avril 19, 2024

M le Maudit

Titre Original : M

De : Fritz Lang

Avec Peter Lorre, Otto Wernicke, Gustaf Gründgens, Theordor Loos

Année: 1932

Pays: Allemagne

Genre: Policier, Thriller

Résumé:

Toute la presse ne parle que de ça : le maniaque tueur d’enfants, qui terrorise la ville depuis quelques temps, vient de faire une nouvelle victime. Chargé de l’enquête, le commissaire Lohmann multiplie les rafles dans les bas-fonds. Gênée par toute cette agitation la pègre décide de retrouver elle-même le criminel : elle charge les mendiants et les clochards de surveiller chaque coin de rue…

Avis :

Alors que la montée progressive du nazisme est indéniable dans les années 1930, le cinéma fait face à une révolution technologique avec l’avènement du parlant. Cette période charnière pour l’industrie du 7e art évolue dans un contexte incertain. Cela vaut autant pour la manière de produire et réaliser un film que pour l’environnement politique outre-Rhin. Aussi, Fritz Lang signe avec M le maudit un film d’une importance fondamentale, tant d’un point de vue culturel que sociétal. Véritable visionnaire, le cinéaste reconnu pour ses fresques mythiques (Les Nibelungen, Metropolis…) se lance dans un récit moderne qui augure déjà des dérives du nazisme sans pour autant le dénoncer de manière frontale.

On peut deviner aisément les problèmes de censure et les difficultés de production qu’aurait pu entraîner un tel angle d’approche. Preuve en est avec le titre original, Les Assassins sont parmi nous, qui a provoqué l’inimitié d’un directeur de studio, partisan du NSDAP. Mais M le maudit demeure un pamphlet contre l’extrémisme, ne serait-ce qu’à travers ce contexte délétère qui se développe avec une patience insidieuse. On y retrouve d’ailleurs des éléments assez représentatifs, non de l’époque, mais du discours d’extrême droite. À savoir : la criminalité grandissante et le sentiment d’insécurité qui en découle.

Au vu des circonstances actuelles, le film de Fritz Lang se révèle beaucoup plus contemporain qu’il n’y paraît. Pour développer son propos sur la peur collective et ses conséquences, Fritz Lang choisit un sujet tout aussi difficile à aborder : la disparition et l’assassinat d’enfants. L’histoire s’inspire librement des crimes qui ont ravagé l’Allemagne des années 1920, notamment les exactions du vampire de Düsseldorf, Peter Kürten. À dessein, la ville où se déroule l’action n’est pas clairement identifiée. Si ce n’est l’uniforme des policiers allemands en patrouille, cela floue la localisation géographique et les frontières entre nations. Le procédé souligne ainsi le fait que ce type de crimes n’est pas inhérent à un pays, une culture ou une communauté, mais touche toutes les franges de la société.

Certes, M le maudit évolue dans les strates inférieures de la hiérarchie sociale. La notion d’extrémisme s’attarde ici à la pauvreté des familles et des badauds qui, pour certains, se fourvoient dans la délinquance. Ces mêmes individus qui s’improvisent parangons de vertu pour traquer et juger le tueur. Là encore, on tend à catégoriser les crimes perpétrés en définissant ce qui est acceptable (pardonnable ?) et ce qui ne l’est pas. Et c’est là toute la difficulté avec un tel sujet : ne pas sombrer dans un ton moralisateur où la subjectivité d’un avis tranché s’oriente vers une solution radicale et irrévocable. Cela sans compter l’émotivité que provoque la mort d’un enfant ; a fortiori quand il s’agit du sien.

Après la peur, c’est l’hystérie collective qui s’impose. Tout au long du métrage, la folie latente se fait croissante. Entre la nécessité de trouver un coupable ou la psychose qui s’installe, la volonté de succomber à la tentation de l’autojustice est prégnante, voire inéluctable. Connue dès le départ, ce n’est pas l’identité du tueur qui importe ni même la violence (physique et psychologique) que suggèrent ses crimes. Des trois axes narratifs (investigations, quotidien du criminel et malfrats autoproclamés justiciers), c’est l’opinion publique qui prévaut. Elle qui détient le pouvoir. Elle qui détermine le sort du prédateur.

De traqueur, ce dernier devient le traqué. Son principal trait caractéristique tient tout d’abord à ce fameux sifflement qui augure de sa présence et de ses intentions. Rarement, l’image coïncide avec le son dans ces circonstances. Un choix essentiel pour limiter les repères du spectateur au seul point de vue des protagonistes. Mais Fritz Lang ne se cantonne pas à cet effet. Directement hérité de sa période expressionniste, il fournit une expérience sonore foncièrement déroutante. On songe à cette cacophonie urbaine qui insiste sur l’inintelligibilité des propos, comme si elle était à l’origine des décisions prises. Un non-sens qui vient prétexter le recours à l’extrémisme.

Cette technique se retrouve aussi lors de la séquence du procès où la colère et la haine supplantent toute autre forme de considération. Là encore, il est difficile de juger les partis en présence et leurs réactions nées d’une profonde détresse. À d’autres moments, le silence est total, lourd de conséquences. Cela se vérifie pendant la traque du tueur dans un bâtiment administratif fermé. Parfois, ce sont juste quelques cris isolés ou des bruits de pas qui s’invitent. Dès lors, ce mutisme devient une source d’aveuglement concrète pour déloger le tueur en série de sa cachette. Il constitue aussi une subtile allégorie des valeurs morales délaissées pour mieux se satisfaire d’un châtiment expéditif. De là à penser qu’il est exemplaire, toute largesse d’interprétation est offerte aux spectateurs.

Au final, M le maudit est un incunable du septième art. Avec un sujet délicat à aborder, Fritz Lang signe une œuvre majeure et engagée où il se penche sur la question de la peine de mort, y compris pour les crimes les plus effroyables qui soient. La responsabilité de l’auteur des faits et sa potentielle pathologie mentale sont également présentes. En 1931, M le maudit s’avance aussi comme un avertissement sur la tentation de l’extrémisme politique, judiciaire et social. Au même titre que le tueur d’enfants ravit l’innocence de ses victimes, le film de Fritz Lang évoque la perte des illusions face à de vaines promesses. Un chef d’œuvre visionnaire qui, près de 90 ans après sa sortie, résonne encore en un cruel écho tant il se montre pragmatique et avant-gardiste dans ses propos.

Note : 19,5/20

Par Dante

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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