Avant de vous parler de mon troisième jour à Cannes (une journée plutôt calme mais haute en couleurs si vous voulez savoir), on va revenir sur le deuxième jour puisque je n’avais pas fini faute de temps.
Dernier film de ma seconde journée cannoise, Arctic était donc présenté en séance de minuit, et en présence de l’équipe du film forcément, dont Mads Mikkelsen toujours aussi charismatique (bien qu’on sente la fatigue affluer dans ses yeux à cette heure indue).
Premier film du réalisateur brésilien Joe Penna, qui s’était fait connaître auparavant sur internet avec plusieurs courts-métrages, Arctic est un film aussi minimaliste que protéiforme, puisque c’est donc une production islandaise réalisée en anglais par un brésilien, avec un acteur danois livré à lui-même dans la neige. À la façon d’un Seul au monde, ou plutôt de l’exceptionnel All is lost de J.C Chandor avec Robert Redford dont il partage l’économie de dialogues, l’immensité monochrome et le silence oppressant, Arctic raconte les efforts de survie d’un pilote écrasé dans une étendue glacée, et sa décision de rejoindre à pied une base de secours après le crash d’un hélicoptère, potentiel salut qui finalement lui ramène une blessée à secourir.
Des histoires de survie telles que celle-ci, on en a déjà vu, ne serait-ce que dans les films suscités, mais l’acuité sans faille de la réalisation et l’environnement original dans lequel se déroule ces événements, sorte de Man Vs Wild au cercle polaire, attise immédiatement l’intérêt. Et le personnage de Mads Mikkelsen, placide et volontaire, armé d’une routine solide et d’un sang-froid exemplaire, vibrant d’une incroyable volonté de survivre, finit d’emporter le morceau. Le voir trouver coûte que coûte des solutions à s’acharner à l’espoir malgré les embûches, le sentir peu à peu, tout doucement, perdre ses certitudes à mesure que l’épreuve s’alourdit, nous fait vraiment nous identifier à lui.
Résultat, on sent presque la morsure du froid sur la peau, on comprend la responsabilité qu’il ressent face à cette jeune femme souffrante à ramener à bon port, on a peur quand il a peur, ou a mal pour lui quand il souffre, bref on suit toutes les péripéties avec d’autant plus d’attention qu’elles sont dégraissées de toute fioriture.
Et des péripéties il y en a, entre tempête, ours polaire, crevasse, falaise, c’est à croire que le karma s’abat sur cet homme sans qu’il ne perde jamais son désir de s’en sortir. On pourrait à la limite regretter que le réalisateur n’aille pas jusqu’au bout de sa ligne directrice, qui aurait donné une fin sacrément couillue, mais c’est un maigre reproche face à un film prenant de bout en bout qui nous accroche du début à la fin. Et joie, il sortira en France en Décembre prochain.
Aujourd’hui donc, troisième jour à Cannes. J’aurai aimé commencer ma journée avec la séance de rattrapage des Confins du Monde de Guillaume Nicloux, film de guerre qui voit Gaspard Ulliel partir à la recherche des meurtriers de son frère en pleine Guerre d’Indochine, mais en s’étant couché sur les coups de 3h, impossible de se lever à temps pour la séance de 11h30. Rendez-vous compte, j’étais même juste juste pour ma seconde séance à 15h, le temps de vous faire un compte-rendu, de partir en voiture, de trouver à me garer, je n’ai même pas eu le temps de manger, et c’est donc affamé que j’entre dans la salle Bazin (toujours aussi réfrigérée) pour À genoux les gars d’Antoine Desrosières.
Ou l’histoire de Yasmina, jeune lycéenne qui ne connaît rien à l’amour ni à la sexualité, qui suit aveuglément les conseils de sa sœur Rim quand elle veut la brancher avec Salim, un ami de son petit-copain Majid. Novice, décontenancée, Yasmina a tôt fait de se faire embobiner par Salim, et un soir, sa sœur partie pour la semaine et sous la pression de son copain, elle accepte de faire une fellation à Majid, forcément filmée à son insu. S’ensuivent bien sûr menaces de tout dévoiler, mensonge et manipulations.
À la lecture de ce pitch, on imagine immédiatement un drame poignant et glauque sur la place de la femme dans la société, sur le rapport biaisé des jeunes à la sexualité, sur la culture du viol qui est sur toutes les lèvres à mesure que les scandales s’enchaînent, un peu comme l’était le tétanisant La Belle et la Meute l’année dernière.
Que nenni, mesdames et messieurs, il s’agit d’une comédie légère, où les acteurs s’en donnent à cœur joie dans le phrasé imagé des banlieues et ses multiples expressions. Ce qui est pour le moins… perturbant.
À la vue de certains éléments, et de la structure du film, on se dit qu’il y avait matière à faire un film aussi dur que pertinent sur le sujet, sorte de spirale infernale qui écraserait la victime, avant qu’elle ne réussisse à s’en sortir par un coup d’éclat. Pourtant le réalisateur a choisi un tout autre angle d’attaque. Et bien sûr, faire de l’histoire une comédie était un choix tout aussi valable, mais autrement plus casse-gueule, qui aurait pu, réalisé avec précision donner une pépite d’humour satirique, à mi-chemin entre la tragédie réaliste et quelque chose de plus décalé. Malheureusement, À genoux les gars échoue régulièrement sur ce tableau, incapable de trouver le ton juste dans l’humour (si les situations improbables ne suffisaient pas, les dialogues et le jeu en totale roue libre des jeunes acteurs sent mauvais l’exagération constante pour sonner « banlieue », comme s’il s’agissait d’une caricature mal dégrossie faite par un anthropologue paternaliste) comme dans sa thématique beaucoup plus grave de la pression sexuelle endurée par les jeunes filles, d’une part (la famille et la société attendent d’elles une abstinence irréprochable jusqu’au mariage) comme de l’autre (les garçons tentent constamment de les manipuler pour avoir les faveurs sexuelles qu’ils estiment légitimes).
