Et c’est parti pour une grosse grosse journée au BIFFF.
Pas seulement parce que c’est le jour de mon unique séance de minuit (00h30 pour être précis, sans compter les retards), mais aussi parce que ce soir, c’est le célèbre Bal des vampires, qui va investir le Palais des Beaux-Arts de 21h à 6h du matin, et qu’on risque de voir baguenauder dans les couloirs une meute de fêtards déguisés et maquillés dès la nuit tombée.
Mais pour nous, l’important ce sont les films (bon le reste aussi puisqu’on essaie de vous rapporter des images), et on commence à 14h avec le suisse Blue my mind, chronique adolescente un peu onirique qui va glisser progressivement vers le cauchemar.
Bon, un cauchemar tout en douceur hein, si une paire de scènes fait plisser les yeux (la séquence des ciseaux à ongles restera dans les mémoires), le film de Lisa Brühlmann (hé ben appelle les pompiers bordel) ne cherche pas vraiment à être choc et viscéral dans sa métaphore de la puberté.
Car métaphore il y a, la transformation étrange de la jeune Mia (dont le mystère est éventé dès les premières minutes même pour ceux qui n’ont pas été spoilés par la bande-annonce) symbolisant évidemment les modifications que subit le corps à l’adolescence, et surtout cette impression de ne pas être à sa place, d’être différente, d’avoir été adoptée, ou pire d’être un extra-terrestre ou un monstre.
Car à l’instar de ses camarades John Fawcett (Ginger Snaps) et Julia Ducournau de Grave (d’ailleurs dans le jury international cette année, dommage, Blue My Mind concourt dans la compet européenne), le film met en parallèle le passage à l’âge adulte/adolescent, et une mutation profonde dans la chair de l’héroïne, qui semble changer de peau en même temps qu’elle s’émancipe et multiplie les expériences, quitte à se perdre en route. Pas étonnant d’ailleurs que les films cités mettent en scène une héroïne plutôt qu’un héros tant on sait que cette transformation psychologique et corporelle est autrement plus violente chez les filles que chez les garçons.
Ceci dit, si l’évolution de Mia se suit sans déplaisir, le « mystère » qui plane autour d’elle semble un peu trop évident, et surtout le film peine un peu à trouver un impact scénaristique au-delà de sa métaphore. Dégraissé de l’argument horrifique et graphique d’un Grave, délesté des péripéties d’un Ginger Snaps, il ne reste qu’à Blue my mind son parallèle très premier degré, qui finit par tourner un peu en rond. Pas inintéressant donc, mais il y a déjà mieux et plus percutant sur le sujet.
Ensuite direction la salle presse pour anticiper la séance du coréen Who killed Cock Robin que je ne pourrais pas voir en salle. Et là, c’est le drame, tous les postes sont pris. Trop peu de postes pour beaucoup de journalistes, et certains (comme moi) rentabilisent en général le temps passé ici en y restant toute l’après-midi depuis 14h. Il faut donc que j’attende presque une heure (j’en profite pour becqueter, quand même, on n’est pas des robots) avant d’accéder à un poste, me dépêchant pour avoir le temps de finir ce film assez long avant la prochaine séance.
Et là c’est de nouveau le drame. Copie presse qui veut éviter le piratage, le film est affublé d’un énorme SAMPLE en plein milieu de l’écran. Irregardable. Je ronge donc mon frein en me disant que je vais probablement devoir changer mon programme, annuler deux séances et mettre celle-là à la place, et je me rabats sur le sud-africain Hunting Emma de Byron Davis scénarisé par Deon Meyer, un des invités du festival, que j’avais prévu de voir en salle mais qui m’inquiétait un peu sur sa qualité au vu des extraits glanés sur mes voisins de poste les jours précédents.
Et effectivement, si on est loin d’une purge, ce survival en plein désert où une institutrice se retourne contre les trafiquants de drogue sur lesquels elle est malheureusement tombée et qui veulent sa peau, s’avère un petit thriller sympathique mais assez inoffensif. Hunting Emma suit des rails assez linéaires et un rythme de croisière qui va tout doucement crescendo, et s’il accroche l’intérêt, c’est plus par ses personnages charismatiques et des dialogues plutôt percutants que par une succession de péripéties trépidantes.
