De: Tim Burton
Avec Amy Adams, Christoph Waltz, Danny Huston, Krysten Ritter
Année: 2015
Pays: Etats-Unis
Genre: Biopic
Résumé:
BIG EYES raconte la scandaleuse histoire vraie de l’une des plus grandes impostures de l’histoire de l’art. À la fin des années 50 et au début des années 60, le peintre Walter Keane a connu un succès phénoménal et révolutionné le commerce de l’art grâce à ses énigmatiques tableaux représentant des enfants malheureux aux yeux immenses. La surprenante et choquante vérité a cependant fini par éclater : ces toiles n’avaient pas été peintes par Walter mais par sa femme, Margaret. L’extraordinaire mensonge des Keane a réussi à duper le monde entier. Le film se concentre sur l’éveil artistique de Margaret, le succès phénoménal de ses tableaux et sa relation tumultueuse avec son mari, qui a connu la gloire en s’attribuant tout le mérite de son travail.
Avis :
Picoti, picota, Tim revient où on ne l’attend pas.
On avait plus de nouvelles de lui depuis 2012 et l’arlésienne Frankenweenie enfin étendue en long-métrage, et on l’imaginait fort bien retourner à ses œuvres récentes boursouflées d’auto-citations et emmenées par l’indémodable Johnny Depp, comme à son habitude peinturluré et un peu fatigué.
Mais non, pour la deuxième fois depuis Big Fish (et pour un bon moment si l’on en croit ses futurs projets), il abandonne sa muse habituelle au profit de nouveaux venus dans le microcosme Burtonien.
De même qu’il met pour un temps de côté ses velléités gothiques ou acidulées, et sa propension au fantastique, voire à l’horreur débridée.
Un nouveau film de Tim Burton, sans ses acteurs fétiches, sans son style très visuel et sans son outrance scénaristique ? Mais qu’est-ce qui se passe, c’est le Jugement Dernier, une dette de jeu, Alzheimer ?
Non, c’est tout simplement le papa de BeetleJuice qui s’assagit, et qui tente de se renouveler plutôt que de tourner en rond, au risque de s’aliéner son public habituel.
Et effectivement, le public risque d’être décontenancé devant ce sage biopic, qui dévoile une histoire peu connue et assez incroyable certes, mais qui est si loin des préoccupations burtoniennes, qu’elles soient visuelles ou scénaristiques (on pense à son autre biopic, Ed Wood, qui lui irradiait du grain de folie coutumier du réalisateur et d’une structure originale) qu’on se demande, en dehors des peintures dont il est question (effectivement proche de ce que Tim dessine lui même) ce qui a bien pu le pousser à réaliser ce film.
Sur le papier, rien que du très classique, voire de l’académique. L’histoire vraie et un peu invraisemblable de Margaret Keane, dont le mari Walter, peintre raté et mythomane compulsif, s’attribua pendant des années, et avec son consentement, la paternité des tableaux qu’elle réalisait, portraits intrigants d’enfants aux yeux immenses. Une arnaque historique et une histoire de femme qui aurait très bien pu se marier avec le style déluré du californien (après tout, l’histoire d’Ed Wood n’était pas beaucoup plus grandiloquente) s’il avait décidé de la prendre à bras le corps et de la plier à ses envies festives.
Mais non, plutôt que de forcer l’Histoire à entrer dans son style, il préfère humblement prendre du recul et se faire plus simple. Plus sage est vraiment le mot qui convient. Tellement sage qu’on pourrait presque le comparer avec l’académique Saving Mr Banks de John Lee Hancock, sur la créatrice de Mary Poppins (dans lequel frayait déjà Jason Schwartzman d’ailleurs). Si ce n’est que le film d’Hancock (non, pas le clodo super-héros) savait vous remuer les tripes après une première heure passablement agaçante, là où Big Eyes, certes moins déséquilibré dans la qualité (et moins long à démarrer), peine néanmoins à provoquer de véritables émotions.
Et ça fait quand même mal au postérieur que le réalisateur de Blind Side fasse un film plus dense et plus touchant que celui d’Edward aux mains d’argent.
