Hé oui, comme le dit le célèbre proverbe congolais, « toutes les bonnes choses ont une fin, sauf la banane qui en a deux ».
Le BIFFF 2018, c’est terminé pour nous. À l’heure où j’écris ces lignes, le festival bat son plein pour encore quelques heures, le palmarès est sur le point d’être annoncé, mais nous, nous sommes de retour dans l’Hexagone, des étoiles dans les yeux et des valises en-dessous.
Mine de rien, 11 jours de cinéma, ça vous épuise un homme, et on a bien senti la fatigue sur la fin, avec de moins en moins d’énergie pour apprécier les films. Résultat, j’avais prévu de finir en beauté avec la Nuit Fantastique, 4 films qui m’auraient emmené aux frontières de l’aube (Victor Crowley l’ultime volet de la saga Hatchet/Butcher, Game of Death et son Jumanji hardcore, Cannibals and Carpet Fitters dont le titre se suffit à lui tout seul, et Framed le home-invasion en direct live bien craspec), mais l’épuisement a eu raison de moi, et j’ai préféré rentrer à l’appart après une petite journée de 2 films.
Mais quels films !!! Deux tueries, et deux preuves de plus que l’Asie tient la dragée haute à l’Occident en termes de spectacle.
On commence la journée avec Monster Hunt 2 de Raman Hui (qui a fait ses armes chez Dreamworks sur les sagas Shrek et Kung Fu Panda), superproduction chinoise qui a pulvérisé le box-office là où le premier l’avait déjà explosé. Monster Hunt, on l’avait vu au BIFFF en 2016 (pas de critique pour cause de panne d’ordi cette année-là, mais on avait adoré), et le film est sorti en France en dvd en Novembre dernier.
C’est dire si l’impatience était grande de découvrir les nouvelles aventures du petit monstre en forme de radis Wuba. Après avoir été sauvé des griffes du méchant Roi des monstres par ses parents humains adoptifs, qui l’avaient finalement confié à ses compatriotes, celui-ci coule des jours paisibles dans un petit village façon Ewoks dans la forêt. Malheureusement, dès les premières minutes du film, le village se fait attaquer par des monstres volants, et Wuba est contraint de s’enfuir. Il va tomber sur un attachant escroc humain et son acolyte monstre, alors que le Bureau des chasseurs de monstres est toujours à sa recherche.
Plus axé sur la comédie pure, là où le premier était un vrai film d’action et d’aventure, Monster Hunt 2 n’atteint évidemment pas les cimes du premier. L’effet de surprise est passé, les péripéties sont moins haletantes et les enjeux, bien que correctement établis au début, ne prennent leur ampleur qu’en toute fin de métrage. En cela, cette suite fait figure d’épisode de transition, tant la tournure que prend le récit et la fin ouverte annoncent un inévitable troisième volet, et reste pourtant à des coudées au-dessus du tout-venant des séquelles de films occidentaux.
Beau à pleurer, drôle à pleurer, touchant… ben à pleurer aussi, Monster Hunt 2 touche avec succès la fibre émotionnelle du spectateur, et va vous laisser en pleurs, avec la ferme intention d’adopter dès le lendemain un radis blanc rieur et débordant d’amour. Rarement on a vu un personnage numérique aussi évidemment émouvant et expressif, et l’on peut louer la qualité d’effets spéciaux absolument impeccables, qui arrivent à nous rendre totalement crédible et naturelle la présence de monstres au design très « dessin animé » au milieu des acteurs humains.
Si le film est peut-être un poil moins époustouflant et fluide que le premier épisode, il comporte tout de même son lot de séquences anthologiques (qu’elles soient comiques, épiques ou émotionnelles), et se permet de creuser un peu plus un univers très attachant qui, dans sa peinture d’une société tout entière gravitant autour de l’existence de monstres, rappellent celui créé par J.K Rowling avec Harry Potter, notamment lorsque le couple de héros découvre un Bureau des chasseurs de monstres très administratif, qui n’est pas sans rappeler un certain Ministère de la Magie.
Bref, encore une sacrée réussite en provenance de l’Extrême Orient, qui permet de nous laver les yeux après l’injure Legend of the Naga Pearls.
Et on reste en Orient avec ce qui reste pour nous le clou du festival, un film aussi émotionnellement intense que visuellement orgiaque, premier volet d’un diptyque qui, du haut de ses 50 millions de dollars de budget, met un doigt bien profond à la quasi-totalité des blockbusters occidentaux tant au niveau visuel que thématique.
