raison finira-t-elle par triompher des superstitions ?
Avis :
Quand on évoque les Templiers, une multitude d’événements historiques nous viennent en tête. La création de l’ordre, les croisades, l’identité des grands maîtres ou leur chute et leur excommunication par l’église de Rome. Pourtant, la facette la plus connue est synonyme de mystères plus impénétrables les uns que les autres. D’où leur est provenue cette soudaine puissance, leurs richesses incommensurables (alors qu’ils se faisaient appeler les pauvres chevaliers du Christ) ? Qu’ont-ils découvert en Terre sainte ? Les questions sont aussi nombreuses que les hypothèses nourrissant les amateurs d’ésotérisme, ainsi que les spécialistes plus axés sur les faits et sur rien d’autre.
Ici, il n’est nulle question de se pencher sur ce qui a fait ou détruit leur réputation sulfureuse. Comme l’intertitre l’indique, il s’agit d’un premier tome se focalisant sur les enquêtes d’un chevalier du temple en devenir : Gondemar. Si mêler des investigations policières dans un contexte historique a de quoi surprendre de prime abord, le genre démontre une certaine originalité en s’adaptant aux différentes époques concernées avec les crimes commis (non moins singulier dans leur mise en scène). Faute de moyens conséquents, les réflexions sont purement d’ordre spéculatif. Les interrogatoires permettent de confronter les faits, de déduire les motivations afférentes afin de parvenir à la résolution du cœur de l’intrigue.
Mais avant cela, c’est également un travail rigoureux et passionné pour dépeindre un XIIIe siècle aux sombres apparats nihilistes. On a beau se retrouver dans une société régie par l’église (davantage que par la monarchie), l’espérance n’est qu’une arme parmi tant d’autres pour maintenir le peuple dans le droit chemin. Et c’est en accompagnant Gondemar dans ses pérégrinations que l’on se rend compte de cette atmosphère délétère qui entoure le royaume de France à cette époque. L’auteur use également d’un style abordable au plus grand nombre sans pour autant léser le vocabulaire spécifique lorsqu’il s’agit de dépeindre l’accoutrement des paysans et des guerriers affublés de leurs armes ou les divers métiers.
Bien que court (moins de 300 pages), Les croix sanglantes parvient à immerger le lecteur, et ce, dès les premiers instants. On se plaît à trouver un visage différent de l’image habituellement véhiculée sur les Templiers pour tenter de résoudre une enquête criminelle. L’aspect pragmatique prévaut sur le côté épique, mais s’impose avec un réalisme appuyé. Il en ressort un traitement à l’efficacité permanente pour découvrir le coupable et le mobile des crimes teintés d’une aura fantastique. On joue autant sur les croyances païennes que les mythes universellement connus. À savoir, les fantômes et les malédictions.
Si la progression demeure plaisante à suivre, c’est également grâce aux protagonistes qui occupent le cœur de l’histoire. Certes, Gondemar est au centre de toutes les attentions, mais n’empêche nullement aux autres intervenants de trouver leur place. Qu’il s’agisse de témoins ou d’alliés pour démêler les fils de la vérité, ils disposent d’une personnalité propre avec leurs réactions, leurs buts ou même leur manière de s’exprimer selon des niveaux d’éducation disparates. Seul bémol, l’antagoniste principal que l’on découvre tardivement fait pâle figure au vu de ses crimes.
Au final, Les croix sanglantes offre une vision plus pragmatique (davantage proche de la réalité) de l’ordre du Temple. On s’éloigne de leur puissance incontestable, des mystères encore irrésolus à ce jour pour se concentrer sur une bonne vieille enquête policière. Paul-François Lorey parvient à entretenir le suspense en saupoudrant son récit d’une empreinte fantastique qui s’étiolera au fil des pages. Il en ressort un premier roman maîtrisé, aussi bien travaillé sur l’aspect contextuel que dans l’architecture générale de l’intrigue. Une atmosphère forte et entraînante au service d’une première incursion remarquée dans le domaine du polar historique.
Note : 16/20
Par Dante