mai 28, 2023

Le Cri du Cannivore 2018 – Jour 2

Et voilà, cette fois le festival a définitivement commencé, après un tour de chauffe hier me voilà plongé dans le maelström, naviguant de séance en séance au long de la Croisette, du Palais au Miramar et du Marché du film au Cinéma de la Plage.

Si j’avais démarré ma Quinzaine avec deux rétro hier, c’est pas moins de cinq films dans les diverses sélections que j’ai englouti aujourd’hui, me ramenant dans mes pénates sur les coups de 3h du matin. Deux jours et déjà un bel épuisement.

Bref, quoiqu’il en soit, j’ai réussi à me lever à temps pour le film de 11h (c’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup), Leto (ou l’Été dans la langue de Molière) du russe Kiril Serebrennikov.

Un film qui prend place dans un petit bled d’URSS au tout début des années 80, et qui, à l’époque de Bowie, Iggy Pop, du punk et du métal, voit l’émergence de la scène rock malgré l’oppression quotidienne du régime communiste. Et notamment les débuts d’un jeune auteur, Viktor Tsoi, qui deviendra une légende.

Leto est un film incroyable à bien des niveaux.

Son histoire, premièrement, pour qui ne la connaît pas, est une excellente fiction qui imagine ce qu’a été ce vent de liberté contrarié, et les difficultés à faire vivre cette musique venue de l’Occident à une époque où celui-ci était considéré comme l’ennemi juré de la Russie. Et pourtant, il s’agit d’une histoire entièrement vraie, un biopic qui n’en prend jamais l’allure pour mieux nous emmener dans un tourbillon de musique et d’émotion. Viktor Tsoi a vraiment existé, il fonda le groupe Kino et fut un pionnier de tout un pan du rock russe, avant de mourir tragiquement en 1990 après s’être endormi au volant. De même que son mentor dans le film, Mike Naumenko, autre figure du rock soviétique tellement persuadé du talent de Tsoi qu’il fera tout pour le mettre en avant, jusqu’à laisser sa propre femme tomber amoureuse de lui.

Avec Leto c’est tout un pan de l’histoire de la musique russe (et au final de la musique tout court) que l’on découvre, avec ses personnages empreints de liberté, qui se partagent entre la fougue de la jeunesse et une incroyable mélancolie. Le régime est oppressif, les concerts de rock sont très rares, les spectateurs contraints de rester assis et de ne pas montrer leur attachement aux groupes, les citoyens regardent d’un œil méprisant ces jeunes qui « déshonorent la Mère Patrie ». On a déjà vu bon nombre de biopic sur l’histoire de la musique rock et la création de groupes de légendes, mais rarement on aura eu cette sensation écrasante de tyrannie artistique, ce besoin de rébellion et d’émancipation étouffé dans l’œuf. Une frustration personnifiée par une sorte de Monsieur Loyal qui fait le trait d’union entre les héros du film et les spectateurs, brisant le quatrième mur pour rappeler que les moments de folie du film ne sont malheureusement jamais arrivés.

Ce qui amène au second aspect du film, sa réalisation impeccable et ô combien pertinente. Leto se présente dans un doux noir et blanc, là où on aurait l’habitude d’un déferlement de couleurs pour un sujet pareil. Un parti-pris qui apporte une vraie poésie au film, en même temps qu’il représente parfaitement la morosité de l’époque, la « grisaille » d’une URSS refermée sur elle-même qui ne souffre aucune aspérité. Avec de grands plan-séquences tellement fluides et évidents qu’on en oublie que la scène n’est pas découpée, Kiril Serebrennikov nous plonge presque langoureusement au cœur de cette époque de changement. Et puis, quand la musique rock reprend le dessus lors de séquences fantasmées, la réalisation se lâche avec moult effets visuels « dessinés » sur l’image, comme dans un clip punk, ou l’apparition sporadique de la couleur. Une merveilleuse manière de visualiser ce qu’a pu être cette musique pour le peuple russe.

