Le BIFFF est comme un organisme. Vivant.
Il se réveille lentement en début d’après-midi, les entrailles peu à peu investies de tribus d’êtres clairsemées. La circulation est fluide, même si on y croise de drôles de bactéries, et on sent battre le pouls du festival.
Et puis plus la journée avance plus la vie fourmille, plus le cœur du BIFFF s’emballe, plus la masse de créatures se fait dense et bruyante.
Comme un ogre avide de pellicules, le festival se réveille tout à fait quand le soleil se couche et met son anatomie à rude épreuve.
Tout ça pour dire qu’avec les séances trop proches, la foule et les retards successifs, on a fini bien en retard, on a dû rentrer à pied faute de transports en commun, et il est maintenant pas loin de 2h du matin quand je vous écris ce compte-rendu…
Heureusement, on a vu des films !
Double Date tout d’abord, raté deux semaines plus tôt au festival Y’a un os dans le potage à cause des grèves de la SNCF. Ce premier long-métrage de Benjamin Barfoot ne paie pas de mine avec son point de départ potache et volontairement évident. Jim le puceau bientôt trentenaire (Danny Morgan, Ed Dunkle dans Sur la route), et son pote Alex le dragueur raté (Michael Socha, vu dans This is England et Once upon a time), vont faire la connaissance de deux sémillantes jeunes filles toutes prêtes à se laisser butiner la marguerite, ce qui devrait leur mettre une certaine puce à l’oreille. Évidemment, puisque le duo est bien décidé à ramener papa d’entre les morts à grand coup de sacrifice humain.
Nanti d’une structure assez simpliste au premier abord, Double Date accroche d’abord par son sens de la répartie et l’énergie communicative de son duo d’acteurs. Le sang a à peine coulé lors de l’introduction que l’on est déjà hilare, enthousiasmé par les situations cocasses déclenchées par ces deux loosers invétérés, bien aidés par une interprétation aux petits oignons, exagérée juste ce qu’il faut.
Pourtant, alors qu’on est en droit d’attendre pitch, affiche et BIFFF oblige, à un joyeux et sanglant jeu de massacre, le film commence à ronronner dans son récit, en l’absence de folie scénaristique ou de coup d’éclat. On sait plus ou moins où on nous emmène, et si on s’y laisse guider sans déplaisir, c’est souvent sans surprise.
Heureusement, Double Date sait jouer de son scénario très linéaire pour se concentrer sur les séquences en elles-mêmes, et c’est dans la surenchère qu’il trouve son véritable rythme de croisière. Jouant sur une sorte de comique d’accumulation, il ramène dans l’intrigue des personnages invraisemblables (mention spéciale à Dexter Fletcher en paternel crado et à côté de ses pompes) et fait durer plus que de raison des scènes pas plus vraisemblables (dont on vous laissera la surprise) jusqu’à trouver sa propre folie.
Là où d’autres films seraient allés à l’essentiel et au plus efficace, Double Date laisse voguer ses idées et ne lâche plus le filon une fois qu’il en a trouvé une bonne, quitte à frôler l’absurdité totale. Et c’est finalement la grande qualité du film, qui fait ressortir le spectateur avec la banane, persuadé que certaines scènes resteront imprimées dans sa rétine pendant un bout de temps.
Direction la salle presse ensuite pour le bien nommé La Femme la plus assassinée du monde de Franck Ribière (à l’origine du projet avorté B-Movies qui aura donné Requiem, Un Jeu d’enfants, Bloody Mallory et Maléfique, et fidèle producteur d’Alex de la Iglesia) qui ramène sur le devant de la scène une Anna Mouglalis un peu oubliée mais toujours aussi magnétique, en lui faisant interpréter une célébrité de son temps, Paula Maxa, égérie du Grand-Guignol des années 30. La Femme la plus assassinée au monde, c’est elle.