Ceci-dit, Hunting Emma a un sacré avantage, c’est qu’après l’infâme Revenge qui utilise peu ou prou le même canevas, il a l’air d’une véritable bouffée d’air frais, troquant la bêtise ambiante du film de Coralie Fargeat pour un peu de bon sens, et l’esthétique de pub de parfum pour un climat suffocant et un soleil de plomb. Et contrairement à Matilda Lutz, Leandie du Randt est éminemment convaincante en jeune femme qui redécouvre les enseignements de son militaire de père, et son évolution tient beaucoup plus la route que la transformation de pouf superficielle en Sarah connor de Revenge.
Bref, un petit thriller de série B pas désagréable, qui finit presque par citer ce bon vieux Casey Ryback dans une séquence de baston dans une cuisine.
Ensuite on file en salle 2 pour entamer le gros morceau de ce soir, deux thrillers coréens, comme seul le Pays du Matin Calme peut en produire.
On commence par A Special Lady, premier film de Lee An-kyu, assistant réalisateur sur Le Bon, la Brute et le cinglé de Kim Jee-woon. Un film bien noir et retors dans lequel Kim Hye-su (Modern Boy, Les Braqueurs, ici méconnaissable) est Hyun-jung, bras droit d’un caïd de la pègre et maquerelle attitrée qui piège de hauts fonctionnaires avec un chantage à la sex-tape. Quand un procureur décide de rendre les coups et manipuler l’autre bras droit pour le monter contre son employeur, Hyun-jung se retrouve prise au piège et va devoir monnayer chèrement sa retraite.
Ajoutez à ça un fils caché qui ne connaît pas sa mère, des amours nostalgiques, des luttes de pouvoir entre clans de différents quartiers, des aller-retours entre différentes époques, et vous avez un thriller extrêmement touffu qui semble au premier abord bien compliqué, mais qui s’avère plutôt limpide et évident une fois digérée la somme de personnages et d’informations initiales. S’il est peut-être un peu plus linéaire, moins foisonnant et exigeant que d’autres œuvres coréennes (surtout si on le compare à The Unjust ou même au récent The Merciless), A Special Lady reste passionnant à suivre, comme l’étau se resserre, comme les trahisons et les révélations s’enchaînent, et prouve encore une fois que la Corée est passée maître dans l’art de conjuguer l’ultra-violence à l’émotion à fleur de peau, le nihilisme au lyrisme, pour faire ressortir les saveurs comme dans un plat en sauce (pas étonnant dès lors que les asiatiques réussissent aussi bien leurs thrillers, quand on pense au sucré-salé ou la sauce aigre-douce, ils réalisent leurs films comme ils font la cuisine).
Plus calme et cérébral que d’autres pelloches du genre, A Special Lady joue beaucoup sur la manipulation et les rancœurs larvées, tout en s’autorisant évidemment quelques séquences de baston bien hardcore et cinégéniques, le réalisateur s’avérant très doué pour concevoir des images qui impriment la rétine et des ambiances qui donnent une sacrée plus-value aux scènes d’action.nUn thriller coréen quoi, excellent, et visuellement irréprochable.
Le film suivant, le toujours coréen New Trial de Kim Tae-Yun, est lui plus sobre visuellement, mais ô combien original dans son scénario et sa structure.
Adaptation d’une histoire vraie dont le procès était toujours en cours au moment du tournage, New Trial, plutôt qu’un film de procès, imagine un film de préparation de procès, comme le héros, Joon-Young, avocat raté qui accepte une mission comme un fardeau pour être engagé dans une firme, se retrouve à rouvrir un dossier et demander un nouveau procès pour Hyun-Woo, un jeune homme injustement accusé de meurtre et emprisonné 15 ans plus tôt.
New Trial est un film rare. Déjà parce qu’il adapte un fait divers incroyable d’incompétence, d’opportunisme et de vie détruite. Ensuite parce qu’il offre une plongée dans un monde juridique opaque, bien au-delà des séquences de plaidoirie enflammées qu’on peut voir dans les films américains, où tous les coups bas sont permis et où une carrière importe plus que la vérité. Enfin parce qu’il nous trimballe par le bout du nez du début à la fin en nous faisant croire à sa linéarité et son apparente simplicité, ne se contentant jamais de la structure habituelle de ce genre de pelloches, pour conserver une finalité totalement originale. À chaque fois que l’on pense le récit proche de la conclusion, ou revenir sur une trajectoire balisée, celui-ci nous renvoie dans une nouvelle direction, avec une nouvelle thématique et de nouveaux enjeux.
