De : John Brahm
Avec Linda Darnell, George Sanders, Laird Cregar, Glenn Langan
Année: 1945
Pays: Etats-Unis
Genre: Thriller
Résumé:
Une histoire d’amour et d’obsession dans le Londres du tournant du siècle.
Avis :
Suite à la montée du nazisme en Allemagne au cours des années 1930, John Brahm s’est exilé aux États-Unis. Issu du monde du théâtre, il entame une carrière émaillée de séries B et de métrages qui ne sont guère passés à la postérité. Un constat d’autant plus incompréhensible quand on peut apprécier les qualités de sa mise en scène. Si sa filmographie reste peu connue dans l’hexagone, il est deux films remarquables qui s’en distinguent aisément : Jack L’Éventreur et Hangover Square. Est-ce un hasard si leur tête d’affiche respective n’est autre que Laird Cregar ? Mais il ne s’agit pas de la seule occurrence notable à considérer, loin s’en faut.
La collaboration entre le réalisateur et l’acteur avait déjà fourni une formidable perle du thriller gothique avec Jack L’Éventreur, l’adaptation de The Lodger. Reconstitution minutieuse d’un Londres gothique qui succède formidablement aux versions d’Hitchcock et de Maurice Elvey. D’ailleurs, les décors ont été repris pour dépeindre la capitale britannique à l’aune du XXe siècle. Il n’est pas ici question de se réapproprier sans scrupules le travail effectué en amont, mais de se renouveler tout en préservant l’ambiance spectrale, presque surnaturelle, du fog londonien et de ses quartiers malfamés. De même, les crimes perpétrés renvoient inévitablement à l’affaire de 1888, bien que l’identité du tueur ne fasse pas l’ombre d’un doute.
Il est vrai que l’intrigue est avant une histoire d’obsession. Cela passe par la passion pour la musique. L’implication dans son art jusqu’à s’investir corps et âme. S’imposer une discipline à en oublier le monde qui vous entoure. L’obsession est également relationnelle avec une romance opportuniste pour l’une et une vaine idylle pour l’autre partenaire. Si la candeur presque enfantine de George Harvey Bone est assez déroutante, il n’en demeure pas moins un être prévenant, affable et d’une bonté sincère. Autant de traits de caractère qui viennent en contraste avec sa part d’ombre que l’on découvre en guise d’introduction, puis au fil d’une intrigue immersive au possible.
Dès lors, on songe au classique de Robert Louis Stevenson, L’étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde. Les thématiques et la manière d’avancer le sujet sont similaires et tout aussi pertinentes. Ici, le déclencheur n’est pas une potion, mais des sons particuliers. Élément troublant, l’état de transe ou d’hypnose n’altère pas les facultés cognitives ou mentales du tueur, mais sa perception de la réalité. Preuve en est avec la vue subjective de certaines séquences où le floutage traduit la perte de repères visuels et auditifs. L’empathie pour son personnage principal, à la fois héros et antagoniste, joue de contradictions pour mieux déstabiliser le spectateur. Elle n’en est que plus probante.
On ne peut pas évoquer un métrage qui place la musique au cœur de son intrigue sans s’y pencher à minima. Les compositions sont mesurées et parfaitement représentatives du climat qui hante chaque plan. La prestation est d’autant plus bluffante que le travail a été effectué avant le tournage du film. Une manière de procédé à l’aveugle née de la volonté du réalisateur lui-même. L’intrication entre l’image et les mélodies est telle qu’il est difficile d’en imaginer la dissociation. Quant au Concerto Macabre for piano and orchestra, il est l’incarnation même de la psyché tourmentée de son compositeur fictionnel, faisant s’envoler des notes lourdes de sens, discordantes et envoûtantes.
Au final, Hangover Square s’inscrit dans l’excellence de son prédécesseur, Jack L’Éventreur. Dans un contexte similaire, mais un registre différent, le film de John Brahm n’en demeure pas moins un bijou d’atmosphère victorienne, notamment avec une bande-son exceptionnelle. L’histoire fait montre de subtilités afin d’exposer ses personnages et de développer ses sujets. L’art, comme l’amour, c’est l’obsession subjective qu’on veut bien leur porter. On regrettera toutefois la dernière apparition de Laird Cregar, acteur tout simplement remarquable. D’ailleurs, l’une de ses conversations avec le réalisateur résonne comme une prédiction mystérieuse : « Ce sera mon dernier film ». À seulement 31 ans, il décède peu de temps après la fin du tournage d’une crise cardiaque.
Note : 18/20
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Par Dante