Le concept laissait entrevoir une possible fresque ambitieuse qui brasserait l’histoire de ce théâtre sanglant, ou du moins un biopic pointu de cette star inconnue, mais curieusement Franck Ribière laisse rapidement de côté cette grande Histoire artistique pour n’en faire que la toile de fond d’une petite histoire, bien vite coincée entre les exactions d’un serial-killer, les états d’âmes des personnages principaux (dont Paula), et les activités forcément étranges de cette troupe spécialisée dans l’équarrissage scénique.
Si bien qu’au final, La Femme la plus assassinée du monde subit une accumulation de pistes scénaristiques, un cortège de personnages trop peu esquissés, un entassement d’histoires parallèles qui lui font peu à peu perdre sa substance, en dépit d’une ambiance glauque assez réussie.
Pis encore, l’interprétation déplorable de la majeure partie des acteurs tire le film vers le bas, eux-mêmes pas vraiment aidés par des dialogues d’une indigence souvent douteuse. On ne décèle même pas un jeu théâtral trop grandiloquent qui pourrait coller au sujet et passer pour un concept de direction d’acteur, non, il faut bien le dire, ça joue tout simplement mal. Reste le peu connu Niels Schneider (Diamant Noir, Dalida), très convaincant en journaliste intuitif, et bien sûr Anna Mouglalis, sa voix rauque et chaude, son regard pénétrant, sa silhouette d’une classe folle, qui donne une saveur incroyable même aux répliques les plus ineptes, et pourrait facilement vous réciter le bottin en plan fixe sans qu’on s’ennuie une seule seconde.
Pourtant, heureusement, peu à peu le film commence à se trouver un équilibre, quand il commence à se concentrer sur Paula, ses traumatismes, sa fragilité cachée, et les efforts des personnes qui gravitent autour d’elle pour la protéger des dangers. Dans ces moments, on commence à entrevoir ce qu’aurait pu être La Femme la plus assassinée du monde, si le réalisateur avait eu la simplicité de raconter la vie torturée de Paula Maxa, plutôt que de broder sur l’univers du Grand-Guignol une histoire de serial-killer et de machination. En ce sens la scène finale est vraiment réussie, et devient glaçante quand on en saisit les implications.
Las, tout en étant parfaitement regardable, et parfois prenant, le film se perd un peu trop en route, et aurait pour le coup mérité une linéarité qui aurait mis en valeur un sujet très peu abordé au cinéma.
Retour dans l’enceinte du festival ensuite (en évitant le type déguisé en Yéti qui s’en prend aux spectateurs de passage) pour étrenner la salle 1 pour cette année, avec l’excellent Survival Family, dans lequel une famille nippone totalement assistée par la technologie, dans un Japon qui ne semble pas beaucoup plus apte à se débrouiller tout seul, se retrouve dans la tourmente au lendemain d’un Blackout généralisé.
Si le cinéma post-apocalyptique démarre souvent avec des images de l’élément perturbateur en guise d’incipit, il nous envoie ensuite toujours des années dans le futur, pour nous dévoiler le monde tel qu’il se reconstruit après l’Apocalypse (dont le nom, CQFD). Ici, le réalisateur Shinobu Yaguchi prend le sujet à contrepied en nous faisant vivre la déroute de la société japonaise au jour le jour, dès les premiers instants, passant doucement de l’incompréhension à une panique sobre, puis à l’organisation et à la fuite. Le tout sous le prisme d’une famille moyenne, où le mari ne connaît rien d’autre que le travail devant un ordinateur et la télévision le soir, où la femme ne sait pas faire la cuisine sans ses appareils à tout faire, où les enfants ne semblent pas pouvoir vivre sans leur smartphone.
En plus d’être drôle, et finalement assez touchant de bout en bout (comme la famille évolue peu à peu par la force des choses et surmonte les obstacles), Survival Family dresse un constat désabusé mais ô combien intéressant de la fragilité de la société actuelle.
