avril 19, 2024
BD

Les Indes Fourbes

Auteurs : Alain Ayroles et Juanjo Guarnido

Editeur : Delcourt

Genre : Aventure

Résumé :

De l’ancien au Nouveau Monde, la fabuleuse épopée d’un vaurien en quête de fortune… Fripouille sympathique, don Pablos de Ségovie fait le récit de ses aventures picaresques dans cette Amérique qu’on appelait encore les Indes au siècle d’or. Tour à tour misérable et richissime, adoré et conspué, ses tribulations le mèneront des bas-fonds aux palais, des pics de la Cordillère aux méandres de l’Amazone, jusqu’à ce lieu mythique du Nouveau Monde : l’Eldorado !

Avis :

Le monde de la bande-dessinée est, comme le cinéma, régi par des courants de hype qui mettent en avant quelques projets ambitieux portés par des auteurs talentueux. Si les récompenses au festival d’Angoulême sont souvent des vecteurs à suivre pour avoir de la qualité, il faut aussi connaître certains scénaristes et dessinateurs pour avoir envie de poser les yeux sur certaines planches. Alors quand le scénariste de la saga culte De Cape et de Crocs s’associe au dessinateur extraordinaire de Blacksad, forcément, cela fait remuer dans la sphère du neuvième art. Et pour cause, outre le passif sublime de ces deux artistes, Les Indes Fourbes est un projet ambitieux, dense, que l’on retrouve peu dans la bande-dessinée. En gros, un one shot de plus de 160 pages qui fait suite à un livre sorti au XVIIème siècle, racontant les mésaventures d’un gueux qui ne vit que par le larcin et la magouille. En fallait-il autrement pour attiser les curiosités ?

Et soyons clair d’entrée de jeu, cette BD est une pure réussite, un véritable petit bijou à côté duquel il ne faut pas passer. L’histoire se décompose en trois grands actes. Le premier chapitre est le plus long et on va retrouver notre héros affaibli, sur une table en bois, attaché, racontant son histoire à un homme qui ne désire qu’une chose, trouver l’Eldorado. Cette première partie est très longue car elle fait des allers-retours sur la vie de Pablos, ce vaurien qui vit de larcins et de magouilles et qui n’a aucune chance de se voir grandi. Sa volonté est pourtant de devenir riche et de sortir de sa condition de gueux, mais rien n’y fait, la malchance le poursuit sans cesse. Jouant sans cesse avec les codes de la narration, les deux auteurs vont alterner les flashbacks avec des séquences du présent pour mettre beaucoup d’humour dans le récit. Entre l’impatience du bourreau et la vie tumultueuse de ce pauvre Pablos attaché, certains passages sont tout simplement hilarants, se permettant même de partir dans du vaudeville ou de l’humour noir bien cinglant. Les parents de Pablos sont une calamité, le ton humoristique permet de relever l’ensemble et de ressentir une profonde empathie pour le héros malgré lui de cette histoire.

Dans le deuxième chapitre, on va assister à un pur récit d’aventure et d’enquête. Le ton change, l’ensemble se fait plus sombre, bien moins drôle et on va suivre l’alguazil qui va vouloir retrouver Pablos, ce dernier l’ayant roulé dans la farine pour lui voler son argent. On va alors découvrir plusieurs choses, comme l’alliance entre Pablos et un bandit de grands chemins qui se nomme El Tigre, et comment ce dernier se fait poursuivre par les espagnols afin qu’il ne mène pas une rébellion dans tout le pays. Malgré quelques passages plutôt humoristiques, le ton de la BD se veut plus sérieux et certaines planches sont carrément violentes, mettant en scène des combats sanglants et des rouages politiques nébuleux qui font irrémédiablement penser à ceux que l’on a aujourd’hui. Une affaire qui va remonter jusqu’au roi d’Espagne au moment de conclure ce deuxième chapitre, plus court, mais peut-être plus dense dans ce qu’il raconte et dans les éléments qu’il dévoile. Oui, Pablos est un roublard, et on n’imagine pas à quel point.

Un point que l’on va atteindre dans le troisième et dernier chapitre. Quasiment uniquement en voix-off, ce dernier segment est la confession écrite de Pablos sur ce qu’il a fait, comment il l’a fait et pourquoi il l’a fait. Et mieux, on va voir jusqu’où cela l’a mené. C’est avec ce chapitre que l’on va prendre l’ampleur de la qualité d’écriture d’Alain Ayroles, qui est un véritable génie. A la manière d’un film policier qui dévoile les secrets du tueur à la toute fin, ici, on va voir le plan machiavélique de Pablos pour s’élever dans la hiérarchie humaine. Savamment écrit, remettant parfois en image des cases que l’on va voir avec un œil différent, on va aussi voir toute la profondeur du personnage. Ses actes ne sont pas anodins et cette obsession pour devenir plus riche et plus important aux yeux du monde trouvent des échos dans un passé douloureux avec une famille qui n’aura jamais été épargnée par la noblesse, les voyant comme des nuisibles que l’on peut éradiquer. C’est là toute la beauté de cette BD qui va nous toucher au cœur avec un malfrat qui veut s’extirper de sa condition pour les bonnes raisons, et qui veut faire payer sa souffrance à tout le monde, n’hésitant pas à trahir pour réussir et devenir quelqu’un. Avec ce dernier segment, le ton humoristique laisse la place à quelque chose de plus cynique, de plus lourd, de plus triste et de tout simplement plus humain.

Et qui de plus doué que Juanjo Guarnido pour donner vie au personnage de Pablos et à un univers riche, proche du tableau d’art. C’est beau. Tout simplement. Certaines planches pourraient être encadrées tellement la finesse du trait est parfaite et tellement certaines couleurs sont parfaitement choisies. Le dessin du papa de Blacksad est fait pour ce genre d’exercice, long et minutieux, jouant constamment avec les émotions et les visages des personnages. Pablos a un physique commun, mais il va le modeler à sa façon. L’alguazil est foncièrement mauvais, et cela se voit à sa carrure, son visage, son attitude. Bref, il y a une infinité de détails dans cette BD et l’association des deux auteurs fait tout simplement des merveilles.

Au final, Les Indes Fourbes est un immanquable du neuvième art, le genre de bande-dessinée vouée à devenir culte et qui en devient presque un objet de collection, précieux et important. Derrière le projet de réunir deux mecs ultra talentueux, il y a une histoire qui a du fond, qui mélange les genres avec allégresse et qui trouve parfois résonnance dans notre époque, où l’on peut retrouver ce genre de personne voulant s’élever pour ne plus vivre dans la misère. Et ce fond est parfaitement servi par une forme grandiose, aussi bien dans l’objet en lui-même que dans les planches qui sont d’une beauté rarement atteinte. Bref, vous l’aurez compris, c’est à lire absolument.

Note : 19/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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