Et enfin, le film lui-même a connu une création incroyable. L’acteur principal, Teo Yoo, est un germano-coréen qui ne parle pas un mot de russe, et a eu trois semaines pour apprendre son texte en phonétique, et pourtant cela est totalement invisible à l’écran. Quant au réalisateur, il a été arrêté et déporté à Moscou en plein tournage pour détournement de fonds public (le régime de Poutine n’ayant certainement pas aimé ce regard critique sur la Russie) et a dû monté le film seul chez lui, sans contact avec le monde extérieur. Assigné à résidence, il n’a même pas pu faire le déplacement jusqu’à Cannes, malgré la demande officielle du gouvernement français.

Bref, un film incroyable à bien des égards qui, joie, sortira en France en Décembre prochain.

Encore tout émoustillé par ce que je viens de voir, j’engloutis rapidement un déjeuner, et après un petit zonage du côté du Marché, je me dirige vers ma seconde projection de la journée, Wildlife, première réalisation de Paul Dano, diffusé à la Semaine de la Critique. Une information qui a dû me sortir de l’esprit, puisque je me retrouve au Théâtre Croisette où a lieu la Quinzaine des réalisateurs. Je ne me formalise pas plus que ça quand je vois la séance commencer 15 minutes plus tôt que je ne le pensais, ce n’est que lorsque la première image apparaît sur l’écran que je réalise mon erreur. Oui, pour la première fois de ma carrière, la hchouma sur moi, je me suis tout simplement trompé de salle. C’est donc devant le documentaire Samouni Road de l’italien Stefano Savona que je me retrouve. Un documentaire âpre sur le quotidien d’une famille de Gaza qui n’a plus grand-chose, ni père, ni oliviers, et pas vraiment de futur, après un bombardement israélien. On pouvait craindre le pire, dans les premières minutes, avec ces plans qui s’étirent, cette caméra portée qui filme même l’inintéressant, ces séquences d’animation qui semblent gravées à l’eau forte sur des plaques noires. Quelque chose entre le plombant, le misérabilisme de pacotille, et le poseur. Surtout quand, comme moi, ce n’est pas du tout le film qu’on s’attendait à voir. Et pourtant, peu à peu, les pièces du puzzle s’assemblent, le sujet devient plus précis, la tragédie se fait plus précise, l’animation devient hypnotique. En parlant de l’opération « Plomb Durçi » qui en 2009 a vu l’armée israélienne harceler la communauté palestinienne, bombardant et tuant des civils sans sommation, Samouni Road brasse le portrait d’âmes errantes, qui évoluent années après années, presque hermétiques à l’horreur, se rappelant ces jours de terreur avec presque autant de défaitisme que d’émotion.

Ce qu’il y a d’encore plus terrible que la tragédie exubérante, celle qui explose dans les larmes et le traumatisme, c’est la tragédie devenue si quotidienne qu’on l’absorbe avec beaucoup de recul. Une gamine devient philosophe, un enfant honore la mémoire de son père en dessinant son visage pour ne jamais oublier de le venger, un autre mange une orange en plaisantant sur le fait que sa famille mange à présent des oranges au paradis, une mère parle de la mort de son mari en continuant à préparer la cuisine.

Avec une construction morcelée entre plusieurs époques (le réalisateur étant un habitué de la bande de Gaza) et plusieurs point de vue (le point de vue documentaire, l’animation pour présenter ce qui précéda et se déroula lors de cette nuit de terreur à partir de témoignage, mais aussi le point de vue du drone israélien recréé en image de synthèse), Stefano Savona nous fait peu à peu réaliser l’horreur de la situation, une situation devenue presque habituelle pour les victimes, et évidente pour les bourreaux.

Plus encore, en scrutant les conséquences de ces attaques, il nous expose le cercle vicieux de la violence, comme les partis politiques essaient de reprendre à leur compte la tragédie, et comme la mort des martyrs pousse leurs enfants à vouloir s’engager dans la rébellion. La violence appelle la violence, et si le film se termine sur une séquence de mariage, peu d’espoir transparait des constatations de Samouni Road, où la guerre et l’oppression sont tellement devenues une habitude qu’on ne fait que reconstruire ses maisons et son âme, en pensant à la vengeance.