Résultat, à quelques détails près, ce n’est pas très drôle, et pas beaucoup plus pertinent, dans sa volonté maladroite de parler de l’émancipation d’une jeune fille et de sujets qui fâchent sous le prisme de l’humour. Tout semble forcé, et certaines scènes qui s’allongent finissent à ressembler à du remplissage qui n’amuse que les créateurs du film.
Quant à la réalisation, elle semble se réfugier derrière l’excuse du « pris sur le vif » et de l’improvisation pour justifier son manque de créativité, et au lieu de transcender les situations ne fait que les dérouler platement, laissant la part belle à des acteurs qui en font des tonnes. Il y a bien cette volonté de décalage dans l’ambiance musicale, qui n’utilise que des chansons féminines (voire féministes) des années 60, mais elle ne sont largement pas assez mises en valeur pour qu’on comprenne où veut en venir le cinéaste.
Bref, après les premiers échos, je m’attendais à quelque chose de frais et frondeur à la fois sur la banlieue (un peu comme les courts Goût Bacon et Guy Moquet qu’on avait vu à Clermont-Ferrand), au final À Genoux les gars s’avère ma première déception du festival.
Après cela… Et bien après cela ce fut une toute petite journée. Elle n’était déjà pas bien remplie, mais figurez-vous que j’ai oublié de prendre mon médicament ce jour-là (jeracontemavie.com), et j’ai dû faire sauter la séance rétrospective de Miss Daisy et son chauffeur pour rentrer dans mes pénates.
Bref, la séance suivante fut la dernière de la journée, la présentation de l’Ange, de Luis Ortega (terrifié à l’idée de monter sur scène présenter son film d’ailleurs), biopic assez libre du sanguinaire Carlos Robledo Puch, surnommé l’Ange Noir, criminel argentin arrêté à 20 ans, condamné à perpétuité il y 46 ans, ce qui en fait la plus longue peine de toute l’histoire de l’Argentine. Je précise, assez libre, car maintenant que je viens de me renseigner sur le véritable Puch, je me rends compte que le film est encore loin de la vérité.
Petite parenthèse, le film était présenté par une grosse partie de l’équipe (notamment les acteurs, parmi lesquels Cecilia Roth, fidèle de Pedro Almodovar), mais également les producteurs, dont Almodovar lui-même, qui, lorsque Thierry Frémaux lui a donné la parole, a assuré n’avoir rien à dire car ce n’était pas sa soirée, avant de nous délivrer un speech flamboyant de plusieurs minutes sur le film.
El Angel donc, est une sorte de biopic à moitié fantasmé du tueur Carlos Puch, qui a terrorisé l’Argentine entre 1971 et 1972. Et dès les premières secondes, on sent bien que cet ange blond au visage poupin, aux lèvres pulpeuses, aux manières un peu efféminées et au regard torve est complètement psychotique. Dénué de sens moral comme du regard fou qui peut caractériser les serial-killer, Carlos cambriole sans penser à mal, prend ça comme un métier, et finit par assassiner les personnes qui se dressent mollement sur sa route, naturellement, comme par réflexe, sans aucune préméditation. Il semble même n’y prendre aucun plaisir et faire ça comme on jetterait un papier par terre, nonchalamment, et c’est ce qui le rend d’autant plus terrifiant.
Perturbante aussi, cette façon qu’a le film de jongler constamment entre des situations très terre à terre, et un décalage de ton parfois proche de l’absurde qui donne souvent au film des allures de comédie noire grinçante. Les personnages et les événements seraient, pris au premier degré, éminemment glauques, mais Luis Ortega réussit à leur appliquer un traitement qui fait souvent rire de bon cœur, même dans les moments les plus limites. Encore une fois, cette année, le Festival sélectionne des films au sujet plutôt convenu (des biopics de voleurs ou de tueurs, on en a déjà vu un paquet) mais au ton complètement original qui apporte une certaine fraîcheur.
Ceci dit, le réalisateur peut se permettre cette touche d’humour noir surtout parce qu’il modifie quelque peu la réalité au profit de la cinégénie du sujet. Le final annonce que Carlos Robledo Puch s’est rendu coupable de 11 meurtres et 42 vols. Si le nombre de morts est exact, le véritable Puch n’a été condamné que pour 19 petits cambriolages. Par contre, il est coupable de tentative de meurtre, de viol, de tentative de viol et de kidnapping. C’est pas la même. Pourtant cela n’entache pas du tout la qualité du film, drôle, mais assez prenant, qui finit pourtant par s’essouffler à mi-parcours. On attendant une spirale infernale, une progression, et pourtant l’histoire ronronne, semble ne plus avancer et faire un peu de remplissage. Des personnages qui semblaient importants disparaissent un long moment avant de revenir pour une ou deux scènes, et on commence tout doucement à décrocher, avant que l’intérêt redémarre avec la dernière bobine, retrouvant l’impact, et surtout le sens de l’absurde et de la satire qui caractérisait la première partie du film.
Au final, L’Ange est un film assez consensuel dans ce qu’il raconte, mais ô combien original dans sa façon frondeuse et provocatrice de le raconter. Espérons qu’il sorte en France avant les Calendes Grecques.
Par Corvis