Ça y est, c’est parti, le 71ème Festival de Cannes a définitivement commencé, avec ses marches, son Marché, son soleil (malgré la pluie annoncée), ses chasseurs d’autographes, et surtout ses films.
Enfin, je dis définitivement commencé, mais finalement cette première journée aura été un tour de chauffe façon rétrospective, avant de commencer les choses sérieuses, les compétitions et la recherche de séances du Marché dans lesquelles s’infiltrer. Si j’ai déjà repérer des thrillers coréens et autres petites séries B pour lesquelles demander des invits, ce premier jour aura été calme, avec seulement deux films, axés sur l’histoire du cinéma.
Ma journée commence tranquillement sur les coups de 14h30 avec la diffusion de Mean Streets de Martin Scorsese à l’occasion de la 50ème Quinzaine des réalisateurs.
Le film ayant déjà eu droit à sa critique sur le site, de la part de notre Cinéted national, je ne m’attarderai pas dessus, si ce n’est pour dire qu’il est très agréable à (re)découvrir, autant dans la qualité d’interprétation des jeunes acteurs (Harvey Keitel, et bien sûr Robert De Niro en petit branleur qu’on a envie de baffer, en tête) que dans ce sentiment d’urgence et de liberté, proche de l’improvisation, qui parcourt tout le film. Ca ne raconte en définitive pas grand-chose, et pourtant on est fasciné, hypnotisé.
Par contre, je vais vous raconter ma séance.
Arrivé plus de 30 minutes avant, avec l’habitude d’avoir largement le temps pour les séances de la Quinzaine, surtout pour une rétro, je me retrouve avec une file d’attente monstrueuse, tellement importante que je crains de ne pas pouvoir rentrer. Heureusement cette fois, la chance est de mon côté, si je dois, comme beaucoup, laisser ma bouteille d’eau à l’entrée pour cause de plan vigipirate (les bouteilles de 50 cl sont acceptées par le festival, mais j’avais omis que la Quinzaine est une section parallèle, avec des règles de sécurité bien à elle), je pénètre dans le théâtre Croisette sans problème, et trouve même une place parfaite directement en entrant.
Pourtant je continue de m’interroger sur la quantité de spectateurs présents pour cette séance. Le speech d’introduction de la Présidente de la Société des réalisateurs de films éclaire ma lanterne : je n’avais pas du tout pensé que Martin Scorsese serait là en personne !
Résultat, les chanceux à avoir pu rentrer (la salle était pleine à ras-bord, certains se sont même assis sur les marches avant d’être éjectés manu militari par la sécurité, ont également pu savourer après le film une conversation avec le réalisateur, menée d’autres illustres réalisateurs, notamment Jacques Audiard et Cédric Klapisch. Plus d’une heure de discussion où Scorsese a parlé de sa passion pour les relations étroites entre le bien et le mal, le moral et l’amoral, sur son enfance à New-York, grande inspiration de ses œuvres, ou des tournages de cauchemar d’After Hours et La Valse des Pantins.
C’est avec regret que je dois partir avant la fin, une autre séance m’attendant à l’autre bout de la Croisette, salle Buñuel, où se tiennent habituellement les séances de Cannes Classics, rétrospectives et autres documentaires sur le cinéma. J’avais pu y voir l’année dernière Le Salaire de la Peur, La Bataille du rail ou encore Becoming Cary Grant, ou il y a deux ans Police fédérale Los Angeles présenté par Friedkin himself.
Cette année, l’une de mes rares séances Cannes Classics s’avère donc The Eyes of Orson Welles de Mark Cousins, réalisateur peu connu en France, et spécialiste des documentaires proches de l’essai cinématographique.
On a déjà tellement dit sur Orson Welles, avec déjà divers documentaires et même plusieurs biopics (notamment Citizen Welles avec Liev Schreiber ou Me and Orson Welles de Richard Linklater), qu’on se demandait bien ce que Cousins pourrait y apporter de neuf, mais pour le coup celui-ci utilise un angle d’attaque inédit : le parallèle entre les dessins et croquis de Welles retrouvés dans un coffre-fort (le réalisateur était connu pour être un artiste graphique accompli) et sa vie personnelle et cinématographique.
On est effectivement plus proche de l’essai, avec en voix off Mark Cousins lui-même s’adressant directement à Orson Welles, et cette structure en chapitres thématiques, que d’un documentaire classique. Ce qui en soit est une excellente chose, innover pour ne pas sombrer dans la naphtaline est complètement louable. Seulement ce parti-pris plutôt osé (on se demande bien comment le réalisateur va raccrocher les wagons, et trouver des choses intéressantes à dire) trouve trop souvent ses limites, risquant constamment de dériver vers la masturbation intellectuelle arty et un peu prétentieuse. Si Cousins sait manier l’humour et la poésie avec un minimum de brio dans sa voix-off, on trouve parfois le temps long, comme celui-ci essaie désespérément de coller sur son discours des images qui puissent correspondre au cours de sa pensée, quitte à s’éloigner un tant soit peu du sujet principal.
Heureusement, les anecdotes passionnantes et le travail de recherche autour de la sensibilité picturale de Welles accolée à sa vie privée emportent le morceau, et l’on est plus souvent passionné que l’on ne décroche, notamment lorsqu’il s’agit de parler des projets avortés ou abandonnés du réalisateur, comme ce Jules César qu’il comptait tourner au Colisée de Rome, ou ce Don Quichotte maudit (coucou Terry Gilliam)dont il ne reste qu’une vingtaine de minutes prometteuses.
Passionnant aussi, le début de sa carrière dans la radio et surtout le théâtre, à grand renfort de croquis de travail et de photos d’époque. J’y ai appris qu’il avait monté à l’époque un Macbeth transposé à Haïti, véritable tremplin pour les acteurs afro-américains qui constituaient la troupe.
Bref, le ton de Mark Cousins fait parfois grincer des dents (surtout lorsqu’il imagine in fine Orson Welles lui répondre), et le film ne passionne pas toujours dans sa longueur un peu excessive (presque deux heures quand même), mais l’on en ressort en ayant l’impression d’avoir appris pas mal de choses, et toujours plus fascinés par la carrière de ce génie monumental du cinéma.
Ce sera tout pour le premier jour, je sais, c’est peu, mais il faut bien commencer doucement, vous je sais pas, mais moi je viens d’enchaîner le BIFFF et deux semaines au Japon, laissez-moi le temps de me faire à la Quinzaine.
Promis, aujourd’hui sera plus rempli, avec le film musical russe Leto, le Wildlife de Paul Dano, du Guillaume Nicloux (ou du Thrilcsi j’ai une invit) et la séance de minuit Arctic, avec Mads Mikkelsen perdu dans la neige.
Wish me luck !
Par Corvis