Titre Original : Island of Lost Souls
De: Erle C. Kenton
Avec Charles Laughton, Richard Arlen, Kathleen Burke, Bela Lugosi
Année : 1932
Pays : Etats-Unis
Genre : Horreur, Aventure
Résumé :
Sur une île perdue du Pacifique, le docteur Moreau créé des hybrides d’animaux et d’humains.
Avis :
Il arrive que parfois, on ignore qu’il existe des versions antérieures à celles que l’on connait déjà. Prenons le cas de L’Ile du Docteur Moreau. Si tout le monde, ou presque, connait l’œuvre de H.G. Wells, les versions les plus connues de ce film restent celle de 1977 et la version édulcorée de Frankenheimer avec Marlon Brando et Val Kilmer. Et pourtant, en 1932, Erle C. Kenton, déjà connu pour son travail faramineux depuis 1919, s’essaye au film de genre avec la première adaptation de la nouvelle du célèbre écrivain. Il en résulte un film étrange, qui oscille constamment entre l’horreur et le film d’aventure et où chaque personnage possède une part sombre qui impose au spectateur un regard scrutateur sur les moindres faits et gestes des protagonistes. Complètement occulté par les fameux monstres Universal, il aura fallu attendre un long moment avant de revoir une belle copie de ce film, qui pourtant le mérite bien.
L’Ile du Docteur Moreau est un film relativement intéressant qui s’amuse à retravailler le mythe de l’homme qui se prend pour Dieu. Si cela a déjà été vu dans le célèbre Frankenstein de James Whale, ici, c’est tout autre chose, car il ne s’agit pas de conférer la vie à un mort, mais de transformer un animal en humain. Si au final le résultat est sensiblement le même, à savoir le questionnement de l’homme au-dessus de Dieu, l’ivresse du pouvoir et le maintien des créatures par la peur, L’île du Docteur Moreau se détache des autres productions Universal par sa gestion des sentiments. En effet, le but n’est pas forcément de faire peur, même si les créatures ajoutent un sentiment d’insécurité, mais le métrage cherche à faire un humain avec des sentiments, des émotions. Ainsi donc, le docteur Moreau va présenter une femme panthère à un homme lambda afin que cette dernière ressente de l’amour pour lui, ou tout du moins de l’attirance. On ressent bien cette volonté de ne pas jouer seulement sur le physique, mais aussi sur le psychique, Erle C. Kenton touchant du doigt ce qui différencie vraiment l’Homme de l’animal, à savoir une conscience.
Malheureusement, le film gère assez mal la gestion de l’amour et de l’émotion. Non pas que le film en soit dénué, mais certains rapports semblent trop vifs et certains personnages rentrent trop rapidement dans des clichés presque insupportables. On retrouvera donc le beau gosse naufragé qui tombe dans l’île du Docteur Moreau, et la femme panthère qui va directement lui tomber dans les bras. Le pire dans tout ça, c’est que le jeune homme succombe aux avances de l’étrange femme et qu’il ne se pose pas forcément de question sur les autres habitants. Fort heureusement, le film se rattrape lorsque Moreau fait visiter son île et explique ses expériences. Le héros sera alors outré, mais pas tant que ça et il ne montrera pas une colère vivace en l’encontre des scientifiques. Cette limitation dans l’exposition des sentiments se retrouve aussi dans la mise en scène qui reste parfois assez plate, même si l’on retrouve des fulgurances à grands renforts d’ombre ou de moments plus étranges.
Ainsi, Erle C. Kenton va tout faire pour s’approcher de l’horreur en montant petit à petit les bêtes contre leur créateur. Encore une fois, et un peu comme dans Frankenstein, les monstruosités souffrent en silence, écoutant leur créateur, mais étant toujours sur le fil du rasoir psychologique. C’est l’arrivée d’une autre femme qui va déclencher la fureur des monstres, se rebellant alors contre leur maître, qui n’hésitait pas à utiliser la torture pour créer de chimères contraintes de se cacher à cause de leur physique ingrat. Là encore, sur la fin, Erle C. Kenton livre une jolie prestation de savoir-faire, avec des gros plans sur les visages et une utilisation optimale du noir et blanc pour accentuer l’aspect effrayant des créatures. Enfin, on ne peut rien dire que la prestation des acteurs, qui sont tous très bons, notamment Charles Laughton qui incarne un Docteur Moreau tout en nuances, auquel on ne fera jamais confiance, mais qui semble être honnête d’un côté, puis machiavélique de l’autre.
Au final, L’Ile du Docteur Moreau datant de 1932 est un film relativement intéressant dans sa démarche de montrer un homme qui tente d’imiter Dieu et qui se perd complètement dans son amour des sciences et l’ivresse du pouvoir. Si le film a pris un léger coup de vieux sur sa mise en scène ou son rythme, il n’en demeure pas moins un indémodable du genre, un freak show réussi, qui manque certes d’émotions, mais qui va lancer la voie à plein d’autres films de ce style. Bref, un bon film qui mérite sa réhabilitation et sa remasterisation.
Note : 15/20
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Par AqME