Après une telle bouffée d’air frais, il fallait rapidement passer à autre chose, et c’est chose faite puisque, nonobstant le nouveau film de Guillaume Nicloux (ben oui, il faut faire des choix), j’ai essayé d’avoir mes entrées pour le thriller coréen Believer de Hae-Yeong Lee. Un nouveau thriller badass comme sait en faire le Pays du Matin Calme. Ici l’on découvre Won-ho (Jin-Woong Cho, vu dans Hard Day ou Mademoiselle), un flic bien décidé à mettre la main sur Mr Lee, un magnat de la drogue dont personne, pas même la plupart de ses employés, ne connaît la véritable identité. Sa rencontre avec Rak, rescapé de l’explosion d’une usine de drogue, va peut-être changer la donne.

S’en suit deux heures de pression intense, de faux-semblants, du suspense haletant, et bien sûr des habituelles séquences de tatanes, avec toujours un sens aiguë de l’image qui claque et du découpage qui clarifie l’action. On a bien sûr déjà vu plus touffu, et peut-être plus original dans le vivier de scénarios du cinéma coréen, mais ce Believer remplit parfaitement son office, avec sa galerie de personnages hauts en couleurs, acheteur psychotique, homme d’affaire vénéneux et autre duo de scientifiques sourd-muet.

Quel dommage, du coup, que Believer s’achève sur un twist complètement faisandé, qui semblait évident dès les premières bobines. C’est bien la seule faute de goût d’un thriller bien prenant, qui a le bon ton de se terminer sur un plan final lourd de suggestion et de mystère. Bref, une nouvelle pépite en provenance de Corée qu’on aura peut-être la chance de voir débarquer un jour dans l’Hexagone.

Un peu de temps pour manger ensuite, et direction le Cinéma de la plage pour la projection du Specialiste de Sergio Corbucci, l’un des trois grands Sergio du western spaghetti avec Leone et Solima. Un film qui nous vient du crépuscule du western italien alors sur la pente descendante, coproduction franco-germano-italienne un peu improbable qui voit notre Johnny national endosser la défroque d’un pseudo Clint Eastwood, pistolero à la recherche de ceux qui ont lynché son frère après l’avoir accusé de vol.

Le présentateur nous rappelle en début de projection que si tout le monde se souvient de Sergio Leone, Corbucci a également été l’auteur de véritables chefs-d’œuvre. Si l’on ne peut qu’être d’accord pour Le Grand Silence ou Django, le début du Spécialiste laisse penser qu’il ne fait pas partie de ses meilleurs. Avec ses paysages d’Alpes italiennes qui peinent à retranscrire l’Ouest américain, ses costumes improbables et sa qualité d’interprétation très en-dessous (pas aidée par une version française assez déplorable, surtout pour l’époque), Le Spécialiste fait plus sourire qu’autre chose, surtout quand on voit Johnny Hallyday essayer désespérément de jouer le cow-boy ténébreux, avec sa bouille ronde et sa coupe de playmobil blond.

Pendant un temps, c’est la réalisation de Corbucci, assez sèche et classieuse, qui sauve les meubles. Et puis, peu à peu, le scénario se fait plus intéressant et retors, et surtout enchaîne les idées assez branques (comme ce desperado mexicain manchot avec un éperon accroché au moignon, ou cette séquence de baston à coup de tête, les bras liés au corps par de la corde) et donc assez réjouissantes. Finalement, on suit le film sans déplaisir grâce aux personnages sympathiques (avec pas mal de français, Serge Marquand, Françoise Fabian, Sylvie Fennec) et à un rythme jamais défaillant. Et malgré la présence du chanteur vedette, qui n’était définitivement pas fait, en tout cas à l’époque, pour jouer les badass avec conviction.

Bref, un western spaghetti mineur mais plaisant, qui nous rend un peu nostalgique d’une époque qu’on n’a pas connu.

 

La soirée s’est terminée avec la séance de minuit officielle et la projection d’Arctic de Joe Penna avec l’immense Mads Mikkelsen, sorte de All is Lost/Les Chemins de la Liberté sur la banquise, un film d’aventure passionnant (et pour me passionner après minuit avec toute une journée dans les pattes, fallait le faire), mais je vous en parle plus tard, là j’ai pris du retard, et je dois filer pour la première séance de la journée.

À plus les aminches !!

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Par Corvis

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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