Résumé :
Hiver 1937. Jack part pour une expédition scientifique en Arctique, une échappatoire à son mal-être londonien. Du moins c’est ce qu’il espère. Mais très vite, ce voyage au pays des nuits interminables se transforme en cauchemar. Des cinq hommes engagés dans la mission, seulement trois prennent le départ : Jack, opérateur radio, Algie, chasseur et maître-chien de traîneau, et Gus, biologiste. Ils établissent leur campement sur la baie (de) Gruhuken où le capitaine du bateau refusait de les débarquer, visiblement effrayé. En peu de temps, Gus tombe malade, Algie l’accompagne, Jack reste seul. Dans leur cabane de trappiste, il se met alors à entendre des voix, à apercevoir des ombres… Est-ce vraiment son imagination qui l’engloutit jour après jour dans cette matière noire ?
Avis :
D’aucuns considèrent la littérature d’épouvante et du fantastique comme l’apanage d’une élite d’auteurs qui monopolisent les devantures des librairies. Les maîtres du genre (Stephen King, Graham Masterton, Clive Barker…) tissent des univers sombres, angoissants et d’une profondeur peu commune. Si l’on excepte ces noms incontournables, on éprouve les plus grandes difficultés à dénicher des œuvres tout aussi réussis sur le plan narratif et psychologique. Au premier abord, 40 jours de nuit ne paye pas de mine. Situé dans la collection Black Moon (surtout connu des amatrices de bit-lit), l’ouvrage sort de l’imagination de Michelle Paver, une romancière spécialisée dans la jeunesse et particulièrement la fantasy. On ne voit pas trop l’intérêt de s’y pencher ou de frissonner avec un produit clairement axé pour les adolescents en mal de sensation forte.
Et pourtant, l’adage « On ne juge pas un livre à sa couverture » ne s’est peut-être jamais aussi bien appliqué. Il suffit néanmoins de lire la quatrième de couverture pour susciter la curiosité. En 1937, une expédition scientifique se rend dans le Spitzberg (une île située au nord de la Norvège) et se retrouve confrontée à une nuit totale, ainsi qu’à des phénomènes paranormaux. Le cadre est propice pour un huis clos digne de ce nom. On y accompagne les trois principaux intervenants qui vont cohabiter dans une petite cabane durant plus de deux mois. Il est certes difficile de trouver un équivalent dans les romans actuels, mais si l’on se penche du côté du septième art, cette région reculée, désertique, évoque The thing ou 30 jours de nuit pour demeurer dans l’obscurité glaciale.
Malgré la contrainte de rester dans un seul endroit, l’auteur décrit avec force et précision les impressions que dégage ce lieu. Une première approche visuelle bien entendue avec des contrastes mordorés, des crépuscules éternels ou une pénombre omnipotente, tout y passe pour conférer une atmosphère dense, angoissante. L’on voit bien par-là que l’homme n’a aucune emprise sur une nature impitoyable et mystérieuse tout en étant d’une majesté sans commune mesure. Ce travail de fond n’est que l’amorce d’une psychologie poussée sur la perception des protagonistes. En effet, comme tout bon roman d’épouvante, il faut avant tout rendre crédible l’improbable grâce à une mise en place relativement lente, mais immersive.
Contrairement au sentiment d’oppression qui occupe la majeure partie du récit, les « hallucinations » se font plus éparses. Des apparitions, des chiens qui hurlent à la mort, le tonnerre d’une tempête polaire et bien d’autres choses inconcevables attendent les malheureux explorateurs. En cela, il n’y a pas forcément de grandes nouveautés pour ceux qui connaissent les ficelles du genre, mais les passages sont bien amenés et saisissants pour se laisser prendre au jeu (un peu comme The conjuring, classique tout en étant efficace). Petit à petit, l’on s’interroge sur ce qui hante Gruhuken : un fantôme, un animal monstrueux, un trappeur psychopathe ? Michelle Paver en dit le moins possible pour susciter davantage d’angoisse et d’empathie.
En cela, on a vraiment l’impression d’être un membre de l’équipe à part entière. Les personnages sont tantôt attachants, détestables de par leurs comportements ou leur cruauté. Ils demeurent néanmoins humains (avec ce qui compte de bonté et de bêtise) et tentent de s’adapter à une situation extraordinaire en compagnie d’une meute de chiens non moins attendrissants, en particulier Isaak. On est loin des stéréotypes du genre et la caractérisation bénéficie d’un savoir-faire étonnant, à tel point qu’il est difficile de considérer cette histoire comme un ouvrage réservé exclusivement à la jeunesse.
Au final, 40 jours de nuit est une agréable surprise. Là où on ne s’attendait qu’à un roman banal et sans épaisseur, l’on découvre un récit saisissant, bien documenté et maîtrisé. Michelle Paver joue essentiellement sur la psychologie et les non-dits pour éprouver nos nerfs. On vivote entre réalité et hallucinations sans trop jamais distinguer où commence l’un et où finit l’autre. Il en ressort un livre qui vaut le détour et contentera aussi bien un public novice et curieux qu’un lectorat plus mature rompu aux classiques du genre. On regrettera simplement le final, un peu trop abrupt et pas vraiment crédible (compte tenu de ce qui avait été amorcé), mais l’aventure n’en pâtit pas et mérite que l’on s’y attarde.
Note : 15/20
Par Dante