Auteurs : Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido
Editeur : Dargaud
Genre : Polar
Résumé :
Aux États-Unis, dans un monde anthropomorphe des années 1950, on peut toujours compter sur l’efficacité et la discrétion du chat détective privé John Blacksad lorsqu’il faut éclaircir une sombre affaire.
Avis :
Mettre des animaux à la place des humains, il n’y a là rien de nouveau, puisque Jean de la Fontaine utilisait déjà ce procédé pour ses fables. Néanmoins, on aurait pu croire avec l’ultra réalisme, ce style allait disparaître au profit d’une approche plus brutale et rentre-dedans. Mais ce n’est pas le cas et les séries sont nombreuses a utilisé des animaux anthropomorphes pour illustrer leurs propos. On peut citer De Cape et de Crocs mais aussi Canardo ou encore Blacksad. Et bizarrement, ces sagas sont devenues tout aussi cultes que les fables de La Fontaine. Pourquoi ? Qu’est-ce qui fait que cela a un tel succès ? La réponse est toute simple, la qualité d’écriture et des graphismes absolument grandioses.
Il aura fallu dix ans avant que le premier Blacksad ne sorte en France. Il faut dire que le projet est né en 1990 mais que les deux auteurs étaient très éloignés. C’est en 1997 que Dargaud obtient les droits et c’est en 2000 que le succès arrive. Il est d’ailleurs tellement grand que les stocks ne seront pas suffisants et que les critiques seront dithyrambiques. Il faut dire que l’histoire s’inscrit dans les Etats-Unis des années 50 et que le fait de choisir des animaux à la place des humains permet de jouer sur les races, les origines et les sensibilités de chacun. Mais l’autre intelligence de Blacksad, c’est de proposer une histoire par tome et d’être ultra référencé, notamment sur les films noirs des années 50.
Quelque Part Entre les Ombres est le premier tome de la saga et il installe directement une ambiance très particulière. Nous sommes en pleine Amérique et John Blacksad est un personnage imposant et d’une grande classe. Les monologues font écho à un certain cinéma, et l’histoire permet une mise en abîme très intéressante puisqu’elle se déroule dans le milieu du cinéma. Devenu culte à plus d’un titre, ce tome critique librement l’apparence, les richesses et l’inégalité de justice qui règne dans ce pays à cette époque. De ce fait, Blacksad est très mature et s’adresse un certain public. Comme un bon vieux polar, le lecteur se laisse bercer par l’histoire et se fait avoir sur la fin avec un meurtrier qui n’est pas celui que l’on croit. Les dessins sont incroyables, à un tel point qu’ils en deviennent hypnotiques et que chaque planche et un tableau.
C’est avec Arctic-Nation que la série prend vraiment son envol. En effet, le deuxième tome est plus abouti que le premier parce qu’il aborde des thèmes encore plus forts et fait écho à un passé que l’on voudrait oublier. Se basant sur le racisme toujours présent aux States, ce tome montre le conflit entre des néo nazis et les Black Panthers, dans un pays à fleur de peau. Encore une fois, le scénario est malin et on touche du doigt le sublime avec des dessins d’une grande beauté, avec des blancs immaculés. Par la suite, les tomes suivants seront moindres, mais tout de même dans le haut du panier de ce que l’on fait maintenant. Ame Rouge pose ses fondements sur les cendres de la guerre froide et de la création de la bombe atomique, tout en mettant en avant un groupe d’intellectuels communistes, abordant ainsi des consciences politiques.
Ce sont les deux derniers tomes qui restent un peu en deçà. Soit que ce soit calamiteux, loin de là, ils rentrent bien dans la saga et contribuent à ce que Blacksad soit culte, mais le scénario reste plus faiblard. L’Enfer, Le Silence se déroule dans le milieu de la musique jazz en plein Nouvelle-Orléans, imposant une ambiance forte sur fond de vaudou, mais l’histoire reste assez simple et parfois tirée par les cheveux. Enfin, Amarillo est une chasse à l’homme. Un homme qui joue de malchance. Là encore, le thème est important, puisqu’il parle du processus créatif et du fait de vendre son talent, mais l’ensemble est bien fragile, surtout sur le premier meurtre. Néanmoins, ces tomes permettent de mettre en avant des personnages secondaires importants, tissant ainsi une mythologie forte et qui tient la route. On croisera donc Weekly, une fouine journaliste fort sympathique, mais aussi deux agents du FBI ratés et Neal, un avocat hyène relativement touchant.
Au final, Blacksad fait partie du panthéon des bandes-dessinées. Il s’agit d’un incontournable que tout amateur se doit de posséder. S’inscrivant dans un univers fort et marqué, la saga aborde des thèmes importants, surtout le racisme (Blacksad étant noir), avec une qualité d’écriture incroyable, jouant aussi sur les caractères des animaux, les transposant à leur physique humanoïde. L’ensemble devient sublime grâce aux dessins d’une subtilité sans faille où chaque case devient un chef d’œuvre. Bref, un incunable de la BD.
Note : 20/20
Par AqME