Auteure : Sweeney Boo
Editeur : Ankama
Genre : Tranche de Vie
Résumé :
Mindy a 27 ans et travaille dans un café de Montréal. Timide et mal dans sa peau, elle souffre d’un trouble du comportement alimentaire depuis l’enfance. Un soir, pour satisfaire une crise de boulimie, elle achète une tablette de chocolat qui va changer sa vie…
Avis :
S’il y a bien un métier que l’on ne considère pas assez dans le monde de la bande-dessinée, c’est celui de coloriste. Et pourtant, il s’agit d’un rôle très important. Il va donner vie au dessin. Il va lui conférer une âme supplémentaire et surtout, il va permettre de travailler sur l’ambiance. Sweeney Boo commence sa carrière comme coloriste sur une paire de BD avant de se lancer dans le comics pour Marvel. Depuis 2019, elle dessine les aventures de Captain Marvel pour Marvel Action. Cela va alors lui permettre de prendre confiance et de se lancer dans un projet solo, Eat and Love Yourself. Un one-shot tendre qui parle d’un réel problème, la dysmorphophobie. Ou comment en arriver à se détester physiquement suite à différents problèmes qui parsèment notre vie. Sortant le 05 février chez nous grâce à Ankama, petit retour sur ce joli moment de lecture.
Mindy est une jeune femme célibataire qui bosse dans un café. Mal dans sa peau, timide maladive, elle trouve refuge dans la bouffe dès qu’elle doit aborder sa vie et son physique. Un beau jour, elle achète une nouvelle tablette de chocolat, et à chaque bouchée, elle remonte le temps et redécouvre des moments qui l’ont marquée. Ainsi, elle va pouvoir faire le point sur elle-même, trouver ce qui l’empoisonne et renouer avec un certain amour propre. Très clairement, Eat and Love Yourself est un comic qui navigue entre le spleen et le feel good. Car malgré le mal-être de Mindy, on va ressentir une envie de s’émanciper, de grandir, d’évoluer et de renouer avec de beaux sentiments, comme l’amour. Ainsi donc, sous ses aspects un peu « dépressifs », il y a une vraie lumière dans cette histoire. Une lumière apportée aussi par des personnages secondaires très attachants.
La meilleure amie de Mindy est une fille décomplexée, qui va de conquête en conquête et qui n’a pas la langue dans sa poche. Elle sera un peu celle qui pousse Mindy à sortir, rencontrer des gens, et qui la bouscule un peu dans son problème de nourriture. Dans son parcours, elle va aussi rencontrer un postier amoureux qui va tenter de lui expliquer qu’elle est belle. Elle va croiser son amour du lycée. Mindy va aussi revoir ses parents et remettre les pendules à l’heure avec eux. Elle trouvera aussi de précieux conseils avec sa collègue de travail. Bref, tout ce petit monde qui gravite autour de Mindy a un rôle essentiel sans qu’elle s’en rende compte. Et cela va permettre au comic de devenir plus profond qu’il n’y parait et de parler d’une maladie qui n’est pas si connue.
On pourrait même dire des maladies, puisqu’il s’agit ici de phobie. Alors certes, Eat and Love Yourself parle de dysmorphophobie, mais l’histoire peut s’appliquer à n’importe quelle peur, rejet et mal-être. Avec cette histoire, Sweeney Boo va raconter comment, de manière indirecte, des gens, par amour, distillent des idées négatives et aggravent les situations. Mindy va se rendre compte que depuis qu’elle est toute petite, elle subit les remarques de parents aimants. Des parents attentionnés, certes, mais qui ne semblent jamais satisfaits de leur fille. Mindy, en mangeant son chocolat, va se rendre compte qu’insidieusement, ses parents n’ont glissé que des pensées négatives sur son être, sa façon de vivre, son avenir. Elle ne pense être qu’une déception. Et l’intelligence du récit de ne jamais accabler personne.
Car les parents de Mindy ne se rendent même pas compte du mal qu’ils font. Ils font ça par amour, essayant de donner des conseils et voulant le meilleur pour leur fille. Et ce cas de figure peut se transposer à n’importe qui dans la vraie vie. L’autrice ne juge personne. Elle pose des faits, tente d’expliquer, de montrer, mais reste constamment dans une sorte de bienveillance pour pointer du doigt des dérives anodines qui peuvent prendre des proportions immenses. En ce sens, Eat and Love Yourself est un récit très enrichissant, aussi bien pour ceux qui souffrent, que pour ceux qui peuvent souffrir sans le vouloir. Et quand on est parent, on relativise sur beaucoup de choses grâce à cette histoire.
Enfin, parlons un peu des dessins. Le style de Sweeney Boo est très rafraîchissant. Tout en rondeur, assez épuré sur certaines planches, on y retrouve la simplicité et la nostalgie de l’histoire. Il y a une réelle osmose entre le texte et le dessin. Cela permet de véritablement plonger dans le récit de vie de Mindy et de naviguer dans un Montréal un peu fantasmé. Un Montréal froid, mais avec des couleurs douces, très girly, et qui, une fois de plus, sont en équilibre avec la tonalité de l’histoire. Bref, en un mot comme en cent, c’est beau.
Au final, Eat and Love Yourself est une véritable ode au bien-être et à l’acceptation de soi, peu importe le regard des autres. Mais plutôt que de faire un récit un peu rentre-dedans et déjà-vu, Sweeney Boo opte pour visiter un mal-être de façon presque mélancolique, flirtant avec la dépression, mais sans jamais tomber dans le pathos et offrant de bonnes pistes de réflexion. Bref, il s’agit-là d’un excellent comic, qui ne s’adresse pas seulement aux filles, mais à tout le monde, posant un regard sur la phobie de façon intelligente et douce et disant à tous que nous sommes beaux.
Note : 16/20
Par AqME