Bien sûr, les spectateurs allergiques au lyrisme un peu outrancier du cinéma asiatique pourront être rebutés par ce déluge d’émotions et la portée philosophique très premier degré de ce Along with the Gods : The Two Worlds, mais la salle du BIFFF, elle, a réagi avec l’émerveillement d’un gamin devant son premier Miyazaki.
On vous a déjà parlé du public turbulent du festival, prêt à toutes les vannes et toutes les réactions exagérées, et bien cette fois ça n’a pas moufté de toute la projection, et je jurerai avoir entendu renifler un bon paquet de fois dans la salle.
Along with the Gods : The Two Worlds, du coréen Yong-hwa Kim (L’Incroyable Mr Go et son gorille qui fait du base-ball), est donc la première partie d’une histoire épique qui se penche sur un concept essentiel du bouddhisme : dans l’Au-delà, les âmes des défunts doivent passer (et réussir) 7 procès avant de se voir réincarnées. C’est le cas de Ja-hong (Tae-hyun Cha, my Sassy Girl, Hello Ghost), mort après avoir sauvé une fillette des flammes, qui va être accueilli par ses 3 guides, tout excités à l’idée de s’occuper de leur premier parangon (littéralement « modèle », comme dans « parangon de vertu ») depuis 19 ans. D’autant que selon la Loi de l’Au-delà, s’ils réussissent à faire réincarner 49 âmes en moins de cent ans, ils seront eux-mêmes réincarnés dans le corps de leur choix. La chose va s’avérer pourtant plus ardue qu’ils ne le pensaient.
Incroyable maelström de tons et de pistes thématiques, Along with the Gods se permet en plus d’être totalement épique dans sa vision d’un Au-delà dantesque, au sens propre du terme, les différents péchés pour lesquels Ja-hong (Meurtre, Indolence, Tromperie, Trahison, Injustice, Violence et Impiété filiale) doit être jugé ayant chacun leur enfer avec des caractéristiques propres. L’un voit les suppliciés tenter d’échapper à la morsure ardente de la lave en fusion dans le plus pur style judéo-chrétien, d’autres sont lentement écrasés par d’énormes rouleaux à prières… Même l’entrée du Royaume des Morts, avec ses milliers de décédés avançant en masse vers leur destin post-mortem comme dans un gigantesque exode, est prétexte à une description épique de la spiritualité que n’aurait pas renié le Peter Jackson du Seigneur des Anneaux. Et c’est sans compter les moments de pure action, que ce soit un combat contre des goules de l’enfer aux lames acérées dans l’Au-delà ou une course poursuite dévastatrice avec un esprit vengeur dans le monde des vivants, des scènes graphiquement impeccables et fourmillant d’idées.
Au-delà de ses qualités picturales indéniables et de ses séquences trépidantes, Along with the Gods est une ode incroyable à la fragilité de l’existence, à la subtilité des émotions humaines, au pardon, à l’amour filial et fraternel, tout un tas de sentiments primaires qui sont ici décryptés avec autant d’élégance que d’intensité (on vous l’a dit, ça a chialé sérieux dans les chaumières). Plus encore, comme beaucoup de pelloches asiatiques, le film arrive à jongler entre plusieurs tons sans jamais perdre l’équilibre, passant du rire aux larmes dans la même scène, voire dans la même phrase.
Et tout ça se termine dans un final littéralement orgiaque qui se joue sur deux tableaux en même temps, visuellement épique et profondément troublant émotionnellement. On en ressort lessivé mais ému aux larmes, avec la promesse que la deuxième partie de l’histoire, Along with the Gods : The Last 49 Days (même si ce premier segment est une histoire complète) sera tout aussi flamboyante pour le cœur et les yeux.
On aurait aimé vous dire que le film a gagné un Corbeau d’or amplement mérité, mais voilà, j’ai mis tellement de temps à écrire ce dernier compte-rendu qu’entretemps, le palmarès est tombé, et pour nous il s’avère cette année à moitié incompréhensible.
Les films qui ont le plus marqué le public n’ont pas forcément été récompensés, et surtout certains lauréats semblent avoir été primés par un Jury qui ne va jamais au cinéma, tant les films utilisent des idées et des concepts déjà vus ailleurs, en mieux, quand tant de films originaux avaient été proposés cette années (dont ce Along with the Gods)
Bref, tout ça pour dire que voilà le palmarès :
Prix de la Critique : Dhogs d’Andrés Goteira, qui concourrait dans la Compétition 7ème parallèle, et que l’on n’a pas vu faute de temps.