Et si le monde tel que nous le connaissons cessait d’être ce qu’il est demain ? Et si tout ce qui était électrique, ou électronique, cessait tout à coup de fonctionner ? Et si on ne pouvait plus se déplacer qu’à vélo, si on ne pouvait plus travailler, si les magasins n’étaient plus ravitaillés, si le luxe et l’aisance devenaient des lubies futiles face aux premières nécessités ? Comment réagirions-nous, et surtout comment traverserions-nous ces nouvelles embûches ?
En nous forçant à nous identifier à cette famille de couillons qui n’a jamais quitté son cocon technologique, famille pourtant pleine de bonne volonté et prête à se serrer les coudes, le réalisateur nous fait faire un constat doux-amer sur notre civilisation soi-disant toute puissante, tout en n’oubliant jamais de nous divertir. Les obstacles s’accumulent, les masques tombent, les êtres (ré)apprennent à (sur)vivre et se surpassent. On retourne peu à peu aux choses essentielles, pour rappeler que si, aujourd’hui, il semble impossible de vivre sans nos acquis technologiques, il n’est finalement pas si compliqué de se détourner de l’assistanat et détourner le regard de nos écrans.
En somme, l’air de rien, Survival Family fait passer le message de manière bien plus ludique et bien moins bancale que le boursouflé Ready Player One. Un petit film japonais sorti de nulle part qui fait la leçon à Tonton Steven ? Et ben ouais ma gueule.
Enfin, on termine la journée avec Terrified de Demian Rugna, censé porter rudement bien son nom.
Bien. Je ne sais pas si c’est ce côté blasé qui vous vient avec les années passées à voir des films, l’heure tardive, ou le public tellement déchaîné qu’il est difficile d’apprécier un vrai film d’horreur sans pouffer aux vannes qui fusent toutes les trente secondes, mais j’en suis ressorti un peu déçu par rapport à mes attentes.
Le film commence pourtant très fort avec quelques images chocs et scènes bien senties qui mettent tout de suite dans l’ambiance : on n’est pas là pour rigoler. Tout un quartier d’une petite bourgade argentine subit la menace d’activités paranormales assez violentes, des créatures humanoïdes semblent hanter les maisons façon croquemitaine en se cachant sous le lit ou dans le placard, un enfant mort se retrouve attablé devant son petit dej, une femme se fait projeter sur les murs de sa salle de bain en mode flipper, bref, même les spécialistes du surnaturel qui débarquent dans la banlieue ont le trouillomètre à zéro.
Malheureusement, bien vite, le film s’embourbe dans la routine et dans des scènes de dialogues pas forcément très intéressantes, prend trop son temps pour son propre bien, et finit par ressembler à un sous-Insidious à l’ambiance glauque (un sous-sous-Poltergeist quoi). De longues plages de vide alternent avec des images pour le coup réellement percutantes visuellement, qui réussissent à faire frémir ou sursauter mais peinent à remonter l’intérêt d’un script dans lequel on ne se sent pas très investi.
On ne pourra pourtant pas enlever un mérite au film, l’horreur a beau se résumer à des passages obligés et une succession de jump-scares, ceux-ci sont totalement réussis, fait avec une belle application, un sens de l’effroi graphique subrepticement suggéré assez prononcé, et une volonté de ruer dans les brancards tout à fait louable.
Même si on ne peut s’empêcher d’y voir une occasion manquée au vu du pitch et de la note d’intention, Terrified fera amplement son office, glacera le sang et provoquera de mini arrêts cardiaques à bons nombre de spectateurs en utilisant ses effets avec beaucoup de doigté, et en ces temps de Blumhouse Movies redondant et de sous-Paranormal Activity ronflant, c’est déjà ça de pris.
Bon, les petits copains, il est 3h du mat, et demain on reprend pour une journée de folie, alors si vous le voulez bien je vais faire du catch avec Morphée en espérant ne pas tomber sur une créature de cauchemar.
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Par Corvis