octobre 12, 2024

L’Aurore

Titre Original : Sunrise : A Song of Two Humans

De: Friedrich Wilhelm Murnau et William Fox

Avec George O’Brien, Janet Gaynor, Margaret Livingstone, Bodil Rosing

Année: 1928

Pays: Etats-Unis

Genre: Drame

Résumé:

Un pêcheur s’éprend d’une citadine aux allures de vamp. Sous l’influence de celle-ci, il décide de noyer son épouse, mais change d’avis une fois sur la barque. Effrayée, la femme fuit en ville. Elle est bientôt rejointe par son mari, désireux de se faire pardonner.

Avis :

À l’évocation de F.W. Murnau, on a tôt fait de réduire sa trop courte carrière à deux chefs d’œuvre intemporels et remarquables en tout point : Faust et Nosferatu. En sortant du film fantastique, on découvre néanmoins des productions tirant le meilleur parti du cinéma expressionniste. Salué de manière unanime, L’aurore est son premier métrage outre-Atlantique. Sa réputation le précédant, Murnau a bénéficié de toute largesse sur le plan artistique et d’un budget illimité pour mener à bien son projet comme il l’entendait. Et quand on lâche la bride à un réalisateur de cette envergure, on peut être certain que le résultat est à la hauteur de sa vision initiale.

Pourtant, la base scénaristique ne paye pas de mine. Tiraillé entre sa maîtresse et sa femme, un homme tente de tuer cette dernière avant de renouer avec son amour de prime jeunesse. Dans ce contexte, il est difficile d’entrevoir un intérêt autre que le mélodrame qui présage d’un pathos de circonstance. C’est sans compter le talent de conteur du réalisateur pour sublimer le matériau de départ d’une manière aussi surprenante qu’entraînante. Pleinement conscient des tenants qui régissent son intrigue, Murnau y trouve une réelle opportunité d’exposer un récit auquel chaque spectateur est en mesure de s’identifier, tant il se révèle à la fois commun et exceptionnel. D’ailleurs, le premier intertitre ne s’attarde-t-il pas sur l’universalité des propos à venir ?

L’aurore, c’est avant l’histoire d’un couple ou plutôt du couple au sens large du terme. La décomposition narrative se fait en trois grands axes (deux principaux et un servant pour la conclusion). Ceux-ci s’avancent comme une progression cyclique où, tôt ou tard, chaque couple est amené à traverser. Il n’est pas question de sombrer dans un ton moralisateur ou bienséant propre à satisfaire une vision patriarcale, pour ne pas dire hiérarchisée de la place de l’homme et de la femme au sein de la société. Ici, il s’agit bel et bien de se pencher sur ce qui régit l’existence et le sens d’une vie à deux sans complaisance ni amertume. Juste le regard objectif de la caméra pour capter des moments de peine et de joie.

La grande force du film est de faire se succéder la comédie au drame avec un naturel déconcertant. Là où l’on s’attend à un ton âpre et particulièrement froid tout au long de métrage, la redécouverte d’un amour délaissé, pas forcément perdu, laisse place à des considérations tout autres. D’une simple prise de conscience, on passe à une atmosphère plus légère, emportée par les élans romanesques de l’homme et la capacité de sa femme à lui pardonner son geste. Ce n’est pas tant la problématique initiale qui sera au centre de toutes les attentions, mais sa résultante pour les protagonistes et la façon d’aborder la renaissance de leur union.

Devant cette symbolique et cette narration enthousiaste, L’aurore est également l’occasion d’apprécier le cinéma expressionniste à son apogée. Certaines techniques tendent à se démocratiser. D’autres, encore à un stade expérimental, révolutionnent la manière de s’approprier les images. Le cinématographe, c’est avant tout le mouvement. Et ce mouvement, Murnau la retranscrit littéralement avec des travellings, des fondus enchaînés et des méthodes de surimpression pour marier les séquences afin d’en extirper une cohérence toute rigoureuse. Ainsi, la traversée d’une rue ou du lac offre une perspective différente sur l’environnement et, par extension, sur les événements.

D’un postulat de départ foncièrement simpliste, Murnau fait de son film une fable contemporaine dont l’universalité touche l’homme à travers le temps et non en se restreignant à un espace ; que celui-ci soit représenté par des mœurs, un pays ou un lieu donné. Tour à tour idyllique, réaliste ou fantasmée, l’histoire nous entraîne dans un tourbillon d’émotions et de sensations contradictoires. D’une confrontation entre deux mondes (la campagne et la ville), la contemplation de l’instant et la perpétuelle effervescence de l’activité urbaine se côtoient, s’affrontent. Les contrastes se jouent des perspectives physiques et morales pour mieux prendre à contre-pied les attentes du public. Si L’aurore marque le crépuscule du cinéma muet, il fait partie de ces œuvres fondatrices et mémorables qui préservent toute leur force, même après presque un siècle d’existence.

N.B. Éditée par Carlotta, l’édition ultime en DVD permet de découvrir une reconstitution de Four Devils, film considéré comme perdu, à partir d’un montage fait de photographies, de notes de production. En complément, l’analyse de fond fait le point sur le métrage, les conditions de tournage et le contexte de sa sortie.

Note : 19,5/20

Par Dante

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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