Prix du Public : Tigers are not afraid d’Issa Lopez, chroniqué hier, vraiment mérité même si l’on s’attendait à voir le Public primer une œuvre moins difficile d’accès.
Compétition 7ème Parallèle :
Mention spéciale seulement pour l’incroyable The Place de Paolo Genovese
Prix 7ème Parallèle pour Blue My Mind de Lisa Brühlmann (sans doute que le Jury n’a jamais vu ni Ginger Snaps, ni le récent Grave)
Compétition Thriller :
Mention spéciale méritée à A Special Lady d’An-kyu Lee, même si on s’attendait plus à y voir New Trial ou Who killed Cock Robin, plus originaux.
Prix Thriller : Memoir of a Murderer de Shin-yeon Won, forcément, une tête au-dessus de tous les autres cette année
Compétition européenne :
Mélies d’argent pour The Cured de David Freyne avec Ellen Paige, que l’on avait laissé de côté après avoir vu la bande-annonce qui laissait penser à un pensum de zombies, sorte de Warm Bodies sans l’humour, mais bon, ne l’ayant pas vu on lui laisse le bénéfice du doute. C’est quand même dommage pour des films aussi originaux que Charismata, Ederlezi Rising ou Snowflake.
Compétition Internationale :
Corbeau d’argent : Mon Mon Mon Monsters de Giddens Ko. On est pour, malgré le ventre mou en milieu de bobine, le film est très original, nihiliste, avec beaucoup d’humour noir mais aussi beaucoup d’émotion.
Corbeau d’argent (oui il y a deux Corbeau d’argent chaque année) : Tigers are not afraid d’Issa Lopez. Choix évident, même si on aurait préféré y voir The Scythian ou bien sûr Along with the Gods.
Corbeau d’or : Inuyashiki de Shinsuke Sato. Alors là… Récompenser cette adaptation de prime abord originale mais finalement assez bateau dans ses thèmes et globalement poussive, c’est l’incompréhension totale. Surtout quand on pense aux velléités anarcho-chaotiques de Lloyd Kaufman qui était président du Jury.
Enfin bon, les voies du Jury sont impénétrables. Nous on a fait notre palmarès perso, et on vous le livre en-dessous, avec notre trio de tête (sans ordre particulier) pour chaque compétition.
Sur ce, on vous laisse en disant au BIFFF à l’année prochaine, et en vous disant à très vite, puisqu’on revient bientôt non seulement avec les critiques de Memoir of a murderer et Ajin : demi-human, présents au BIFFF et déjà sortis en France, mais aussi avec une vidéo beaucoup plus longue sur le festival, histoire de vous abreuver de l’ambiance et de ce qu’il s’y est passé, en espérant vous donner envie d’aller y jeter un coup d’œil par vous-même.
Bye bye !
Palmarès perso :
Compétition 7ème Parallèle :
Freehold de Dominic Bridges et son coloc non désiré.
Wrath of Silence de Yukun Xin et son muet badass à la recherche de son fils.
The Place de Paolo Genovese et son suspens implacable à base de types qui discutent dans un café.
Compétition Thriller :
Memoir of a Murderer et son ancien serial-killer qui sombre dans l’Alzheimer.
New Trial de Tae-Yun Kim et son histoire véridique passionnante de réouverture de procès.
Who killed Cock Robin de Wei-hao Cheng et sa version taiwanaise du Crime de l’Orient Express, véritable sac de nœuds aux multiples ramifications.
Compétition européenne :
How to talk to girls at parties de John Cameron Mitchell et son Roméo et Juliet complètement absurde dans le Londres des années punk.
Frontier de Dimitriy Tyurin et son mélange hétérogène entre histoire intime émouvante et Histoire universelle scotchante.
Ederlezi Rising de Lazar Bodroza et son couple dysfonctionnel de l’espace dans une ambiance tarkovskienne envoûtante.
Compétition Internationale :
Tigers are not afraid d’Issa Lopez et son conte macabre qui a enchanté Guillermo Del Toro.
The Scythian de Rustam Mosafir et sa fresque barbare sur une période méconnu de l’histoire russe.
Along with the Gods : the Two Worlds de Yong-hwa Kim et ses procès de l’au-delà qui allie souffle épique et émotion brute.
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=zzBvSa9k9V0[/youtube]
Par Corvis