
Auteur : Ali Riza Seyfi
Editeur : ActuSF
Genre : Fantastique
Résumé :
Et si Dracula ne se rendait pas à Londres mais à Istanbul ? Et si le meilleur moyen de s’en prémunir était de porter un crucifix mais aussi des pages du Coran ?
Avis :
Avant de tomber dans le domaine public, Dracula de Bram Stoker (1897) fut quand même sujet à des réadaptations et autres adaptations cinématographiques, sans pour autant payer des droits d’auteur. Par exemple, Friedrich W. Murnau s’est amusé à changer les noms de ses personnages pour faire Nosferatu en 1922. Ce fut quasiment le même cas chez Ali Riza Seyfi. Traducteur, poète et romancier, c’est en 1928 qu’il doit traduire le roman de Bram Stoker pour les pays arabes. Mais en avançant dans son travail, il s’amuse à transplanter cette histoire dans son pays, la Turquie, et plus précisément à Istanbul. En changeant les noms des principaux personnages pour qu’ils collent mieux à leur pays, et en attribuant un côté patriotique exacerbé, le traducteur va écrire une nouvelle histoire, qui fait sa première apparition chez nous en 2025. Oui, il s’agit-là de la traduction d’une traduction qui a pris des libertés.
L’histoire est quasiment la même que pour celle de Bram Stoker. Le début raconte comment Azmi Bey se rend au château du comte, comment il va se faire emprisonner, et comment il arrive à s’en défaire. On retrouve tous les éléments du roman de 1897, avec quelques éléments historiques en plus. En effet, la Turquie fut en guerre contre les peuples slaves, et de ce fait, Dracula prend des allures d’ennemi de la nation. Il a presque plus de légitimité à devenir le grand méchant de cette histoire que dans le roman originel. Bien entendu, on retrouve toute la tension gothique de l’histoire de base, avec ce qu’il faut d’apparitions spectrales et de croyances diverses et variées au sein de la communauté qui habite proche du château. De plus, Ali Riza Seyfi garde la narration épistolaire, afin de tisser des liens avec le matériau de base.
Néanmoins, certaines parties ont été écourtées, alors que d’autres prennent plus de place. Ainsi, on notera que le voyage en bateau est à peine esquissé dans cet ouvrage. Point de Demeter donc, et l’arrivée de Dracula à Istanbul se verra de façon rapide. Par contre, les atermoiements de Güzin, qui remplace Mina Harker, seront énormément mis en avant. On aura droit à ses échanges épistolaires avec Sadan, qui remplace ici Lucy, devenant alors la première proie du comte. C’est assez long, et le roman joue constamment sur les sentiments des deux femmes. C’est parfois un peu gnangnan, surtout lorsque Sadan annonce avoir trois prétendants, et qu’elle doit choisir parmi trois éphèbes qui ont tous de bonnes raisons d’être aimés. Mais d’un autre côté, cela donne un certain charme romantique à l’ensemble, avec un petit côté désuet charmeur. Il ne faut pas oublier la date dudit ouvrage.
Par la suite, les choses s’emballent un peu plus, et on retrouvera un rythme entrainant. L’arrivée de Resuhi Bey, qui jouera le rôle de Van Helsing, donne du piment à l’ensemble. Si on reste sur un personnage courageux et qui met en avant le caractère fort et puissant des turcs, il demeure très intéressant dans sa démarche scientifique et dans ses croyances, exprimant que malgré les recherches faites, il reste de nombreux mystères, et qu’il faut parfois croire en l’indicible et en la religion. De plus, il arrive à convaincre les autres personnages de le suivre dans cette chasse au vampire, qui va devenir tragique plus d’une fois, avec des choix déchirants qui doivent être faits pour le bien commun. Les sentiments ont beau être exacerbés, ils servent les personnages et un récit plus encré dans le patriotisme et le nationalisme.
En effet, dans cette histoire, Dracula est clairement identifié comme étant le prince de Valachie Vlad III Tepes, et donc un ennemi séculaire des turcs. Durant une longue diatribe effectuée par le remplaçant turc de Van Helsing, on aura droit à tout un pamphlet historique entre ce prince empaleur et le peuple turc. Le plus intéressant là-dedans, c’est que malgré le fait que ce soit très dirigé d’un point de vue idéologique, avec un auteur qui veut mettre en avant le patriotisme turc, le courage de ce peuple, et la force qu’il faut pour abattre un tel ennemi, on est pris dans ce discours. Il y a une vraie justification dans ce combat, plus que dans le roman de Bram Stoker. Alors oui, tout est exagéré, les personnages sont assez monolithiques dans leur façon de penser, mais ça fonctionne, et l’aspect épique du dernier affrontement est très prenant.
Au final, Dracula à Istanbul est une lecture relativement plaisante, qui donne une autre facette du mythe du plus célèbre suceur de sang. L’intrigue prend une tournure plus politique dans cette mouture, et même si on sent que le ton est mis pour exacerber l’image forte du peuple turc, il réside dans cette nouvelle histoire une certaine sincérité dans le propos, et une vraie envie de proposer un récit fantastico-horrifique dans un lieu peu enclin à cela. Le résultat est parfois kitsch, les sentiments sont souvent exagérés, mais globalement, c’est très intéressant et le plaisir de lecture est bel et bien là.
Note : 16/20
Par AqME
