octobre 12, 2024

Petra – L’Art et la Manière

De : Jaime Rosales

Avec Barbara Lennie, Alex Brendemühl, Joan Botey, Marisa Paredes

Année : 2019

Pays : Espagne, France, Danemark

Genre : Drame, Thriller

Résumé :

Petra, jeune artiste peintre, intègre une résidence d’artiste auprès de Jaume Navarro, un plasticien de renommée internationale. Très vite, Petra découvre un homme cruel et égocentrique qui fait régner parmi les siens rancœur et manipulation. Malgré les mises en garde, la jeune femme persiste, bien décidée à se rapprocher de cette famille. Petra avouera-t-elle la véritable raison de sa présence ?

Avis :

Jaime Rosales est un réalisateur pour le mois très atypique. Réalisateur espagnol, Jaime Rosales est de ces cinéastes qui sont inclassables, tant ils sont capables de se réinventer à chaque nouveau projet. Passant d’un style à l’autre, d’un genre à l’autre, la courte filmographie de Jaime Rosales est peut-être l’une des plus intéressantes du cinéma ibérique. Cela faisait maintenant cinq ans que l’on avait plus de nouvelles de Jaime Rosales, depuis qu’il avait réalisé « La belle jeunesse« , film qui a connu un joli et petit succès par ailleurs, chez nous.

Après avoir parlé de la crise économique et des petits plans pour juste vivre, voici que le réalisateur catalan est de retour avec encore une fois une proposition de cinéma extrêmement radicale. Avec « Petra« , Jaime Rosales livre un drame lourd, déconstruit, qui a tout de la tragédie grecque. Intéressant et monstrueux dans ce qu’il raconte, « Petra » est un film qui va être autant capable de passionner dans sa première heure et quart, que d’ennuyer son spectateur dans sa dernière partie, pourtant essentielle à l’intrigue, mais qui tire malheureusement trop sur la longueur.

Petra est une jeune artiste qui intègre la résidence de Jaume Navarro, un artiste des plus influents. Alors qu’elle idéalise l’homme, Petra va vite découvrir un homme cruel, égocentrique, qui n’a aucun scrupule, déshumanisant n’importe qui, qui le côtoie. Si l’on met très vite en garde la jeune femme, Petra persiste à vouloir découvrir au plus près cet homme, mais peut-être que derrière l’envie d’apprendre plus sur la peinture, Petra a d’autres motivations pour rencontrer cet homme…

Il y a des films dont on n’attend rien, si ce n’est évidemment de passer un bon moment. Arrivant vierge en salle, avec simplement l’envie de découvrir une nouvelle proposition de cinéma de la part de Jaime Rosales, « Petra » fut alors aussi bien une bonne surprise qu’une petite déception, dans le sens où sa dernière partie fut bien longue, ce qui est vraiment dommage, car elle contient des rebondissements essentiels à l’intrigue.

On le sait désormais, Jaime Rosales se réinvente à chaque film. Le réalisateur déteste rester sur ses acquis et propose à chaque fois autre chose, et si la proposition de cinéma sera peut-être radicale que « Un tir dans la tête« , on ne peut pas non plus dire que le cinéaste livre un film tout public.

« Petra« , c’est un paradoxe dans tout ce qui fait son essence. C’est un film qui peut s’avérer au premier regard d’une extrême simplicité et pourtant, il s’avère être surtout d’une très grande précision, aussi bien dans son scénario que dans sa mise en scène.

Construit en chapitres décousus, Jaime Rosales annonce la couleur dès l’ouverture de son œuvre, commençant par le chapitre deux, sans jamais montrer le premier chapitre. Ainsi, avec cette idée, Jaime Rosales fait de « Petra » un film manipulateur, qui ne va pas se livrer si facilement. D’ailleurs, le film fait de telles ellipses dans le temps que son cinéaste laisse beaucoup jouer notre imagination, et chacun donc, par cette démarche voulue et assumée, sera touché de manière différente par cette histoire. « Petra« , dans sa forme, fait penser à une œuvre d’art, ou un roman, que chacun interprète à sa façon.

Pour en revenir au scénario de « Petra« , Jaime Rosales nous entraîne donc dans une histoire terrible qui a tout de la grande tragédie grecque. Une tragédie qui, si elle parle beaucoup de l’humain, s’avère être avant toute chose un très bon film sur le mensonge. Le petit ou le grand mensonge, qui tôt ou tard ressurgit et peut avoir des conséquences folles et ici, son réalisateur rend son film totalement imprévisible, rebondissant en permanence sur des évènements qu’on ne voit pas arriver, alors même qu’ils peuvent être annoncés.

Horrible, pervers, cruel, si le scénario s’attarde beaucoup sur des détails qui n’ont pas vraiment d’importance, surtout en dernière partie, il faut saluer le grand art de l’écriture qui est d’une grande cohérence et qui livre là un film passionnant sur une grande partie de son métrage. On peut même parler ici de leçon d’écriture, tant le film arrive à génialement conjuguer précision, suggestion et imaginaire.

L’immense qualité qu’a « Petra« , c’est aussi d’avoir des personnages qui sont passionnants. Parfaitement tenus par les comédiens (Bárbara Lennie, Alex Brendemühl, Marisa Parades sont comme toujours géniaux et Joan Botey, dont c’est le premier rôle, est incroyable et répugnant au possible), les personnages jouissent tous d’une sublime écriture. On sent que Jaime Rosales a pensé ses personnages, il leurs a donné du fond, du relief, et autant de qualités que de défauts.

Enfin, comme à son habitude, Jaime Rosales livre une expérience de cinéma. « Petra« , si dans son montage tire sur la longueur, demeure un film qui est bourré d’audace et d’inventivité. C’est un film qui est bien souvent parcouru par une caméra qui est toute en apesanteur. Très régulièrement, le film impressionne par la précision de ses images, par la fluidité et la cohérence de son montage et l’emploi de sa BO. Il y a quelque chose de malsain qui se dégage des images de Jaime Rosales, un peu comme si le réalisateur nous plaçait en tant que témoin privilégié, mais impuissant de la tragédie qui s’apprête à être jouée.

« Petra » est donc un film aussi passionnant qu’il est quelque peu décevant sur sa fin. C’est un film qui déborde de cinéma, c’est un film qui est osé, comme toujours chez Jaime Rosales. C’est un film qui ne laissera personne indifférent, tant le pouvoir de l’imagination et de l’interprétation hante le spectateur à la sortie du film. « Petra » est donc assurément à voir, tout en sachant où vous mettez les pieds.

Note : 14/20

Par Cinéted

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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