mai 29, 2023

Le Cri du Cannivore 2018 – Jour 6

Ca y est, nous sommes à mi-parcours (j’ai l’impression d’avoir déjà deux festivals dans les pattes, mais en même temps avec le BIFFF le mois dernier on n’est pas si loin), et la fatigue commence clairement à se faire ressentir. Un peu boulimique dans ma volonté d’en voir le maximum, pour en parler le maximum (alors que si ça se trouve, vous en avez rien à carrer du festival de Cannes, j’en sais rien moi, il fait beau par chez vous, et les enfants ça va ?), je finis tard, je commence tôt (enfin tôt pour moi, mais je suis hypersomniaque et je vous prout) et je ne dors pas beaucoup (oui, je sais, c’est paradoxal, mais c’est épuisant, la preuve je suis tellement fatigué que je me mets à mettre des parenthèses partout, je vais d’ailleurs m’arrêter tout de suite).

Bref, ma journée a commencé avec la séance du lendemain du Grand Bain de Gilles Lellouche, dont c’est le premier long-métrage depuis le barré Narco en 2004 (sans compter sa participation au film à sketchs Les Infidèles). 14 ans, c’est quand même sacrément long, surtout après un film qui avait fait une assez bonne impression à l’époque (aussi parce qu’il était le premier à montrer Jean-Claude Van Damme sous un nouveau jour). Ceci dit, l’annonce d’une comédie française au casting de stars (Benoit Poelvoorde, Guillaume Canet, Mathieu Amalric, Jean-Hughes Anglade, Virginie Efira, Leila Bekthi, Marina Fois, Jonathan Zaccai, Mélanie Doutey, excusez du peu) prenant pour sujet la natation synchronisée masculine avait de quoi effrayer, habitués que nous sommes à des produits ineptes au rire gras et à l’émotion forcée.

Hé bien tremble, Pitch Perfect, tremblez, Sexy Dance et autres films de championnats artistiques galvaudés, sois fier, Full Monty, la France a désormais son représentant du « film d’outcasts qui font un pari fou », et il n’a pas à rougir l’ombre d’une seconde. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu une vraie bonne comédie française, qui cherche constamment à élever l’ouverture d’esprit du spectateur et s’applique à trouver le bon mot le bon plan, le bon personnage pour arriver à ses fins par le rire.

Le film commence par une vision du monde décrite par la voix de Mathieu Amalric. Le monde serait symboliquement fait de ronds, et de carrés, et dès l’enfance on comprend qu’on ne pourra jamais mettre des carrés dans des ronds, et inversement. Hé bien Le Grand Bain, c’est ça, des types ordinaires qui pendant 2h s’acharnent à essayer de mettre des carrés dans des ronds. Est-ce qu’on est obligé de dire qu’heureusement, bien heureusement, ils y arrivent ?

Bien sûr, si l’on creuse un peu, au-delà du plaisir évident que l’on a à voir évoluer ces olibrius au gré de dialogues échevelés (on avait oublié, depuis Narco, à quel point Gilles Lellouche est un bon dialoguiste), l’histoire est cousue de fil blanc, calée sur les archétypes du « film de tournoi » qui s’est décliné de multiples façons, des arts-martiaux au sport en passant par la musique. On sait souvent à l’avance comment certaines scènes vont se dérouler, même si le film nous réserve quelques surprises plutôt subtiles à ce niveau-là. De la même façon, l’interprétation sans failles des acteurs est souvent calquée sur le genre de rôle qui les caractérise le mieux et qu’ils ont l’habitude d’endosser. Poelvoorde fait du Poelvoorde, Philipe Katherine joue le grand benêt, Jean-Hughes Anglade le rocker sur le retour, Virginie Efira la jeune femme complexe et délicate, etc.

Mais cela est de peu d’importance, tant l’énergie qui se dégage du film, sa subtilité d’exécution, le respect pour son sujet et l’empathie pour ses personnages, emportent le morceau.

Pendant un bon moment pourtant, on se dit que la natation synchronisée masculine n’est qu’un prétexte de plus pour parler du vrai sujet, cette pression sociale qui écrase les Hommes, qui brise leurs rêves et détruit peu à peu leurs espoirs à mesure que les années passent. Sans jamais se permettre de juger ses personnages, Gilles Lellouche les présente comme des individus persuadés au fond d’eux-mêmes qu’ils sont des ratés, se réfugiant chacun à leur manière dans un individualisme triste. Là l’égoïsme (Guillaume Canet en chef d’entreprise aigri), ici les magouilles (Benoit Poelvoorde fidèle à lui-même en menteur-arnaqueur), ailleurs la résignation pour Philipe Katherine ou la dépression pour Mathieu Amalric. Le prétexte artistico-sportif serait juste là pour créer une famille qui va se serrer les coudes pour évoluer.