On finit par comprendre que le but n’est pas de pourchasser les coupables, de confondre les incapables, d’éviter une peine à un accusé, mais simplement d’accéder à la possibilité d’un nouveau procès, pour réhabiliter le héros et s’excuser auprès de lui.
Quand bien même, Joon-Young l’avouant lui-même au début du film, un avocat ne s’excuse jamais, car cela veut dire qu’il a déjà perdu et qu’il l’accepte.
Bourré de personnages charismatiques, de coups de théâtre et de détails véridiques qui font grincer des dents, New Trial est un thriller comme on en voit rarement, finalement assez loin de l’extrême violence et de la noirceur habituelle du cinéma coréen, mais qui tient en haleine du début à la fin, tout en nous touchant au cœur à de multiples reprises. Une nouvelle bombe de l’Extrême Orient en définitive.
Il est 00h40, ma camarade file rentrer à notre appart pour commencer le montage de la vidéo journalière (faut-il qu’on vous aime, hein), et moi je me dirige, déjà crevé, en salle 2 pour la projection de Trauma, du chilien Lucio Rojas, annoncé comme « le descendant de Serbian Film ». Ou le calvaire enduré par quatre copines parties passer le week-end dans une maison familiale, et qui vont être attaquées par un dégénéré et son fils, devenu un fou sanguinaire et tortionnaire après des années passées au service forcé du Général Pinochet. S’en suit viols, tortures, massacres et exactions en tous genres qui vont se succéder sans vraiment de fond pour les soutenir, comme dans un vulgaire torture porn.
Car bien sûr, la présentation du film par le réalisateur et deux de ses actrices s’est faite avec moult justifications quant à la violence des images, assurant qu’elle n’était pas gratuite, mais qu’il était nécessaire d’être le plus cru possible pour parler de ce que des gens avait vécu pendant la dictature.
Las, passée une scène d’introduction aussi gerbante que glaçante, le film semble dès les premières images à contre-courant de sa présentation, avec une scène de sexe entre deux lesbiennes éclairée et filmée comme dans un porno, le réalisateur s’attardant complaisamment sur les formes de ses actrices comme si le but était d’exciter le spectateur (et croyez-moi, après avoir vu dans l’intro un jeune homme obligé de violer sa mère morte, personne n’a très envie d’être excité).
Si A Serbian Film, auquel il se réfère (jusque dans certaines scènes choc qui semblent presque être un hommage au modèle) avait lui aussi une certaine galerie de casseroles au derrière dans sa volonté de se cacher derrière l’argument de la dénonciation de la véritable horreur pour dérouler les pires séquences, au moins avait-il un cachet visuel indéniable et un scénario précis, ce qui permettait une véritable folie, une fureur glauque qui donnait un minimum d’impact aux scènes les plus cruelles.
Ici, il semble que tout ce qui ait été retenu soit une volonté de choquer dans les chaumières, quitte à ce que les péripéties ou les décisions des personnages n’aient aucun sens. Certes il y a du gore à tous les étages, le sang gicle, les filles hurlent, c’est souvent très peu ragoûtant, et pourtant Trauma arrive à avoir si peu d’impact émotionnel et thématique qu’il ferait passer le film Srdjan Spasojevic pour du Pasolini période Salo.
Très vite on se rend compte que le réalisateur a oublié un point essentiel, l’effroi et le traumatisme, pour un spectateur, vient moins des images balancées gratuitement que de la situation dans laquelle elle se déroule, plus de la suggestion que de l’horreur graphique. En témoigne la scène la plus traumatisante du film, qui ne montre rien et joue uniquement sur le son pour nous mettre terriblement mal à l’aise.
Au final, il y a plus de dégoût et de malaise dans certaines scènes d’I Spit on your grave ou du très bon Red, White and blue avec Noah Taylor que dans tout ce Trauma, et on se dit même que niveau sensation de la douleur et empathie pour les victimes, Hellraiser et son propos fantasque réussissait mieux, avec moins de cynisme et d’hypocrisie.
C’est donc aussi énervé que décalqué que je rentre à pied sous les coups de 3h du matin, déçu d’avoir tenté une séance de minuit pour me retrouver devant un film inepte. Heureusement que le public était là pour ajouter du second degré à cette séance barbante !
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Par Corvis