M’enfin bref, pas de jugement hâtif, ce n’est qu’un avis personnel, après tout Tim Burton a encore le droit de faire un film léger et d’amuser la galerie avec une histoire rocambolesque et azimutée.
Certes, sauf que le brave homme donne constamment l’impression de ne pas savoir sur quel pied danser. À quelques enchaînements de plans ludiques typiquement burtonniens succèdent des scènes d’un sévère classicisme. Au jeu tout en douceur et finesse d’Amy Adams (superbe portrait d’une femme à la fois éprise de liberté et terrifiée par l’indépendance) succède celui outrageusement clownesque de Christophe Waltz, qui campe un Walter Keane plus grotesque qu’ambivalent.
Deux lignes directrices pas forcément antinomiques, mais qui nécessitaient un liant plus efficace et une attention de tous les instants quant au dosage de l’un et de l’autre. Plus habitué à l’effervescence qu’à la simplicité, Burton semble avoir eu du mal à trouver un équilibre efficace.
Reste que le film est loin d’être désagréable, loin de là. Principalement grâce à l’histoire elle même, ahurissante et pourtant vraie, qui offre un duel psychologique entre honnêteté artistique et appât du gain, entre amour et possession. Un scénario qui crée un curieux parallèle avec la carrière même de Burton, à qui on a beaucoup reproché de se perdre dans un cinéma commercial qui caricaturait son propre style au détriment de réelles velléités artistiques. Faut-il se complaire dans la facilité (voire le mensonge) pour être à l’abri du besoin, ou rester droit jusqu’au bout au risque de tout perdre ?
À travers le personnage de Margaret Keane, victime volontaire d’une mystification planétaire, c’est peut-être une part de lui même et de ses doutes que le cinéaste dévoile, même si l’on pourra également retrouver un peu de lui dans le caractère très schizophrène de Walter Keane, capable d’autant de douceur que de violence, et qui pousse le culot jusqu’à défendre avec véhémence SON œuvre lorsqu’elle est attaquée.
Big Eyes, sans être un mauvais film, n’est peut-être pas à la hauteur de la folie de son réalisateur, mais il parle sans doute autant de lui que n’avaient pu le faire ses œuvres précédentes. On regrette simplement que les thématiques chères à l’artiste soient voilées par un style et une structure académique plutôt que de les transporter, là où un film comme Ed Wood avait su allier les deux.
Mais qu’on se rassure, il est difficile de s’ennuyer devant cette passionnante histoire, portée par une clique d’acteurs talentueux (et pour la plupart novices de l’univers de Burton). Si l’on met de côté un Christophe Waltz très bon mais un peu trop en décalage avec le reste du film, le casting est impeccable, et apporte un peu de fraicheur à l’habituelle famille du réalisateur.
Exit Johnny Depp donc, occupé à multiplier les projets sans trop de succès, exit Helena Bonham Carter (fraichement divorcée du monsieur), exit Winona Ryder ou Christopher Lee (qui commence effectivement à se faire vieux), Burton fait table rase et s’entoure intégralement de sang frais, souvent même pour de tout petits rôles.
En plus d’Amy Adams, on y retrouve donc Jason Schwartzman en directeur de galerie post-moderne allergique à la peinture des Keane, Terence Stamp en critique d’art pas plus enthousiasmé, Krysten Ritter en amie fidèle, et Danny Huston en journaliste mondain pas forcément impartial.
Tout ce petit monde s’entrecroise au fil des scènes, et permet de savoureux ping-pongs verbaux, qui élèvent in extremis ce biopic au-dessus de la « simple œuvrette mineure ».
Big Eyes est finalement un Burton différent, pas déplaisant, et saupoudré d’une bande-son pop assez enthousiasmante, mais qui curieusement ne ressemble pas à un film de son auteur. C’est que le temps passe mes bons amis, les gens changent, et on ne peut peut-être pas, quelle que soit notre légère déception, reprocher à un auteur de se diriger avec l’âge vers d’autres horizons.
Note : 14/20
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Par Corvis