Et puis on finit par comprendre que la natation synchronisée, et le titre du film, ne sont pas là par hasard. Le Grand Bain, c’est le danger, c’est plonger enfin dans l’inconnu de manière à se surpasser, et plus encore dépasser cette peur qui nous force à rester là où on a pied. Les héros du film ne sont alors plus des ratés, mais simplement des humains qui végètent par peur de ne pas réussir autre chose, car trop risqué. Et le concept de la natation synchronisée masculine est un formidable contrepoint à The Full Monty, dont il reprend certains éléments thématiques. Comme dans le film de Peter Cataneo, la société de l’apparence rappelle sans cesse aux héros qu’ils ne sont pas à leur place, qu’ils sont là pour assurer le rôle de père, de mari, de mâle, qu’ils ne sont que des carrés qui ne peuvent pas aller dans des ronds. Et pourtant ils le font, et la scène finale magnifique est autant empreinte d’énergie, d’émotion et de douceur que d’originalité dans sa réalisation.

Ajoutez à ça une musique en forme de ritournelle qui vous donne envie d’embrasser votre voisin de siège (ça sentait comme chez le dentiste alors j’ai pas osé) et une Leila Bekhti absolument hilarante en entraineuse en chaise roulante plus proche du lieutenant d’Apocalypse Now que du coach sportif, et vous avez une petite pépite galvanisante comme on aimerait en voir plus souvent en France.

Difficile de passer directement à autre chose après ça, et pourtant il le faut bien, puisque j’enchaîne directement avec Une Affaire de famille de Hirozaku Kore-eda (dont le thriller The Third Murder est sorti le mois dernier France, la critique de Cinéted est dispo sur le site). Un réalisateur que le sujet de la famille semble tenir à cœur, puisqu’après Nobody Knows, Still Walking, Tel Père, tel fils ou encore Notre Petite Sœur, il s’attache à nouveau à explorer les liens familiaux et les situations qui peuvent unir une famille même aussi particulière que celle-là.

Car cette petite communauté soudée cache de nombreux secrets. Réunis à 5 dans la maison de la grand-mère, se partageant l’espace, tous habitant là illégalement (si ce n’est la grand-mère en question), chacun à sa manière subvient aux besoins de la famille. La mamie profite de sa pension, et de la culpabilité de la seconde famille de feu son mari, la mère travaille d’arrache-pied dans une lessiverie et récupère les objets oubliés dans les poches, sa sœur est une escort-girl à peine entrée dans l’âge adulte, quant au mari, s’il travaille sur les chantiers, il apprend surtout à son fils les techniques du vol à l’étalage. La famille va s’agrandir, et les choses changer tout doucement, quand ils recueillent une gamine maltraitée qui traînait dans la rue sans prévenir personne.

Éloge de la magouille à des fins nobles, de la famille du cœur avant celle du sang, du bonheur simple d’avoir quelqu’un à qui l’on tient, Une Affaire de famille déroule ses mystères et leur lente révélation sans jamais se presser, avec beaucoup de do et infiniment de tendresse pour ces misfits immédiatement attachants. Le film met beaucoup de temps à dévoiler ses cartes, mais si tant est que vous n’avez pas deux nuits blanches dans les pattes, impossible de décrocher tant les relations sont touchantes et les résolutions injustes. Plus encore, il brosse un portrait du Japon actuel où l’art de la débrouille à nécessairement pris le pas sur le culte du travail comme projet de vie.

On en ressort incroyablement ému, sans avoir vu le temps passer mais en ayant souri souvent.

Un peu de temps libre après cela, ce qui me permet de finir le compte-rendu de la veille, et ensuite direction Studio 13, à 20 minutes à pattes du Palais des Festival, une salle que je fréquente pour la première fois, et qui me permet de rattraper le Climax de Gaspard Noé que j’avais raté la veille. Cette fois pas question de se faire avoir, je prends largement assez d’avance (surtout qu’en fait la presse est ultra prioritaire dans cette salle, ce qui me permet de rentrer parmi les premiers, et heureusement, parce qu’il recommençait à flotter).

Après la déception de Love il y a 3 ans, j’attendais beaucoup de ce Climax dont je ne savais absolument rien, si ce n’est des rumeurs comme quoi on y trouverait de l’acide versé dans la sangria d’une soirée et du bad trip qui s’en suit.

C’est le cas, et mon dieu ce que c’est mauvais. Sorti d’exploits techniques impressionnants (la seconde partie du film n’est qu’un long plan-séquence particulièrement virtuose dans son exécution), et de quelques saillies coutumières du réalisateur, notamment les dernières minutes et leurs descriptions visuelles d’un certain enfer, Climax ressemble plus à ce qu’un fan de Gaspard Noé aurait voulu faire pour lui rendre hommage qu’à une œuvre de l’auteur d’Irréversible et Seul contre tous.

Le réalisateur semble se gargariser de son propre travail et s’auto-citer constamment avec une attitude de petit malin détestable qui montre ses fesses pour faire parler de lui. On retrouve donc pêle-mêle dans Climax la déstructuration d’Irréversible, avec son générique en début de film (et aussi au milieu) et son titre à la fin, la caméra outrancièrement libre et les titrages clipesques d’Enter The Void, même ces flashs noirs débiles qui découpaient anarchiquement les images et les séquences de Love. Gaspar Noé se regarde créer, sans s’apercevoir qu’à peu de choses près, il crée du vide. Avec toutes les meilleures intentions du monde, sûrement, seulement on sait bien quels lieux pavent les bonnes intentions.

Cherchant à décrire une soirée de fin de résidence d’une troupe de danseurs, qui tourne à l’Apocalypse et révèlent les plus bas instincts lorsque ceux-ci se retrouvent drogués à leur insu, Climax est l’exemple même du film qui aurait pu fonctionner sur 25 minutes, mais pas sur 1h35. Résultat, les scènes s’étirent en longueur et dégoulinent de prétention provocatrice. Toute la première partie montre uniquement les artistes passer leur casting, répéter, danser, puis parler de drogue et de cul en sirotant leur sangria. Pendant quelques minutes, on est fasciné, puis amusé pendant encore quelques minutes, et puis, rien n’avançant, on finit par se dire « à quoi bon… ». Même lorsque la situation déraille, on espère constamment que tout va décoller et nous montrer quelque chose qui nous colle plus au siège et nous choque plus qu’une resucée de la première partie d’Irréversible et sa vision de l’enfer. Des drogués qui hurlent, se roulent par terre et s’attaquent mollement, ça va bien deux minutes…

Climax se veut charnel, sensitif, chaotique, et tiré d’une histoire vraie, le symbole d’une liberté de vivre qui va trop loin. Au final, il n’est que brouillon, épuisant, assez mal interprété, Sofia Boutella est rafraichissante mais joue comme si son prix d’interprétation au Festival de l’Hystérie en dépendait, et l’on ressort de là passablement circonspect, autant parce que l’on vient de voir que par son potentiel sous-texte.

Pour me laver les yeux, direction, après un sandwich falafel bien mérité, au dernier film de la soirée, Les Chatouilles d’Eric Métayer et Andréa Bescond, projeté à l’occasion d’Un Certain Regard. Un sujet difficile pour ce premier film, qui raconte le traumatisme d‘enfance et la lente guérison d’une danseuse (Bescond elle-même, danseuse de profession), après avoir subi des assauts sexuels répétés de la part d’un ami de la famille. Elle n’en a jamais parlé à personne, et pour la première fois, elle raconte son histoire à une psy.

Les Chatouilles commence par un générique saisissant qui montre Andréa Bescond danser, krumper même, sur fond noir, comme une forte symbolique corporelle de l’histoire qui va suivre. Et on aurait aimé que la majeure partie du film soit du même acabit, préférant la danse à la parole pour couvrir son sujet, car Andréa Bescond est une excellente danseuse, mais contrairement à Victor Polster dans Girl qui entretient certaines similitudes avec ces Chatouilles, elle n’est pas une grande actrice. Forcée, déséquilibrée, à la limite du surjeu (en tout cas la concerne), le film déconcerte beaucoup dans sa première partie.

Impossible pourtant de nier de très bonnes idées de réalisation, comme le fait de passer des souvenirs au présent, d’une époque à l’autre, de manière très scénique, comme au théâtre, ou cette façon d’intégrer Odette, le personnage principal, et sa psy à ces mêmes souvenirs fantasmés, seulement c’est le systématisme de ces concepts qui finit rapidement par désintéresser. Il se dégage des Chatouilles une maladresse, un manque de recul et d’humilité qui est complètement contre-productif par rapport au sujet traité.

Et pourtant, peu à peu, par à-coup, le film finit par trouver son rythme et son ton, les dialogues se font moins forcés, Andréa Bescond a l’air plus à l’aise et plus subtile dans ce rôle de gouailleuse meurtrie qui auparavant tournait à la caricature, et Les Chatouilles se met enfin à accumuler les scènes poignantes, cruelles et terriblement douloureuses à regarder, et nous offre des séquences légères et plutôt drôles quand il échouait systématiquement à provoquer autre chose qu’un rire gêné auparavant.

Et plus le film approche de sa résolution, plus l’émotion est palpable, et plus les réactions outrancières des protagonistes sonnent juste. Quant à l’interprétation, au-delà d’Andréa Bescond qui semble avoir du mal à conjuguer réalisatrice et actrice principale (et de la présence remarquée du toujours très bon Gregory Montel découvert dans Dix pour cent), si Karin Viard flirte comme à son habitude avec l’excès gênant sans jamais y tomber, c’est Clovis Cornillac qui impressionne, plus convaincant, subtil et touchant qu’on ne l’avait jamais vu. Il porte ses séquences sur ses épaules et trouve là un des meilleurs rôles de sa carrière. Ca fait toujours quelque chose de voir un artiste qu’on n’a jamais vraiment trouvé excellent éclater soudainement au grand jour et trouver enfin sa lumière.

Au final, on ne peut pas vraiment reprocher au film ses essais maladroits et sa structure un peu bancale, tant il transpire la bonne volonté, tant il est évident qu’il a été fait avec le cœur et les tripes. Dans de telles circonstances, même un mauvais film devrait être salué et applaudi quand il parle d’un tel sujet avec autant de passion et de douleur. Les Chatouilles n’est pas un mauvais film, et malgré ses défauts il mérite d’être vu et reconnu.

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Par Corvis

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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